Anciennes Complaintes de Bretagne
Anciennes Complaintes de Bretagne, choisies et traduites par André Markowicz et Françoise Morvan.
La Gwerz, une complainte sur le malheur des femmes soumises, abusées, trahies, violées mais rebelles encore. On savait que Françoise Morvan, chercheuse de talent, traductrice et femme de théâtre, frayait naturellement avec le russe de Tchekhov comme avec la langue irlandaise de Synge. On savait qu’André Markowicz, son complice traducteur et homme de théâtre, n’était pas en reste pour l’œuvre de Dostoïevski, de Gogol, de Pouchkine et de Shakespeare. Mais on ne savait pas encore qu’ils aimaient à réunir et à traduire les Gwerz, d’Anciennes Complaintes de Bretagne, ouvrage précieux publié aux Éditions Ouest-France dont le breton est revu par Marthe Vassallo.
Le temps passant, la culture populaire bretonne reste vivante grâce à la musique et à la forme la plus prestigieuse de la chanson bretonne, la grande complainte qu’est la Gwerz ; on a pu l’apprécier avec la voix de Denez Prigent au dernier Festival Interceltique de Lorient (FIL août 2011). La Gwerz est une grande chanson mystérieuse et tragique qui relève de la poésie populaire et de l’Histoire, puisqu’il y est question d’histoire littéraire, intellectuelle et morale.
Si la chanson a pu vivre si intensément dans les contrées intérieures bretonnes, c’est qu’elle était chantée, l’expression d’ « une vision du monde partagée par ceux qui la transmettaient »( Françoise Morvan). En 1905, Anatole Le Braz est sensible à la protestation éloquente de la Gwerz qui, si elle parle d’un âge d’or du passé, c’est d’abord d’une vision restrictive des deux classes prépondérantes en Bretagne, la noblesse qui possède les terres, et le clergé qui possède les âmes.
N’entrons pas dans les querelles d’initiés ; signalons que le fonds breton du Barzaz Breiz, l’épopée fabriquée à partir de poésies populaires, a connu une rectification politique par le trop convenu de La Villemarqué, inspiré par la tradition et à la solde de la religion et de la propriété terrienne qui soumettent sans partage le paysan de Basse-Bretagne. En échange, la même épopée, « l’incarnation de la vérité d’un peuple » est analysée avec plus de clairvoyance par Luzel.
Celui-ci parle à ce propos, de chants souvent incomplets, altérés et irréguliers, tel « un mélange singulier de beautés et de trivialités, de fautes de goût, de grossièretés qui sentent un peu leur barbarie et de poésie simple et naturelle, tendre et sentimentale, humaine toujours, et qui va droit au cœur, qui nous intéresse et nous émeut par je ne sais quels secrets, quel mystère, bien mieux que la poésie d’art… »
La Gwerz a été à la fois sacralisée et suspectée, sans cesse collectée, étudiée et transcrite. Réservée aux plus pauvres, et transmise par des illettrés, la Gwerz poursuivait sa voie naturelle et mélancolique dans l’ombre. Or, grâce à l’apparition du magnétoscope, les Gwerz des derniers chanteurs et porteurs de la pure tradition orale ont pu heureusement être captées. Elles ont été reprises pour le plaisir par de jeunes chanteurs dans la compréhension de la beauté des chansons. Rendons grâce au répertoire excellemment interprété de Yann-Fanch Quémener, Ifig Troadec, Erik Marchand, Nolwenn Le Buhé, Annie Ebrel, Marthe Vassallo…
La Gwerz, le déroulement d’un long récit selon des formes ritualisées, exige du temps, du calme et une connaissance intime de la langue bretonne. Voilà pourquoi le souci des traducteurs éclairés a été de traduire « au plus près et au plus vrai » afin de transmettre cet univers de poésie « qui nous dépasse et nous grandit. »
Mais de quoi parle la Gwerz ? Du malheur des femmes et de leur rébellion – encore et toujours, au-delà des époques et des contrées. Le thème étrangement moderne de la Gwerz est celui de la femme abusée, trahie, violée, assassinée, soumise à la violence de ses parents, de son mari, du seigneur… Rares sont les figures masculines positives dans les complaintes bretonnes, si ce n’est ce jeune Seigneur Comte qui refuse d’épouser une fée , alors qu’il est déjà marié ; et sa jeune femme accouchée lui reste fidèle alors que la mort a emporté le valeureux. Sur son tombeau, la jeune veuve est « Froide, évanouie, inanimée Au lieu où la mort l’a frappée. » Un beau symbole tragique d’amour humain éternel.
