Anciennes Complaintes de Bretagne

 Anciennes Complaintes de Bretagne, choisies et traduites par André Markowicz et Françoise Morvan.

anciennescomplaintesdebretagne.jpgLa Gwerz, une complainte sur le malheur des femmes soumises, abusées, trahies, violées mais rebelles encore. On savait que Françoise Morvan, chercheuse de talent, traductrice et femme de théâtre, frayait naturellement avec le russe de Tchekhov comme avec la langue irlandaise de Synge. On savait qu’André Markowicz, son complice traducteur et homme de théâtre, n’était pas en reste pour l’œuvre de Dostoïevski, de Gogol, de Pouchkine et de Shakespeare. Mais on ne savait pas encore qu’ils aimaient à réunir et à traduire les Gwerz, d’Anciennes Complaintes de Bretagne, ouvrage précieux publié aux Éditions Ouest-France dont le breton est revu par Marthe Vassallo.
Le temps passant, la culture populaire bretonne reste vivante grâce à la musique et à la forme la plus prestigieuse de la chanson bretonne, la grande complainte qu’est la Gwerz ; on a pu l’apprécier avec la voix de Denez Prigent au dernier Festival Interceltique de Lorient (FIL août 2011). La Gwerz est une grande chanson mystérieuse et tragique qui relève de la poésie populaire et d
e l’Histoire, puisqu’il y est question d’histoire littéraire, intellectuelle et morale.
Si la chanson a pu vivre si intensément dans les contrées intérieures bretonnes, c’est qu’elle était chantée, l’expression d’ « une vision du monde partagée par ceux qui la transmettaient »( Françoise Morvan). En 1905, Anatole Le Braz est sensible à la protestation éloquente de la Gwerz qui, si elle parle d’un âge d’or du passé, c’est d’abord d’une vision restrictive des deux classes prépondérantes en Bretagne, la noblesse qui possède les terres, et le clergé qui possède les âmes.
N’entrons pas dans les querelles d’initiés ; signalons que le fonds breton du Barzaz Breiz, l’épopée fabriquée à partir de poésies populaires, a connu une rectification politique par le trop convenu de La Villemarqué, inspiré par la tradition et à la solde de la religion et de la propriété terrienne qui soumettent sans partage le paysan de Basse-Bretagne. En échange, la même épopée, « l’incarnation de la vérité d’un peuple » est analysée avec plus de clairvoyance par Luzel.
Celui-ci parle à ce propos, de chants souvent incomplets, altérés et irréguliers, tel « un mélange singulier de beautés et de trivialités, de fautes de goût, de grossièretés qui sentent un peu leur barbarie et de poésie simple et naturelle, tendre et sentimentale, humaine toujours, et qui va droit au cœur, qui nous intéresse et nous émeut par je ne sais quels secrets, quel mystère, bien mieux que la poésie d’art… »
La Gwerz a été à la fois sacralisée et suspectée, sans cesse collectée, étudiée et transcrite. Réservée aux plus pauvres, et transmise par des illettrés, la Gwerz poursuivait sa voie naturelle et mélancolique dans l’ombre. Or, grâce à l’apparition du magnétoscope, les Gwerz des derniers chanteurs et porteurs de la pure tradition orale ont pu heureusement être captées.  Elles  ont été reprises pour le plaisir par de jeunes chanteurs dans la compréhension de la beauté des chansons. Rendons grâce au répertoire excellemment interprété de Yann-Fanch Quémener, Ifig Troadec, Erik Marchand, Nolwenn Le Buhé, Annie Ebrel, Marthe Vassallo…
La Gwerz, le déroulement d’un long récit selon des formes ritualisées, exige du temps, du calme et une connaissance intime de la langue bretonne. Voilà pourquoi le souci des traducteurs éclairés a été de traduire « au plus près et au plus vrai » afin de transmettre cet univers de poésie « qui nous dépasse et nous grandit. »
Mais de quoi parle la Gwerz ? Du malheur des femmes et de leur rébellion – encore et toujours, au-delà des époques et des contrées. Le thème étrangement moderne de la Gwerz est celui de la femme abusée, trahie, violée, assassinée, soumise à la violence de ses parents, de son mari, du seigneur… Rares sont les figures masculines positives dans les complaintes bretonnes, si ce n’est ce jeune Seigneur Comte qui refuse d’épouser une fée , alors qu’il est déjà marié ; et sa jeune femme accouchée lui reste fidèle alors que la mort a emporté le valeureux. Sur son tombeau, la jeune veuve est « Froide, évanouie, inanimée Au lieu où la mort l’a frappée. » Un beau symbole tragique d’amour humain éternel.
En règle générale, dominent les figures négatives du mâle, seigneurs dépravés et abuseurs de jeunes filles, clercs indécis qui n’assument pas leur passion amoureuse et préfèrent prendre les ordres, comparables aux hobereaux décadents et aux bandits des grands chemins ; pères incestueux, soldats, capitaines, matelots, voleurs, blasphémateurs et violeurs.
Le Fils du Brigand dit n’avoir pas volé les gens, mais un vieux couteau, un mouchoir blanc et « une beauté de rouge sang, Une beauté de dix-huit ans, Son cœur est froid dorénavant. »Toutes les femmes, héroïnes malheureuses, protestent contre la violence subie. La Bergère est assassinée par trois jeunes gens, Marie Derriennic, touchée par la lèpre, est enfermée à vie par ses parents dans une maison de terre : « Marie Derriennic du haut du bois Est la plus belle fille qui soit Mieux eût valu visage moins beau Elle est atteinte du mal nouveau ».
Ailleurs, une jeune femme est mariée contre son gré à L’Enragé, un homme aux yeux rouges qui lui arrache le cœur : « À quoi me sert qu’il soit charmant S’il n’est pas à mon sentiment ? »
Renée Le Glaz, mariée de force non à son bien-aimé mais au vulgaire Erwan Geslard, un noble à fière allure, ne peut que lui promettre son prochain veuvage : « Si demain je suis mariée Dans trois jours vous m’enterrerez. » La jeune femme jette sa malédiction sur cet époux imposé, sur son père et sur sa mère aussi, « Et tous ceux qui privent leurs enfants De vivre et choisir librement ».
Ces propos révèlent un avant-gardisme de la pensée, une promesse de rébellion féminine à venir, quand on sait que la plupart des Gwerz remontent à l’époque classique. Claudinaïc a été abusée, violée et trahie par M. de Villeneuve ; réduite à tuer sa petite fille, elle est condamnée au bûcher pour infanticide. Elle n’aurait pas dû être seule sur le bûcher : « Si la justice était plus juste, Si vraiment on disait la loi, Alors M. de Villeneuve Devrait brûler, là, avec moi. »
Or, la femme, de victime, peut se changer en bourreau. La Marâtre maltraite ainsi son beau-fils et le mène à la mort. Aliette Roland est une mère qui tue l’un de ses fils pour que le cadet puisse hérite. Marianna est une brigande, une sorcière haineuse, qui veut détruire le monde et faire brûler le firmament : « Si je pouvais vivre encore une ou bien deux années, Je laisserais ce monde ruiné et ravagé. »
Pour ce qui est du Seigneur de Kersaozon, il est juge à Rennes ; un père veut marier son héritière, « belle comme une étoile », à ce vieux notable  afin de gagner égoïstement son procès, mais la fille dit au père ses quatre vérités : que le sieur soit gentilhomme et baron ,  il ne lui plaît pas.   Quant à Anne Le Gardien, c’est une figure extraordinaire de force et de conviction qui se moque du Seigneur de Mézomeur qui veut lui faire la cour. Pour se venger, l’éconduit fait venir dix-sept seigneurs qu’Anne assomme grâce à un bâton caché entre sa jupe et son jupon.
Loin d’exprimer l’amour du bon peuple pour ses nobles et ses prêtres, les Gwerz sont l’expression d’une profonde révolte. Le passage de vie à trépas, et inversement, est souvent sollicité dans les complaintes bretonnes. Skolvan, évêque de Léon et fils repenti, sort du monde de la mort pour venir supplier sa mère – une figure de femme héroïque et toute-puissante – de lui pardonner ses crimes passés. Dom Yann Derrien part de son côté pour sauver l’âme de sa mère.
Garan Le Bris, appelé à servir en mer, veut qu’on le prévienne quand sa mère mourra : il obtient la faveur d’entendre sonner les cloches de son bourg de Cavan. Revenu de la mer à cinq cents lieues de là, il « Prit sa pauvre mère dans ses bras Et son cœur épuisé se brisa. »  L’imaginaire breton est fantasque, ouvert à tous les onirismes païens, sacrés ou profanes. La Gwerz est un objet poétique ineffable, un mélange d’espoir dans la vie et de désespoir dans l’épreuve, de gravité et de grâce, un composé de tristesse profonde et de joie candide, un cocktail de révolte et de fatalisme. Comme l’écrit Françoise Morvan, « Souvent la poésie naît justement du silence, de la lacune, du saut par-dessus ce qui n’a pas à être dit et gagne à rester mystérieux, car le grand art de la Gwerz est aussi sa manière de faire découvrir l’abîme entre les mots et le gouffre de l’existence. » Une mise en lumière d’un patrimoine exceptionnel, inextinguible, vivace et joliment vivant entre fées et sorcières, dragons et princesses dans l’âme, entre l’ombre menaçante de la mort et la lumière salvatrice du désir de vivre.

