Où on va papa
Festival d’Avignon
Où on va papa? adaptation de Xavier Carrar de l’ouvrage de Jean-Louis Fournier, mise en scène de Layla Metssitane.
D’abord le mode d’emploi: évitez absolument d’emmener des adolescents ou des personnes un peu sensibles si vous ne voulez pas vous attirer des ennuis… Ce Où on va papa? est sans doute un des spectacles les plus durs et les plus chargésd ‘émotion de tout le festival. Vous vous souvenez peut-être de la polémique lors de la parution du livre qui avait valu le prix Fémina à Jean-Louis Fournier, auteur de nombreux essais et collaborateur de Pierre Desproges. C’est son histoire mais romancée de père qui a tenté de dire , souvent avec une grande franchise, voire même avec un certain cynisme, ce que la vie lui avait donné, quand il n’existait pas ou peu d’examens significatifs pendant la grossesse; ceux qui ont été affrontés à ce genre de cauchemars le comprendront facilement!
Non, ce n’était pas au Moyen-Age mais il y a une quarantaine d’années : sa femme et Jean_Louis Fournier eurent un premier enfant qui se révéla vite gravement handicapé physique et mental, puis un second, victime comme son frère des mêmes handicaps, avec tout ce que cela peut représenter de souffrances et de sentiment de culpabilité . Le couple décida quand même d’avoir un troisième enfant qui est maintenant une jeune femme parfaitement normale. La vie avait enfin cessé de bégayer mais le couple ne résista pas à cette épreuve inhumaine. A l’impossible , nul n’est tenu… Et l’épouse de Jean-Louis Fournier décida entre temps de quitter ce qui devait être un enfer, alla vivre avec un autre homme mais près de l’institution qui avait accueilli ses deux fils Matthieu et Thomas, nommément cités par son ex-mari, de façon à être près d’eux, ce que ne dit pas le roman. On peut voir les photos de ces deux enfants et leur terrible métamorphose sur le blog que leur mère a ouvert. Layla Metssitane qui avait réalisé l’an passé avec bonheur une adaptation de Stupeurs et tremblements d’Amélie Nothomb, s’est attaquée à ce texte pas facile à monter si l’on ne veut pas tomber dans le pathos et garder une distance avec cette douleur au quotidien qu’a ressenti Jean-Louis Fournier au fil des années.
Il n’y pas un mot sur les sentiments de la mère, absolument exclue, ce qui provoqua la polémique quand parut le roman, et qui peut rendre encore plus difficile le passage à la scène. Sur le plateau, une chaise de cuisine des années cinquante en stratifié bleu et tubes inox, et une vieille valise éclairée de l’intérieur avec quelques objets, dont deux boîtes surprises cylindriques en plastique qui symbolisent les deux enfants. C’est tout.
Xavier Carrar est le père; il expose les faits, rien que les faits, avec réserve et précision, sans se laisser emporter par l’ émotion. Et c’est bien que la metteuse en scène l’ait ainsi dirigé. Les phrases n’en sont que plus cinglantes, plus crues et disent tout le désespoir d’un homme encore jeune, épuisé et qui n’arrive pas à comprendre ce qui lui est tombé sur la tête: le bonheur de voir son existence prolongée par la venue d’enfants mais qui est très vite devenu une double peine.
Et comment s’en sortir sans un certain cynisme: « Quand je parle de mes enfants, dit-il, je dis qu’ils ne sont » pas comme les autres « , ça laisse planer un doute .Einstein, Mozart, Michel-Ange n’étaient pas comme les autres. Mes enfants ne ressemblent à personne. Moi qui voulais toujours ne pas faire comme les autres, je devrais être content [...]Maintenant que Mathieu est parti chercher son ballon dans un endroit où on ne pourra plus l’aider à le récupérer, maintenant que Thomas, toujours sur la Terre, a la tête de plus en plus dans les nuages, je vais quand même parler de vous. Pour qu’on ne vous oublie pas, que vous ne soyez pas seulement une photo sur une carte d’invalidité « .
Mathieu et Thomas, dont on se dit qu’ils devaient, malgré tout, être attachants, moururent, le premier il y a une quinzaine d’années, le second il y a trois ans. Mais vivre au quotidien avec deux enfants puis adolescents dont, comme dit la dame qui s’en occupait, »leur cerveau, c’est de la paille » et affronter leur maladie mentale devait être l’horreur absolue. On peut être sensible à la folie d’Ophélie dans Hamlet, ou à celle d’Ajax imaginée par Sophocle mais le théâtre, de mémoire , si friand de folie, ne met pas souvent en scène un tragédie de cette espèce, et Layla Metssitane s’en sort bien; le spectacle est encore un peu brut de décoffrage, et il faudrait que Xavier Carrar puisse arriver à une interprétation plus ample, plus en phase encore avec ce texte hors normes, soutenu par les musiques de Bach, Litz et Schubert. Une des Suites pour violoncelle de Bach aurait peut-être suffi, ce qui aurait donné une plus grande unité au spectacle mais bon…
Alors y aller ou pas? Oui, mais encore une fois, méfiez-vous: c’est peut-être une chose de lire le livre chez soi mais c’en est une autre de le voir ainsi incarné avec efficacité par un jeune acteur à quelques mètres de vous… Le théâtre contemporain ne traduit pas souvent une telle désespérance face aux cadeaux empoisonnés de la vie, la dégradation du cerveau de proches étant ce qu’il y a sans doute de plus redoutable.
Comme le disait un peu cyniquement le père ,médecin, de notre amie Edith Rappoport: « Heureusement qu’il y a le cancer et le sida pour nous épargner cela! »
Philippe du Vignal
Présence Pasteur à 12 h 30.