En règle générale, dominent les figures négatives du mâle, seigneurs dépravés et abuseurs de jeunes filles, clercs indécis qui n’assument pas leur passion amoureuse et préfèrent prendre les ordres, comparables aux hobereaux décadents et aux bandits des grands chemins ; pères incestueux, soldats, capitaines, matelots, voleurs, blasphémateurs et violeurs.
Le Fils du Brigand dit n’avoir pas volé les gens, mais un vieux couteau, un mouchoir blanc et « une beauté de rouge sang, Une beauté de dix-huit ans, Son cœur est froid dorénavant. »Toutes les femmes, héroïnes malheureuses, protestent contre la violence subie. La Bergère est assassinée par trois jeunes gens, Marie Derriennic, touchée par la lèpre, est enfermée à vie par ses parents dans une maison de terre : « Marie Derriennic du haut du bois Est la plus belle fille qui soit Mieux eût valu visage moins beau Elle est atteinte du mal nouveau ».
Ailleurs, une jeune femme est mariée contre son gré à L’Enragé, un homme aux yeux rouges qui lui arrache le cœur : « À quoi me sert qu’il soit charmant S’il n’est pas à mon sentiment ? »
Renée Le Glaz, mariée de force non à son bien-aimé mais au vulgaire Erwan Geslard, un noble à fière allure, ne peut que lui promettre son prochain veuvage : « Si demain je suis mariée Dans trois jours vous m’enterrerez. » La jeune femme jette sa malédiction sur cet époux imposé, sur son père et sur sa mère aussi, « Et tous ceux qui privent leurs enfants De vivre et choisir librement ».
Ces propos révèlent un avant-gardisme de la pensée, une promesse de rébellion féminine à venir, quand on sait que la plupart des Gwerz remontent à l’époque classique. Claudinaïc a été abusée, violée et trahie par M. de Villeneuve ; réduite à tuer sa petite fille, elle est condamnée au bûcher pour infanticide. Elle n’aurait pas dû être seule sur le bûcher : « Si la justice était plus juste, Si vraiment on disait la loi, Alors M. de Villeneuve Devrait brûler, là, avec moi. »
Or, la femme, de victime, peut se changer en bourreau. La Marâtre maltraite ainsi son beau-fils et le mène à la mort. Aliette Roland est une mère qui tue l’un de ses fils pour que le cadet puisse hérite. Marianna est une brigande, une sorcière haineuse, qui veut détruire le monde et faire brûler le firmament : « Si je pouvais vivre encore une ou bien deux années, Je laisserais ce monde ruiné et ravagé. »
Pour ce qui est du Seigneur de Kersaozon, il est juge à Rennes ; un père veut marier son héritière, « belle comme une étoile », à ce vieux notable afin de gagner égoïstement son procès, mais la fille dit au père ses quatre vérités : que le sieur soit gentilhomme et baron , il ne lui plaît pas. Quant à Anne Le Gardien, c’est une figure extraordinaire de force et de conviction qui se moque du Seigneur de Mézomeur qui veut lui faire la cour. Pour se venger, l’éconduit fait venir dix-sept seigneurs qu’Anne assomme grâce à un bâton caché entre sa jupe et son jupon.
Loin d’exprimer l’amour du bon peuple pour ses nobles et ses prêtres, les Gwerz sont l’expression d’une profonde révolte. Le passage de vie à trépas, et inversement, est souvent sollicité dans les complaintes bretonnes. Skolvan, évêque de Léon et fils repenti, sort du monde de la mort pour venir supplier sa mère – une figure de femme héroïque et toute-puissante – de lui pardonner ses crimes passés. Dom Yann Derrien part de son côté pour sauver l’âme de sa mère.
Garan Le Bris, appelé à servir en mer, veut qu’on le prévienne quand sa mère mourra : il obtient la faveur d’entendre sonner les cloches de son bourg de Cavan. Revenu de la mer à cinq cents lieues de là, il « Prit sa pauvre mère dans ses bras Et son cœur épuisé se brisa. » L’imaginaire breton est fantasque, ouvert à tous les onirismes païens, sacrés ou profanes. La Gwerz est un objet poétique ineffable, un mélange d’espoir dans la vie et de désespoir dans l’épreuve, de gravité et de grâce, un composé de tristesse profonde et de joie candide, un cocktail de révolte et de fatalisme. Comme l’écrit Françoise Morvan, « Souvent la poésie naît justement du silence, de la lacune, du saut par-dessus ce qui n’a pas à être dit et gagne à rester mystérieux, car le grand art de la Gwerz est aussi sa manière de faire découvrir l’abîme entre les mots et le gouffre de l’existence. » Une mise en lumière d’un patrimoine exceptionnel, inextinguible, vivace et joliment vivant entre fées et sorcières, dragons et princesses dans l’âme, entre l’ombre menaçante de la mort et la lumière salvatrice du désir de vivre.