Véronique Hotte

Anciennes Complaintes de Bretagne, choisies et traduites par André Markowicz et Françoise Morvan, Éditions Ouest-France.

 

 


Archive pour août, 2011

Cooperatzia, le village

Festival d’Aurillac

Cooperatzia, le village, écriture et chorégraphie collective du G. Bistaki:  François Julliot, Jive Fleury, Sylvain Cousin, Nicanor de Ella, Florent Bergal, vidéo de Guillaume Bautista., lumière de Hugo Oudin.

aurillac11bistaki.jpgLe G. Bsitaki est un collectif, comme on dit maintenant, de cinq jongleurs/danseurs qui cherche à créer un événement inattendu comme ici la tuile canal et le vieux sac à main,  et ce fut sans doute l’un des meilleurs moments, et l’un des plus poétiques de ce festival. Cela se passe sur les prés et le terrain de foot de l’Institution Saint-Eugène, tout près de la gare, une sorte de havre de paix avec de merveilleux tilleuls où l’on se dit qu’il doit faire bon vivre pour les élèves de cet établissement technique situé presque en centre ville. On arrive pour découvrir un salon vieillot des années 50, téléviseur très bombé, fauteuils en plastique vert foncé…  installé dans un préau. Puis les cinq compères , une tuile derrière la tête qui leur donne un curieux air de grand-prêtre engoncxé dans un  manteau religieux,entament une danse/promenade munis de sacs à main noirs  qui volent de tête en tête par magie, habillés de noir et bientôt  rejoints par une vingtaine personnes, stagiaires entre autres du Conservatoire de  Milan, et le public  va assister ensorcelé à une chute de tuiles canal par effet domino sur les escaliers de secours d’un des bâtiments. Cela tient de la magie, puisqu’ils réussissent même à ce que cet effet domino remonte deux étages…
La promenade continue avec un très beau petit ballet où les gens de G. Bistaki jonglent avec les tuiles canal sans jamais en casser une, puis ils confient à une trentaine de spectateurs une tuile  à tirer par une ficelle, dans un bruit à la fois bizarre et chaleureux. . Au passage, ils font remarquer que des gens aux fenêtres nous observent, grâce aux projections vidéo. Devant le bâtiment,  il y a un grand pré avec une bonne centaine de tuiles canal fichées dans la pelouse comme autant de stèles funéraires, et une scène où aura lieu le ballet final avec l’ensemble des participants.
Le tout tient à la fois de l’installation plastique, de la déambulation presque muséale d’un lieu à destination bien précise mais non théâtrale, de la manipulation d’objets, et , bien entendu de la chorégraphie avec une relation au corps et à l’objet  tout à fait particulière où les danseurs/jongleurs semblent en parfaite osmose avec ce lycée qu’ils ont pris en main, grâce à cet objet magnifique ,au design parfait, à la fois solide et fragile…qu’est la tuile romaine. Le public, et les enfants en particulier n’ont pas ménagé leurs applaudissements à cet ovni dénué de toute prétention ( on ne citera pas d’autres compagnies!) et pourtant plein d’humour et d’intelligence, ce qui fait toujours du bien par où cela passe…

Philippe du Vignal

Institution Sainte-Eugène du 16 au 19 août.

