Festival d’Avignon
Jan Karski ( Mon nom est une fiction) d’après Jan Karski , roman de Yannick Haenel, mise en scène d’Arthur Nauziciel.
On se souvient peut-être de la petite tempête médiatique qui avait suivi la parution du livre en 2010, quand Claude Lanzmann, le réalisateur de Shoah (1985) l’avait vertement critiqué. Yannick Haenel y fait revivre ce catholique polonais, de son vrai nom : Jan Kozielewski, mort en 2010, après avoir été fait citoyen américain. » Je suis un catholique juif « , disait celui qui, mobilisé en 39-il avait 25 ans- fut fait prisonnier par les Russes, mais qui réussit à s’évader et à entrer dans la résistance polonaise; il fut ensuite torturé par les nazis, mais s’échappera encore.
Karski eut alors comme mission du gouvernement polonais en exil d’aller avertir les Anglais puis les Américains, des atrocités qui se passaient dans son pays. Pour en témoigner, il pénétra dans le ghetto de Varsovie où ses habitants essayaient de survivre dans des conditions atroces: peur, froid, famine, et cadavres nus (les familles récupéraient leurs vêtements!) qui encombraient les trottoirs!
Ensuite Karski, grâce à des complicités et en soudoyant des gardiens lettoniens qui lui prêtèrent un uniforme, réussit à aller dans un camp d’extermination. Et les images d’enfer sur terre qu’il y vit le poursuivirent à jamais. Restait à apporter son témoignage aux plus hautes instances de l’Etat américain (dont F. D. Roosevelt): politiques, religieuses, médiatiques, hauts responsables juifs compris, qui se refusèrent à le croire, alors que, prétend Haenel, ils étaient, grâce à leurs services secrets, bien informés de la situation mais s’intéresser vraiment au sort de ces malheureux juifs de Pologne et des autres pays occidentaux, leur aurait singulièrement compliqué la vie…
Comme le dit Haenel, ils pouvaient remercier Hitler de les avoir exterminés au lieu de les expulser, sinon ils auraient dû les accueillir comme réfugiés, ce qu’ils ne voulaient pas et, par ailleurs, ils n’avaient pas du tout l’intention de se fâcher avec Staline, le bon petit père des peuples qui n’hésita pas, entre autres, à faire exécuter quelque 12.000 officiers polonais. Mais le roman de Haenel n’a pas eu le don de satisfaire les historiens spécialistes de la Shoah…
C’est donc cette tragédie que raconte le livre en trois parties: d’abord les paroles de Karski quand Lanzmann l’avait fait parler dans Shoah. Le second chapitre est un résumé de l’ouvrage de Jan Karski, Story of a secret state, qui fut traduit en français dès 48. Quant au dernier chapitre écrit par Haenel qui en revendique absolument l’écriture, il reprend certains éléments de la vie de Jan Karski, déjà racontés par E. Thomas Wood et Stanislaw M. Jankowski. Ce qui n’a pas du tout plus à Claude Lanzmann…
Arthur Nauziciel dit simplement et il a sans doute raison que ce roman « ne raconte pas la shoah mais apporte un témoignage ». Comme le dit Hanna Arendt: » Cela ne devait pas arriver. Il est arrivé quelque chose avec quoi nous ne pouvons nous réconcilier. C’est ce que Yannick Hanenel dit d’une façon qui m’a touché et que j’ai envie à mon tour de faire entendre. A mon sens, c’est dans la transgression que propose cet auteur qu’on pourra réinventer quelque chose qui permettre une nouvelle transmission ».
Arthur Nauziciel à 40 ans déjà, s’en inquiète d’autant plus qu’il sait de quoi il parle, puisque certains des membres de sa famille furent des victimes de la Shoah et que son grand-père fut l’un des rescapés de Birkenau… Reste à savoir comment on peut s’y prendre théâtralement parlant. Arthur Nauziciel a suivi le plan du roman et a construit sa mise en scène en trois temps: sur la scène nue, juste une photo en gros plan du visage de la statue de la Liberté, et à cour, deux fauteuils, une table basse et une caméra d’époque aux pieds de bois. C’est Nauziciel qui raconte d’abord l’entretien entre Haenel et Lanzmann, et c’est aussi agaçant que,quand un(e) ami(e) vous détaille en prenant son temps le dernier film qu’il/elle a adoré… Mais la vérité oblige à dire que Nauziciel est comme absent et pas du tout convaincant… ce qui mine le spectacle dès le début.
Pourquoi ne pas avoir présenté alors un extrait de Shoah? Lanzmann a-t-il refusé? La seconde partie est un récit en voix off, dit par Marthe Keller, des atrocités commises par les nazis sur les juifs polonais. Sur fond de plan du ghetto-l’image est sans cesse déplacée-conçue par le vidéaste polonais Miroslaw Blaka. Cela fait un peu beaucoup art conceptuel et n’a pas bien sa place ici. Le récit est poignant dans sa sobriété et dans sa précision mais quand même bien long. Quant à la dernière partie , c’est un-trop long-monologue dit par Laurent Poitrenaux qui, dans une sorte de ressassement, reprend le récit des atrocités et de l’extermination radicale sans état d’âme, programmés et perpétrés par des officiers allemands telles que les a imaginées Haenel. Cela se passe dans un lieu que l’on peut identifier comme un couloir de la Maison Blanche absolument sinistre, juste éclairé par un lustre et des appliques: on ne comprend pas très bien pourquoi les portes des bureaux ne sont pas verticales, sans doute à cause de le pente du plateau? Mais bon…
Il faut ici saluer l’interprétation et la performance de Laurent Poitrenaux qui incarne Jan Karski avec beaucoup de nuances. A la fin, Alexandra Gilbert arrive en peignoir; c’ est comme une image de l’épouse juive de Karski-dont la famille avait péri dans les camps de la mort- et que Karski avait rencontré en la voyant dans un spectacle à Broadway; elle danse un solo presque au sol.
Mais presque trois heures, dont la moitié aurait pu sans aucun dommage collatéral nous être épargnée,s e seront écoulées depuis le début du spectacle! qui, de plus, commence en retard. Disons que, si l’on est sensible à la démarche de Nauziciel, il a quand même eu tendance à se faire plaisir, et sa dramaturgie, simple démarquage du roman, reste faiblarde; désolé, il aurait fallu un peu plus d’imagination… Et, dans cette troisième partie, le décor imposant de ce couloir -de la Maison Blanche?-était-il vraiment nécessaire?
Sur un thème proche , Jacques Livchine, avec Terezin, une évocation du fameux camp d’artistes juifs, avait beaucoup mieux réussi son coup, et avec peu de moyens… Alors à voir? Faites comme vous le sentez. Pas mal de gens sont sortis de la salle pas très pleine mais les applaudissements étaient sincères. Très franchement, Arthur Nauziciel avait fait mieux avec Ordet, ou Julius Caesar l’an passé… On comprend que le public ne se précipite pas… alors que le spectacle a débuté déjà depuis quelques jours.
Philippe du Vignal
Opéra-Théâtre, jusqu’au 16 juillet. A 18 heures ; le 14 juillet à 15 heures. Tél. : 04-90-14-14-14.
Le roman de Yannick
Haenel est publié che Gallimard « Folio », 192 p., 5,70 €