L’Événement
L’Événement d’Annie Ernaux, mise en scène de Jean-Michel Rivinoff.
Aujourd’hui, on parle d’IVG, d’interruption volontaire de grossesse, de « fausse couche » voulue ou pas, d’avortement accidentel ou provoqué. Le discours moralisateur et culpabilisant, fondé sur la pensée chrétienne, s’estompe peu à peu, mais il sourd implicitement encore de nos jours. L’avortement était alors pénalisé et considéré comme un meurtre atténué qui pouvait valoir des années de réclusion.
L’Événement d’Annie Ernaux a été en 1999 pour son écriture, mais il fait référence à cet épisode brutal dans sa violence, survenu plus de 30 ans auparavant dans la vie de la jeune femme. Un acte du réel en quelque sorte, à l’intérieur d’un quotidien banal dont Annie Ernaux est issue, et dont elle fait littérature au sens fort. L’Événement n’est évidemment pas un heureux événement mais l’avortement auquel elle doit faire face, seule, modeste étudiante de lettres en résidence universitaire à Rouen, incomprise des siens et sans amis véritables. Ce qu’elle décrit sobrement, c’est le parcours de combattante d’une femme à la fois perdue et décidée, qui ne veut pas se faire passer pour putain, ni fille facile ni fille mère, mais qui veut – de son libre choix – sauvegarder son être et son âme pour gagner sa vérité intime, survivre, en ayant recours à l’avortement interdit à l’époque. Une question de justice sociale, car si l’on était issu de la bourgeoisie aisée, il n’était pas difficile de s’affilier ou de s’acheter des aides et des complicités médicales malgré l’interdiction légale. Par contre, si l’on appartenait à un milieu d’origine humble, l’idée de pouvoir avorter n’allait pas sans l’évidence d’un chemin de croix à venir, recherche d’argent pour accomplir et cacher le malheureux événement. La peur du scandale faisait que l’on s’en remettait au commerce clandestin des faiseuses d’ange, pratiqué dans des lieux peu salubres et parfois par des mains peu expertes. Beaucoup de femmes mouraient ou restaient invalides. De justesse, ce ne fut pas le destin de la confidente. Annie Ernaux raconte dans le menu des jours et l’état de ses angoisses, l’expérience dont elle se fait fort : sentiment de panique, démarches diverses auprès de médecins sourds à sa requête dans leur confort feutré, trahisons ou double jeu des amis garçons, une amie maladroite à l’écoute pourtant, et promenades solitaires dans un hiver peu accueillant et une nature hostile, campagne normande, Rouen, Paris. On n’est pas loin de l’atmosphère de Madame Bovary. Mais la jeune femme lucide n’est pas l’héroïne de Flaubert, elle s’en sortira, déterminée et maîtresse d’elle-même. Catherine Vuilliez qui joue avec l’ombre et la lumière, quelques objets rares choisis, et une sobriété à toute épreuve est magnifique de beauté, de liberté et de quant à soi. L’éloge d’une existence conquise individuellement grâce au pouvoir des mots.
Véronique Hotte
Du 6 au 29 juillet, relâche le 21, Théâtre Girasole Avignon. Réservations : 04 90 82 74 42