Opéra d’O

Festival d’Aurillac

Opéra d’O – Hommage aux Oxymores par le Groupe Ilotopie.

 operado.jpg  Les quelque 12 cars attendent le public  soit quelque six cent personnes en plein centre d’Aurillac pour l’emmener à vingt kilomètres de là au lac du barrage de Saint Etiennne de Cantalès construit au début des années 40 pour EDF. . N’était une une climatisation démente qui fait tousser, le petit voyage ne manque pas de charme.  » C’est sur la peau de cette eau que, dit-elle,  la compagnie Ilotopie pose et propose son nouveau spectacle Opéra d’O, hommage à l’oxymore qui dit que les eaux vont monter mais que l’eau va manquer. L‘Opéra d’O est un vrai train de vie aquatique paradant à la surface, avec son bestiaire et ses jouets de l’enfance qui masquent toujours à l’homme occidental la réalité du monde  » …( Sic) . Après ces déclarations d’intention pour le moins péremptoires, il était naturel que l’on se pose quand même quelques questions sur ce qui nous a été donné à voir pendant une heure…
Ce titre, sans doute inspiré de celui d‘Histoire d’O, laisse en effet un peu perplexe…comme cette référence  aux  oxymores, figure de stylec omposée deux termes contradictoires utilisée depuis l’Antiquité:   » Saintement criminelle » disait déjà Sophocle d’Antigone ou « Obscure clarté qui tombe des étoiles » écrivait le bon Corneille dans Le Cid..

 Après vingt minutes d’attente, assis sagement sur la plage de sable, les centaines de spectateurs, commencent  à apercevoir de petits radeaux qui passent en silence sur l’eau du lac éclairés par quelques projecteurs. C’est déjà le crépuscule, et défilent ainsi la figure mythique d’un roi assis à un grand bureau contemporain en stratifié, une énorme ballerine en tutu rose, une fée avec son bâton de fée, un homme en cape noir,e un cercueil flottant  recouvert d’une couronne de fleurs qui va s’ouvrir pour laisser apparaître une belle jeune femme. Aucune parole mais  la seule musique de Phil Spectrum ( qui a déjà écrit pour Ilotopie  et Generik Vapeur )pour accompagner les images proposées.
Il y a aussi  un radeau assez impressionnant, une sorte de voie ferrée avec des lampadaires qui se relèvent avec un pompier et son échelle, un soldat de l’Empire, une autre ballerine, voie ferrée qui, à un moment donné, va se scinder en plusieurs tronçons autonomes. Le tout avec pas mal de fumigènes pour faire de la brume, ou  du rouge,  ( décidément une manie de ce festival!, ou  du noir.. Cela  a quelque chose d’impressionnant, du moins … quelques secondes durant. Aucun doute possible:  la réalisation logistique et  technique est remarquable, et cela semble parfois tenir de la magie quand on voit ces radeaux se déplacer en silence dans la nuit…
Oui, mais voilà pour dire quoi? Bruno Schnebelin à quelqu’un qui évoquait devant lui les images  créées par Bob Wilson, disait que c’était bien  ce qu’ il faisait mais sur l’eau.
« En faîte ( sic), un opéra baroque, un peu dévoyé et qui déraille en éclaboussures, en fractures, en joies et en lendemains qui chanteront ». On veut bien mais  d’opéra baroque, nenni!  L’argument employé est quand un peu court et prétentieux…

 Bref, on est  bien loin du compte et,  désolé, mais quand  Bob Wilson, Meredith Monk, Kantor, Chéreau, Strehler ou encore la magnifique Angelica Liddell, pour ne citer qu’eux,  créent des images, chacun dans son style, ils  le font avec pertinence et avec unité, ce qui est loin d’être le cas ici!  Et c ‘est bien dommage, parce que le lieu choisi s’y prêtait  et que la musique de Phil Spectrum a, aux meilleurs moments, quelque chose de profondément poétique. C’était l’occasion aussi de rassembler un public beaucoup plus large que celui du Festival dans les murs.
   N’importe quel petit feu d’artifice sur et près d’un plan d’eau peut produire quelques images qui se laissent regarder mais le public, notamment aurillacois, ne semblait pas dupe devant ces quelques figures  de BD recyclées et presque diffusées en boucle pendant une heure. Ce lac  plein de poésie semblait bien servir de cache-misère à un proposition  poétique qui n’a jamais vraiment donné signe de vie. Un théâtre d’images ne peut être en aucun cas, un petit rassemblement d’images sans véritable fil rouge… C’est tout à fait autre chose et après l’extinction des projecteurs  qui annonçait la fin de ce pseudo-spectacle, il y eut  quelques maigres applaudissements et le public, pas dupe,  qui a quand même payé 12 euros a vite déguerpi… Dommage, vraiment dommage pour le Festival.
  Il faut seulement espérer que Jean-Marie Songy ne se laissera plus prendre à ce genre de piège…

Philippe du Vignal

Lac de Saint-Etienne-de-Cantalès les 19 et 20 août.

Chaos à quai

Festival d’Aurillac suite et fin

 

Chaos à quai, frénésie musicale, pièce originale-création in situ.

 

1001365300x225.jpg Cela se passe à la tombée du jour dans la gare d’Aurillac pour quelque deux cent spectateurs… Du côté de Clermont,  pas l’ombre d’un train, puisqu’il y a des travaux sur la ligne comme l’an passé où avait aussi eu lieu dans cette même gare une performance d’artiste peintre et de musicien ( voir Le Théâtre du Blog d’août 2010). Un  automoteur à diesel va faire son entrée. Bruit de trains d’une grande gare, avec informations généralement inaudibles au micro,un peu plus loin sur une autre voie, une motrice déneigeuse  a allumé ses phares et l’on distingue ses deux grosses hélices rouges à l’avant, pis deux draisines sans ouvriers avec juste leur conducteur.. L’automoteur de Brive-la-Gaillarde a fait son entrée; il y a une douzaine de jeunes femmes qui en sortent avec chacune une valise à roulettes qu’elle vont regrouper sur le quai. L’une d’elles va offrir un bouquet de fleurs au conducteur. Une autre va s’allonger sur un banc du  quai B2, celui des départs pour Brive-la-Gaillarde.
Il y a toujours comme environnement sonore, tout ce qui rappelle de près ou de loin l’univers des gares: chocs métalliques plus forts autrefois que maintenant, grincement  de roues, brouhahas de foules en déplacement, annonces répétées au micro en général à peine audibles  avec en plus, une voix d’opéra; il y a à la fois des interventions instrumentales et vocales, mais aussi des bruits électro-accoustiques; cela donne à la garde d’Aurillac quelque chose d’étrangement surréaliste. Aucun voyageur autre qu’une jeune femme seule à parvenir aux quais depuis l’extérieur. Au loin,, les vaches se prélassent sur leurs beaux près verts . Une jeune voyageuse prend une photo du public sagement assis sur le quai n° 1 qui entend et regarde les choses avec philosophie, même quand il n’y  pas grand chose à voir , comme dans tout bon happening qui se respecte. Sinon, quelques mouvements d’autorails dans les deux sens,  vides de tout voyageur.
Il y a un aussi un  fumigène  qui se met à dispenser une vapeur rouge à chaque bout de  quai. Les lumières de la gare faiblissent, la nuit tombe lentement…  Rien à dire, du côté musical et sonore, Nicolas Frize est est un vieux routier qui  sait impeccablement faire les choses; du côté de la poésie des images, l’on reste un peu sur sa faim, même si cela ne dure que 40 minutes. Mais enfin, ce n’est pas rien de faire entendre le silence d’une gare à travers les bruits de quelques machines ferroviaires réelles beaucoup moins bruyantes que le chaos  de sons enregistrés qui donne alors une autre dimension à l’espace relativement limité de cette petite gare. Jean-Marie Songy, qui ne donnait pas le bon exemple),
tirait sur sa cigarette; on se demande d’ailleurs bien pourquoi certains spectateurs se croient autorisés à enfumer les autres. Et  le public a semblé apprécier cette ballade ferroviaire immobile de 40 minutes…

