Rhinocéros
Festival d’Avignon
Avec une jeune troupe de comédiens coréens, Alain Timar donne un coup de fouet bienfaisant au symbolisme de Rhinocéros, la pièce politique de Ionesco.« Le monstre peut surgir de nous. Nous pouvons avoir le visage du monstre », écrit Ionesco dans Entre la vie et la mort.
C’est bien ce sur quoi réfléchit le metteur en scène avignonnais, Alain Timar, en montant l’une des œuvres-clé de ce cher Ionesco d’origine roumaine, avec des acteurs vifs et impliqués de nationalité coréenne. Comment percevoir la faille en chacun qui, d’homme moyen et citoyen passif, fait passer son propre modèle inoffensif à la préfiguration de la bête ? Comment en arrive-t-on à l’idée de totalitarisme monstrueux, qu’il s’agisse du nazisme, du communisme de l’ex-URSS ou des conflits plus récents encore comme ceux de l’Algérie, du Cambodge, du Rwanda ou de la Bosnie, sans parler des soulèvements actuels en cours dans les pays du Maghreb ?
Comment ne pas voir en soi comme chez l’autre collègue tout proche la corne du monstre qui pointe ? Un éternel problème de tout temps et de tout pays à résoudre aujourd’hui, d’autant plus difficilement que le visage de l’ennemi est devenu confus ou invisible.
Comme le remarque Alain Timar : « Les foules ont construit un nouveau Temple, celui de la consommation dans lequel elles ont déifié le pouvoir de l’argent et les biens matériels ». Voilà pourquoi sur une scène blanche et glacée, cernée de paravents mobiles, une bande anonyme de bureaucrates aux tenues bien mises de gestionnaires des temps modernes,: costume et cravate sombres, chemise blanche pour les hommes; petite jupe et veste soft pour les femmes, envahit l’imaginaire du spectateur. Tous pareils, à l’image des figures des clips publicitaires déversés sur les écrans du du monde entiers: des jeunes gens « bien sous tous rapports », avec le mobile et le portable en guise de panoplie ,et une certitude hargneuse en soi comme supplément d’âme qui se voudrait efficace.
Un seul des employés diffère des conventions, Béranger, mal réveillé, un peu ivre, qui médite malgré lui. C’est une fonction naturelle à laquelle il prend plaisir à s’adonner ; il continue, envers et contre tout – et les autres le regardent avec compassion et pitié -, à mettre en avant les valeurs de l’amitié, du lien social et de l’amour, au service d’un humanisme à réhabiliter. La mise en scène directe est sous contrôle, à travers les entrées et les sorties des personnages entourés de miroirs qui laissent du même coup au public la possibilité de se voir et de prendre plus crûment conscience de ses responsabilités.
Bref, un moment de théâtre revivifiant dû à l’intensité des acteurs généreusement engagés dans ce jeu collectif, rythmé et swingué. Une belle conviction rageuse pour la sauvegarde d’un monde à venir perfectible. Bravo.
Véronique Hotte
Théâtre des Halles rue du Roi René Avignon à 11 heures jusqu’au 28 juillet.

Selon la vision d’Hélène Cathala, La Jeune Fille que la rivière n’a pas gardée fait évidemment référence à la triste et poétique Ophélie chère au cœur d‘ Hamlet , étrangement éconduite par son amant troublé et en conséquence, rattrapée par la folie puis versée dans un cours d’eau qui l’emportera au milieu des nymphéas. L’amante mélancolique catalyse ainsi les douleurs sourdes des temps de l’adolescence, cette époque incertaine et chaotique d’éveil à la vie, à sa sensualité et à la conscience qu’on en peut avoir. Sur ce chemin, qui va de l’enfance à la maturité, la jeune fille danseuse, qu’incarne avec sentiment et élégance tout comme avec rage etaa détermination, Nina Santes, joue sur le plateau avec une vingtaine de capteurs à infrarouge, installés grâce au créateur sonore de la pièce, Arnaud Bertrand, intervenant en direct avec sa musique électro.A chaque détecteur que frôle le corps féminin en mouvement, correspond un son différent, une musique personnelle d’orgue géante que déclenchent les mouvements de l’interprète quand elle s’approche d’un capteur puis passe à un autre. S’ensuit une gestuelle créative et inventive, inattendue et provocante, faite de heurts et de glissements, de sauts et de pauses, d’étourdissements et de langueurs, selon l’utilisation par Nina Santes de ses mains, de ses jambes ou de son buste. La danseuse essaye telle mélodie, se rassure, puis tente davantage de violence dans la perception du monde brutal qui l’entoure, capable de la faire frémir et de l’écorcher à vif.Musique et chorégraphie se composent directement sous les yeux du spectateur, attentif à la re-création de cet univers personnel bousculé qu’il va falloir contrôler, au goût acidulé, à la façon des bonbons trop colorés de l’enfance qui reviennent en mémoire. Un spectacle en forme d’hommage à la jeunesse fragile mais courageuse qui transcende dans la maladresse et l’inconfort les obstacles que le fait de vivre dresse devant elle afin de la rendre prétendument plus forte, plus mature et plus autonome.Voilà des valeurs bien sévères et rigides que la danse de La Jeune fille que la rivière n’a pas emportée allège et rend diaphanes en les propulsant dans la sphère cosmique du firmament, comme dans la chambre des merveilles que recèle en lui tout être au seuil de la vie, en piétinant d’impatience face à son propre destin. Un travail délicat sur le printemps énigmatique de l’existence, une réalité partagée.
Cyril Teste parlait déjà des interrogations des enfants , puisque l’un d’eux se trouvait confronté à la disparition de son père. » Nous avions questionné des enfants, dit-il, pour connaître leur utopie, leur relation au monde, car une fois devenus adultes, nous oublions un peu ce que c’est que d’être enfant ».