 

Philippe du Vignal

 

Gare d’Aurillac du 17 au 20 août.

odin-week-festival-odin-teatret-nordisk-teatretlaboratorium-holstebro-

Odin-week-festival-odin-

odin.jpg Nous sommes plus d’une cinquantaine, en majorité des jeunes gens venus de quatre continents, venus consacrer dix jours à l’observation et aux pratiques de l’Odin Teatret, compagnie fondée en 1964, installée depuis 46 ans dans une ancienne ferme rénovée de cette petite ville du Jutland danois, étonnant lieu de vie de la compagnie, qui tourne dans le monde entier. Eugenio Barba nous accueille:  » Bienvenue aux îles Galapagos où vous trouverez des espèces disparues dans le reste du monde !” L’Odin Teatret, Nordisk Teaterlaboratorium a monté 23 spectacles qui ont tourné dans 41 pays, sur les 5 continents, organisé plusieurs sessions de l’ISTA (École internationale d’anthropologie théâtrale) des séminaires internationaux, organisé des soirées troc avec des spectateurs inconnus, etc… Depuis 1980, L’Odin Teatret interrompt ses longues tournées pour se consacrer à Holstebro à une semaine de rencontres autour du training quotidien des acteurs de la compagnie, avec  performances et  rencontres autour de l’apprentissage des membres de la compagnie. Programme nourri qui  débute par un entraînement  énergique dès 7 heures du matin; c’est Augusto Omolù, danseur brésilien d’Andersen’s dream (1) qui ouvre le feu en emmenant  les stagiaires dans une course frénétique, avant le petit déjeuner de 8 h. Après une petite pause, nouvel entraînement  avec d’autres acteurs de la compagnie, Roberta Carreri, Tage Larsen, avant l’une des performances quotidiennes qui vont se succéder au cours de la semaine.Peu de temps libre, hormis les soirées après 22 h: tous les stagiaires doivent prendre en charge par équipes, le nettoyage des beaux lieux de vie de ce vaste espace qui doit rester impeccable, ainsi que. le service de table.

 

INSIDE THE SKELETON OF THE WHALE, performance de l’Ensemble de l’Odin Teatret ouvre la première soirée. Nous sommes conviés à nous asseoir autour de longues tables immaculées de banquet se faisant face, comme les gradins de l’Odin. Eugenio Barba et un autre acteur remplissent longuement nos verres de vin, avant qu’une dizaine d’acteurs, musiciens, accordéon, violon, banjo, ukulele, n’envahissent l’espace scénique avec une vitalité saisissante.Les  familiers de l’Odin Teatret peuvent reconnaître des bribes de Kaosmos, présenté au Théâtre du Lierre en 1995, avec le door keeper, gardien de la porte qui empêche l’homme de la campagne de franchir ce passage, devant lequel il mourra. Personne d’autre ne pourra y entrer car cette porte a été construite spécialement pour lui.Il y a aussi la fable du père qui mange son pain et donne à son fils qui a faim une pierre ! Cette pierre lui permettra de tuer le serpent qui l’attaque, mais il tuera aussi son père ! De belles montées lyriques, une grande énergie vitale, mais il ne faut pas chercher à démêler les fils des chemins tortueux empruntés par la compagnie, comme d’ailleurs dans les autres spectacles de l’Odin. (1) dernier spectacle de l’Odin Teatret accueilli par Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil en 2008.L’Odin Teatret y présentera son nouveau spectacle en février 2012.

UDITH avec Roberta Carreri, Odin Teatret 23 août Texte Eugenio Barba et Roberta Carreri, sculpture I Wayan Sukarya, musique arrangée par Ian Ferslev Roberta Carreri dans un déshabillé écarlate qui s’ouvre par instants sur une chemise immaculée, drapée dans sa magnifique chevelure, incarne Judith qui vient de trancher la tête d’Holopherne, général assyrien qu’elle a séduit, pour sauver son peuple juif du massacre. La tête d’Holopherne est à ses pieds, parfois entre ses jambes, on dirait qu’elle vient de la mettre au monde, elle a une relation amoureuse avec celui qu’elle vient de décapiter. Judith est hiératique, féroce, magnifique et désespérée. Roberta Carreri vibre de sensualité et de fureur, elle aimait celui qu’elle a sacrifié, celui auquel on va la sacrifier. Elle donne sa pleine mesure dans le texte qu’elle profère dans sa langue maternelle. Ce splendide solo créé voilà plusieurs années a été monté en coproduction avec le Teatro Tascabile di Bergamo et le Centre expérimental de recherche de Pontedera.

KILLING TIME  Performance de Julia Varley, Odin Teatret 24 août Un homme en frac pénètre sur le plateau, il est très grand, il a une tête de mort c’est Mr Peanut, personnage né en 1976 dans les étonnantes parades de rue de l’Odin. C’est un personnage qui a mené une vie étrange sur plusieurs continents, de Buenos Aires à New-York en passant par Blois, Pontedera et Mexico, dans les rues et dans les soirées troc… Il est élégant avec son foulard rouge, ses gants blancs, il est muet et drôle, ce qui est plutôt insolite ici. Il se se dandine guilleret sur une musique joyeuse, dévoile un petit poupon qu’il habille et couche dans un petit hamac. Cette confrontation ironique sans parole avec la mort déclenche des rires bienfaisants.

DONA MUSICA BUTTERFLIES  Odin Teatret 24 août avec Julia Varley, musique de Jan Ferslev et Frans Winther, direction Eugenio Barba Julia Varley a partagé un quart de siècle de sa vie professionnelle avec l’Odin Teatret qui l’a accueillie pour jouer Kaosmos où elle jouait entre autres, le gardien de la porte. Dona Musica la met en scène dans un dialogue avec les personnages qu’elle a incarnés, la confusion qui a pu s’emparer d’elle dans la déclinaison de ses différentes identités, ses problèmes de voix qu’elle a tenté de résoudre pendant toutes ces années. C’est la transformation d’une chenille en papillon, dans son jardin, au milieu des fleurs dans un cercle magique, Dona Musica enlève sa perruque pour évoquer la mort des spectacles de l’Odin et leur renaissance dans celui qui va naître.

ESTER’S BOOK Performance d’Iben Nagel Rasmussen, 25 août Violon Uta Motz, mise en scène Eugenio Barba Iben Nagel Rasmussen interprète la vie de sa mère Ester Nagel. Elle est accoudée à sa table de travail à la lumière de sa lampe, on voit les photos de l’enterrement d’Ester projetées sur grand écran, puis sa vie qui défile, enfant, sa vie à la campagne, la guerre, la maturité et la vieillesse commentées par Iben dans un dialogue avec le violon d’Utta Motz. Cette déclinaison attachante d’une vie devient troublante quand sur le visage de la très vieille femme méconnaissable, se superpose celui de l’enfant qu’elle a été !

MY STAGE CHILDREN  d’Else Marie Laukvik Else Marie Laukvik se présente comme la plus vieille actrice de l’Odin Teatret, elle a fait partie du tout premier cercle de l’Odin créé à Oslo en 1963. Ce sont les enfants de théâtre qu’elle a eu avec l’Odin Teatret qu’elle met en scène encore à l’aide d’un film, Ornitofilene et Kaspariana à Oslo, puis à Holstebro Feraï et La maison du père et Come and the day will be ours, Le livre des danses, Anabassis, Le million, L’évangile selon Oxyrhincus et Memoria. Depuis plusieurs années elle a dû quitter le plateau pour des problèmes de santé, mais reste proche de l’Odin où elle vient travailler chaque jour. Sa beauté rayonnante, son agilité fabuleuse nous remettent en mémoire les intenses émotions vécues avec la découverte de La maison du père au Théâtre de la Cité Internationale sous la direction d’André-Louis Perinetti en 1971, puis les danses sur échasses d’Anabasis dans la rue sur les Champs Élysées et dans les rues de Paris en 1977.

THE CASTLE OF HOLSTEBRO  de Julia Varley et Eugenio Barba Direction Eugenio Barba Un géant pénètre sur le plateau, c’est Mr Peanut, en frac, élégant et guilleret, insolite avec sa petite tête de mort. Il se dandine autour du plateau, il se dévêt, sort une jupe, enlève sa tête et c’est Julia Varley qui apparaît. Elle nous emmène dans l’univers de Shakespeare, évoque les amours de Yorick et d’Ophélie, traverse des débris, des fragments des spectacles de l’Odin avec Leonard Cohen et Paco Ibanez, étranges accompagnements. Le public rit beaucoup, malheureusement le texte n’est pas toujours audible pour les derniers rangs.

SALT  avec Roberta Carreri et Jan Ferslev D’après Letter in the wind d’Antonio Tabucchi, adaptation scénique et direction Eugenio Barba Une femme arrive sur une île grecque, comme Orphée, elle est à la recherche d’un amour perdu, qu’elle évoque, qu’elle déplore, qu’elle cherche avec une intensité contenue. Aux rythmes des musiques de Jan Ferslev, ombre blanche de cet amour assis au jardin, elle exprime cette quête à travers des gestes simples et quotidiens, se lavant dans une bassine, dénouant son foulard pour déployer se voluptueuse chevelure, tournant autour du chemin de sel tracé sur le plateau, se faisant un café dans une poétique cafetière de verre, foulant au pied une montagne de sel et s’effaçant derrière un rideau de sel qui tombe sur le plateau. Est-ce le sel des larmes qu’elle a pu verser ? Roberta Carreri porte cette douleur contenue en italien, la langue du poète qui est la sienne, avec une simplicité émouvante. Salt créé en 2002 n’a été joué qu’une centaine de fois, au fil des tournées de l’Odin.

ORÔ DE OTELO Performance d’Augusto Omolù, direction Eugenio Barba, 28 août Musiques : rythmes de cérémonies de candomblé avec des arrangements d’Otello de Verdi (Luciano Pavarotti, Kiri Te Kanawa). Étrange mariage que celui de l’opéra de Verdi avec le Candomblé et les danses des Orixas brésiliens ! Augusto Omolù vêtu d’un élégant costume blanc entre en scène aux rythmes des amours d’Otello et de Desdémone par Verdi, il s’assied pour compulser le livret , se déhanche pris par les rythmes des percussions qui montent, enlève sa veste qu’il dépose délicatement comme dans un acte amoureux. Il se retrouves torse nu et devient possédé par les rythmes du Candomblé.
Le sens des autres parties restent obscures pour qui n’est pas familier des mouvements et des pas des danses des saints et des dieux de la religion candomblé. Augusto Omolù se livre à des danses de possession solitaire qui fait regretter ses trainings du petit matin où il entraîne 50 personnes dans des défilés vertigineux…Surviennent le credo de Iago sur la musique de Verdi, puis le meurtre de Desdémone, sur fond de cérémonie Candomblé, mais ce ce métissage semble étrange et loin d’être évident !
Augusto Omolù, né à Salvador au Brésil a grandi dans le monde religieux du Candomblé, étudié la danse avec Castro Alves dont il a rejoint le corps de ballet. Il a participé depuis 1994 aux différentes sessions de l’ISTA. Depuis 2003, il est devenu membre de l’Odin Teatret, il joue dans Ode au progrès, Great cities under the moon et Andersen’s dream, ainsi que dans leur prochain spectacle La vie chronique.

ITSI BITSI  Performance d’Iben Nagel Rasmussen , Jan Ferslev et Kaï Bredholt, 28 août direction Eugenio Barba Iben et Jan évoquent dans cette performance leurs débuts dans la vie avant de rejoindre l’Odin, la descente aux enfers de la drogue à travers une histoire d’amour pour l’une et les mille et un métiers à côté de la musique pour l’autre. Jan joue de la guitare des vieilles chansons des années 60 en retraçant son parcours, tandis qu’Iben, assise de dos derrière lui, sous un parasol renversé, reste muette puis le secoue pour en faire tomber mille et un flocons, non ce n’est pas de la neige, c’est du papier, ce sont des souvenirs des innombrables voyages autour du monde et aussi de la drogue qu’elle a partagée dangereusement avec Eik son compagnon qui lui a succombé… On reconnaît sur la fin son personnage de Catherine de Cendres de Brecht, étonnant spectacle de l’Odin Teatret (présenté au Théâtre Paul Éluard de Choisy le Roi en 1982). Présenté en Danois, le sens du spectacle pouvait rester obscur, mais sa lecture en anglais restitue une véritable émotion, quand on a suivi depuis 1971 le chemin acrobatique de l’Odin Teatret.

GREAT CITIES UNDER THE MOON Concert de l’Odin Teatret dans l’esprit de Brecht 29 août Avec Kaï Bredholt, Roberta Carreri, Jan Ferslevf, Donald Kitt, Tage Larsen, Augusto Omolù, Iben Nagel Rasmussen, Julia Varley, Torgeir Wethal, Frans Winther, direction Eugenio Barba On retrouve enfin le génie poétique de l’Odin Teatret, avec toute la troupe réunie pour ce spectacle conçu en 2003 avec un groupe de patients de l’hôpital psychiatrique de Bielefeld qui ne devait être joué qu’une fois, il est heureusement resté au répertoire. C’est un voyage musical et poétique dans l’univers de Bertolt Brecht, Jens Bjorneboe, Li Po et Ezra Pound, on y retrouve des passages de Mère Courage avec sa fille muette Catherine qui va réveiller la ville de Halle avant que les Nazis ne la réduisent en cendres. Avec les cendres qui sont répandues, une image très forte, celle d’une croix gammée tracée avec le pied surmontée d’une photo qui pâlit, celle de Torgeir Wethal, compagnon de toujours de l’Odin, emporté par un cancer voilà un an. L’évocation des guerres tient une grande place, celle de Trente ans, la bombe d’Hirosima, la guerre en Irak et en Afganistan. On prend un grand plaisir à retrouver l’incroyable vigueur théâtrale de cette compagnie unique, son agilité, son amour du verbe et de la musique.

ODE AU PROGRÈS par l’Odin Teatret, 30 août avecKai Bredholt, Roberta Carreri, Jan Ferlev, Tage Larsen, Augusto Omolù, Iben Nagel Rasmussen, Julia Varley, Frans Winther, direction Eugenio Barba L’Odin Teatret célèbre un carnaval joyeux et macabre, un ours blanc ouvre la marche, suivi d’un homme-femme, d’Harlequin, de la reine de Saba, et de deux effrayants et drôles de personnages surmontés de minuscules têtes de mort. Il y a aussi un moine sinistre et un joyeux meneur de jeu armé d’un sifflet. Commence un étrange et délirant sabbat musical, l’on voit chose rare dans cette troupe, une étreinte amoureuse entre la reine de Saba et le meneur de jeu et des petits enfants qui naissent d’un oeuf couvé vidés de leur sable, réduits à l’état de squelette, tués joyeusement, puis qui reviennent à la vie. Cet Ode au progrès se termine par l’exécution à bout portant de tous les personnages par un colon coiffé d’un casque, qui fait irruption. On rit, on est émus par cette succession d’images splendides et ironiques. Du grand, du très grand théâtre qui devrait absolument trouver sa place en France dès la saison prochaine.

 

 

Edith Rappoport

 

 Teatret-nordisk-teatretlaboratorium  à Holstebro  (Danemark)

 

 

 


Plan incliné

« Plan incliné » par Tuig

 

plan.jpg Une devinette : trois comédiens avec deux valises et un sac de cordes se tiennent sur un soufflet géant. S’ils parviennent à se hisser en haut d’un plan incliné de six mètres de long, le soufflet bascule de l’autre côté. Sachant que le-dit plan incliné est glissant, comment les trois comédiens font-ils pour parvenir en son sommet ?
Une solution du groupe hollandais Tuig : le premier comédien se couche sur la paroi inclinée ; le deuxième grimpe sur le premier et se dresse à son tour le long du plan ; le troisième escalade les corps des deux autres et parvient au sommet ; puis le premier se hisse sur le corps du deuxième et du troisième, et atteint à son tour le sommet ; enfin le deuxième s’aide du troisième pour parvenir, lui-aussi, en haut du plan incliné. Le soufflet bascule.
Est-ce gagné pour autant ? Que nenni, car le soufflet, en basculant, a dressé le sol que les comédiens viennent de quitter, créant ainsi un nouveau plan incliné à escalader, et ce, d’une autre manière si possible !Telle est la situation kafkaïenne dans laquelle se trouvent les comédiens de Tuig. Sisyphe avait un rocher qui redescendait en bas de la colline lorsqu’il atteignait le sommet ; eux ont un plan incliné qui, en basculant, crée un autre plan incliné…
L’acte prête à sourire de par son absurdité. Mais il est surtout le prétexte de jeux entre les comédiens, jeux de rivalité ou d’entraide. Il occasionne également une tension particulière: nous, spectateurs, développons une sorte d’empathie envers ces hommes affrontant une machine. Enfin, le tout forme belle une image : la machine, par sa complexité (le soufflet est branché à des tuyaux d’orgue), les hommes, par leurs mouvements quasi chorégraphiés.
Que le sens soit absent d’un spectacle n’est pas gênant, à condition que la fonction ludique prenne le relais. Mais là précisément réside la faiblesse de Plan incliné : l’absence de progression dans le jeu finit par étouffer l’envie que nous aurions pu avoir de nous y intéresser. Du coup, nous décrochons bien vite… La situation mise en place par Tuig est certes originale et intéressante, mais, et c’est dommage, son traitement manque de substance.

Nicolas Arribat

 

* Les derniers compte-rendus de spectacles du Festival d’Aurillac par Philippe du Vignal paraîtront seulement cette semaine à cause d’une bronchite virulente attrapée grâce à la climatisation généreusement propulsée dans les cars qui emmènent le public à destination…Avec nos regrets pour ce retard.

When the Rain Stops Falling

When the Rain Stops Falling (Lorsque la pluie s’arrête) d’Andrew Bovell, mise en scène de Peter Hinton

 

when.jpgLe Festival Shaw qui  se déroule chaque année à Niagara on the Lake, au bord du Lac Ontario près de la frontière américaine,  est le seul festival au monde consacré à l’œuvre de  George Bernard Shaw et aux  auteurs dramatiques qui ont émergé pendant son vivant (entre 1856 et 1950).  Cette année, dans le cadre du  Festival Shaw, Peter Hinton, directeur  artistique du théâtre anglais au Centre national des Arts  à Ottawa, a monté  When the Rain Stops Falling (Lorsque la pluie s’arrête), par l’Australien Andrew Bovell.  Cette  première canadienne d’un auteur mieux connu chez nous pour ses scénarios cinématographiques (Strictly Ballroom) que pour ses pièces de théâtre, était une  véritable découverte  et surtout un défi que  Peter Hinton a relevé avec brio.
L’objet de notre regard est la trajectoire mystérieuse de plusieurs générations d’une famille originaire d’Angleterre et d’Australie. Un jeune homme, Gabriel Law (Jeff Meadows) tente de reconstituer la vie de son père Henry (joué par Graeme Somerville avec une puissance tragique remarquable)  qui a disparu quand il avait sept ans. Il ne sait rien de ce père puisque sa mère n’a jamais voulu en parler. Il y a donc des secrets de famille très troublants que le jeune homme voudrait élucider.  Sa quête nous entraîne dans une trajectoire mystérieuse à travers le monde,  alors que le  lien australien marque cette écriture scénique d’une manière inusitée.
    Gabriel tombe amoureux d’une femme appelée aussi Gabrielle  (Krista Colosimo) dont le frère a disparu mystérieusement quand il avait sept ans. Grâce à cette coïncidence, nous devinons que les noms et les chiffres jouent un rôle quasi mystique, contribuant à la tension et au sens de magie qui plane sur l’ensemble du spectacle.
  En effet, l’auteur  introduit des rituels aborigènes, des références au monde sacré des peuples autochtones d’Australie, monde très présent par le poids de son absence, car les dieux planent sur la vie quotidienne dans ce théâtre  marqué par les symboles. Les personnages évoquent  le Roc Uluru, un  site sacré et interdit qui existe vraiment mais qui devient ici  un lieu dangereux qui  attire les hommes et laisse sa marque tragique sur  l’évolution de l’histoire familiale.
 Après avoir lu la pièce et avant de la voir , nous avions craint que le public ait du mal à suivre l’œuvre , vu sa structure complexe, puisqu’elle est composée de temporalités fragmentées où neuf comédiens  deviennent sept personnages pris dans des retours en arrière. Le passé, le présent et le futur se croisent quand  différents acteurs  qui incarnent un même personnage selon les différentes époques de sa vie, se retrouvent tous en scène au même moment, en train de s’observer.  Ainsi, un  personnage est souvent confronté par son propre passé et son propre avenir, et tous ces moments dans le temps glissent les uns dans les autres, créant un effet de fondu enchaîné.
  On pouvait donc craindre le pire et se demander comment Hinton allait s’en sortir. Mais  le résultat est magistral!  Peter Hinton, qui a un goût hyper baroque, une attirance pour le raffinement esthétique parfois même surchargé, nous a proposé, cette fois-ci,  un regard dépouillé qui reste très près du texte. Cette  valse d’ombres  fait ressortir une vision du monde globalisante, un espace où nous sommes  à l’aise, tout en étant fascinés par ce qui se déroule sous  nos yeux et ce qu’on ressent dans les ombres qui hantent la scène.  
rain0445dc.jpgCamellia Koo a conçu une sorte de rideau de fond qui ressemble à un mur en verre, derrière lequel  nous devinons  des formes humaines qui déambulent sous la pluie,  pluie toujours présente avec ces formes qui passent sous leurs parapluies, avec le bruit de la pluie qui tombe et les références aux déluges, aux eaux qui montent, aux inondations.
  Devant le mur et au milieu de la scène,  une grande  table  a plusieurs fonctions. Les rencontres ont  souvent lieu à table pendant que  les personnages mangent leur soupe au poisson – signe de la transformation d’un poisson qui tombe mystérieusement du ciel dans les premiers moments de la pièce, et il y a une forme de communion collective qui emporte  cette petite communauté familiale dans  le mouvement de sa propre histoire. Et souvent, la table se transforme en deuxième scène où les comédiens montent pour regarder le ciel, pour  atteindre le sommet du Roc sacré, lieu interdit qui provoque le drame et qui revient comme un leitmotiv dans les rêves troubles des personnages.
La pluie  joue un rôle important puisqu’elle devient aussi  la métaphore d’une nature qui balaye toute la corruption du monde, une force purificatrice et créatrice du monde des rêves, celui qui allait faire place à un nouvel ordre  du monde évoqué par des références au siècle des Lumières (L’Encyclopédie de Diderot).
  Grâce à un éclairage efficace et à des bruitages bien maîtrisés, la foudre et les coups de tonnerre déchirent le ciel, la corruption est nettoyée et les nouvelles générations vont se libérer du passé et guérir la mémoire familiale. Le monde sera enfin transformé. Hinton réussit à créer une ambiance doucement rêvée  de rituels qui entrent dans la réalité quotidienne de la famille tout en produisant un grand souffle épique qui traverse toutes les cultures. Un très  beau travail  et une des meilleures mises en scène de Peter Hinton depuis que nous le connaissons à la tête du Théâtre anglais du C.N.A.

 

 
 Alvina Ruprecht

 

  Studio Theatre du  Festival Shaw, Niagara on the Lake, Ontario. Du 26 août  jusqu’au 11 septembre. 
 

Critcru

Festival d’Aurillac

 

Critcru par Porcopolis

 

Qu’est-ce que Porcopolis ? Une groupe de réflexion sur l’utilisation médicale du corps du cochon ? Des scientifiques fous prônant la création d’un être hybride, « mi-homme mi-porc » ? Des poètes prenant pour muse nos amis les porcs ? Porcopolis n’est en fait rien d’autre que quelque chose d’aussi vain que prétentieux.
  Décrire le spectacle  ne demande pas beaucoup d’efforts. Une femme, d’abord enfermée dans une cage de verre avec des truies (et donc couverte de leurs excréments), apporte à un unijambiste une prothèse en patte de cochon. Cet acte ne se réalise pas, bien-sûr, en un seul mouvement : Berta Tarrago, le metteur en scène, en fait une véritable messe.
Car c’est bien de cela dont il s’agit, d’une messe, avec tout ce que ce mot suppose de pompe ad hoc.  Pour église, le metteur en scène a choisi une longue impasse. Le porche se présente comme un couloir dans lequel une comédienne, les yeux bandés, se laisse guider par une fillette, qui porte un cochon de lait. De part et d’autre de la travée centrale délimitée par des lumières, des femmes sont assises sur des socles , tenant pour la plupart des enfants en bas-âge, voire des nourrissons.
 Dans la nef, un  parc à bestiaux et à femmes ; et dans le chœur, l’homme unijambiste se dresse sur un socle, sublimé par des effets de lumière. Enfin, en guise de vitraux sont projetés des dessins d’embryons, des citations de scientifiques ou de poètes à thématique porcine. Puis la cérémonie commence, accompagnée d’une musique initiatique, jouée avec violence par quelques musiciens dissimulés dans la pénombre.
  Ce spectacle prétentieux, construit sur la misogynie et l’avilissement, est méprisant  pour  le spectateur…

 

Nicolas Arribat

 

 

Effectivement,  ces vieux relents d’activisme viennois, (Hermann Nitsch et ses petits camarades: Günther Brus, Otto Muhl) – quelque trente ans près- n’ont rien à voir avec une quelconque modernité! en art plastique et en action dramatique.  Et l’on sait en tout cas que ce sont toujours les femmes qui  trinquent dans ces cas-là et ce qu’en dit Nicolas Arribat ne donne guère envie d’aller voir ce spectacle/performance….

 

Ph. du V.

(le) métalOrchestre / Virée(s) vers l’est

Festival d’Aurillac

 

(le) métalOrchestre / Virée(s) vers l’est, par Metalvoice (le) métalOrchestre est un spectacle hybride : il est l’alliage réussi d’effets son et lumière de grande envergure et d’un propos social ; il est également la rencontre non moins réussie entre un orchestre d’harmonie et « le pays de l’usine » de Metalvoice.

Des fumigènes teintés de rouge s’élèvent dans la nuit d’Aurillac : le rouge des haut-fourneaux, le rouge de la révolte. Le chef d’orchestre, en queue de-pie-bleu-de-travail, fend la foule sur un chariot métallique et rejoint son orchestre, installé sur deux estrades. Le concert débute, mais les cuivres et les bois sont rapidement rejoints par des percussions singulières : des ouvriers tapent à tour de bras sur d’énormes caisses ou sur de gigantesques tuyaux métalliques.

C’est une véritable cadence de travail à la chaîne qu’ils imposent alors à l’orchestre. Ce rythme effréné est accompagné d’images d’usines et de slogans projetés, il est ponctué de textes sur le monde ouvrier lus ou slamés. Tout cela illustre, dans une esthétique de réalisme socialiste assumée, la délocalisation d’une industrie, une « virée vers l’est » : des chariots se mettent en branle, traversent la foule et ne s’arrêtent que pour la dominer, à distance.

Cette proposition de Metalvoice sent la sueur et la conscience de classe, la grève et l’injustice sociale. Elle ne changera certes pas le monde, car sa force est avant tout d’ordre visuel. Mais, à la fin du spectacle, l’air de l’Internationale plane tout de même sur la place de la Paix, tel un vieux spectre…

 

Nicolas Arribat

 Jusqu’au 19 août à 23h Place de la Paix.

HoriZOne


HoriZOne
par le groupe Zur.

  Le genre de soirées à marquer d’une pierre noire. L’aventure avait déjà mal commencé: le public d’un âge canonique- très peu de jeunes ( le spectacle était payant!) se rue sur les trois bus qui font la navette-obligatoire- ce qui en soi n’est pas une mauvais idée- et transporte tout son monde, après un long détour un peu inexplicable dans les hauteurs d’Aurillac. On fait descendre tout le monde, mais,  erreur,  ce n’était pas là, donc on fait remonter tous les spectateurs et les trois bus nous déposent au pied d’une impasse dans un lotissement. On attend encore debout au moins cinq minutes puis on repart… en longeant le cimetière dans un petit chemin creux. La nuit est déjà tombée…
Nouvel arrêt obligatoire pour regarder une grande photo- type panneau d’affichage- de ce même chemin creux. puis l’on continue à monter le long de ce cimetière dont les porte bizarrement sont ouvertes. Et la montée continue dans un pré très pentu, ni très beau ni très laid,  qui domine une partie de la ville d’Aurillac. On passe devant une sorte de tour de guet en ferraille où va officier un peu plus tard un batteur. Quelques chaises et quelques bancs assez bancales sont  installés sur la pente, tant mieux pour ceux qui courent le plus vite, tant pis pour les autres, Dieu reconnaîtra les siens…
En haut de la tour , il y a comme un court-circuit ( faux bien entendu) il a dans le pré de nombreuses ampoules électriques installées sur des tiges de fer qui se balancent au gré du vent du soir, des panneaux blancs rectangulaires où sont projetées des images de campagne, il y a aussi une bonne dizaine de ruches qu’un apiculteur enfume soigneusement sans que l’on puisse y croire un instant. Plus en haut de la colline, un homme court dans le faisceau d’un projecteur puis marche une femme en robe  en rouge à son bras ; on installe des chevalets de bois avec un fil. Aucun texte enregistré ou in vivo. On entend des sonneries de vaches que réalise assez bien le batteur.
Une des dernières images: une petite maison en bois  en haut  de la colline s’enflamme, seule image un peu stéréotypée- mais qui fasse  un effet certain. Puis le public est invité à monter jusqu’en haut de la colline et à regarder les débris calcinés de la maison. Fin de la plaisanterie d’une longue-trop longue- heure de « spectacle/performance/ réflexion écologique… Aucun applaudissement!  » C’est dit le groupe Zur, apercevoir un  nouveau paysage-monde dans le quotidien, ouvrir des points de vue en avant. Recadrer le connu et contempler l’inconnu qui a toujours été là, caché à notre  regard hâtif. Trouver l’intrus dans notre regard obtus. L’opportun inattendu  (…) Perdre ensemble le temps » .
Cette création collective du groupe Zur « qui veut défendre un art collectif et pluridisciplinaire », en mêlant des pratiques artistiques a quelque chose d’une rare prétention  mais aussi d’une vacuité  inoubliable. Jean-Marie Songy, le directeur du Festival nous avouait  hier à demi-mots que le Groupe avait mal choisi son lieu et que la proposition n’était pas vraiment aboutie dans les conditions  où cette création in situ avait été produite…. En tout cas, les Aurillacois présents, qui aiment leur ville et la très belle région de la Châtaigneraie étaient furieux d’avoir dû débourser 12 euros pour ne rien voir ou si peu… Que sauver de ce marasme? Pas grand chose sinon l’image de la petite maison en flammes, et le balancement des lumières dans le pré…
Cerise sur le clafoutis: il a fallu attendre encore dix minutes pour que les navettes reviennent, et, deuxième cerise sur le clafoutis, elle étaient à peine arrivées que le public a pu bénéficier aussitôt, le ciel ayant puni tout le monde , d’une douche tiède sans doute, mais abondante… Il y a parfois de ces soirs maudits dans un Festival…

 

Philippe du Vignal

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