Véronique Hotte
Anciennes Complaintes de Bretagne, choisies et traduites par André Markowicz et Françoise Morvan, Éditions Ouest-France.

Le G. Bsitaki est un collectif, comme on dit maintenant, de cinq jongleurs/danseurs qui cherche à créer un événement inattendu comme ici la tuile canal et le vieux sac à main, et ce fut sans doute l’un des meilleurs moments, et l’un des plus poétiques de ce festival. Cela se passe sur les prés et le terrain de foot de l’Institution Saint-Eugène, tout près de la gare, une sorte de havre de paix avec de merveilleux tilleuls où l’on se dit qu’il doit faire bon vivre pour les élèves de cet établissement technique situé presque en centre ville. On arrive pour découvrir un salon vieillot des années 50, téléviseur très bombé, fauteuils en plastique vert foncé… installé dans un préau. Puis les cinq compères , une tuile derrière la tête qui leur donne un curieux air de grand-prêtre engoncxé dans un manteau religieux,entament une danse/promenade munis de sacs à main noirs qui volent de tête en tête par magie, habillés de noir et bientôt rejoints par une vingtaine personnes, stagiaires entre autres du Conservatoire de Milan, et le public va assister ensorcelé à une chute de tuiles canal par effet domino sur les escaliers de secours d’un des bâtiments. Cela tient de la magie, puisqu’ils réussissent même à ce que cet effet domino remonte deux étages…
Les quelque 12 cars attendent le public soit quelque six cent personnes en plein centre d’Aurillac pour l’emmener à vingt kilomètres de là au lac du barrage de Saint Etiennne de Cantalès construit au début des années 40 pour EDF. . N’était une une climatisation démente qui fait tousser, le petit voyage ne manque pas de charme. » C’est sur la peau de cette eau que, dit-elle, la compagnie Ilotopie pose et propose son nouveau spectacle Opéra d’O, hommage à l’oxymore qui dit que les eaux vont monter mais que l’eau va manquer. L‘Opéra d’O est un vrai train de vie aquatique paradant à la surface, avec son bestiaire et ses jouets de l’enfance qui masquent toujours à l’homme occidental la réalité du monde » …( Sic) . Après ces déclarations d’intention pour le moins péremptoires, il était naturel que l’on se pose quand même quelques questions sur ce qui nous a été donné à voir pendant une heure…
Cela se passe à la tombée du jour dans la gare d’Aurillac pour quelque deux cent spectateurs… Du côté de Clermont, pas l’ombre d’un train, puisqu’il y a des travaux sur la ligne comme l’an passé où avait aussi eu lieu dans cette même gare une performance d’artiste peintre et de musicien ( voir Le Théâtre du Blog d’août 2010). Un automoteur à diesel va faire son entrée. Bruit de trains d’une grande gare, avec informations généralement inaudibles au micro,un peu plus loin sur une autre voie, une motrice déneigeuse a allumé ses phares et l’on distingue ses deux grosses hélices rouges à l’avant, pis deux draisines sans ouvriers avec juste leur conducteur.. L’automoteur de Brive-la-Gaillarde a fait son entrée; il y a une douzaine de jeunes femmes qui en sortent avec chacune une valise à roulettes qu’elle vont regrouper sur le quai. L’une d’elles va offrir un bouquet de fleurs au conducteur. Une autre va s’allonger sur un banc du quai B2, celui des départs pour Brive-la-Gaillarde.
Nous sommes plus d’une cinquantaine, en majorité des jeunes gens venus de quatre continents, venus consacrer dix jours à l’observation et aux pratiques de l’Odin Teatret, compagnie fondée en 1964, installée depuis 46 ans dans une ancienne ferme rénovée de cette petite ville du Jutland danois, étonnant lieu de vie de la compagnie, qui tourne dans le monde entier. Eugenio Barba nous accueille: » Bienvenue aux îles Galapagos où vous trouverez des espèces disparues dans le reste du monde !” L’Odin Teatret, Nordisk Teaterlaboratorium a monté 23 spectacles qui ont tourné dans 41 pays, sur les 5 continents, organisé plusieurs sessions de l’ISTA (École internationale d’anthropologie théâtrale) des séminaires internationaux, organisé des soirées troc avec des spectateurs inconnus, etc… Depuis 1980, L’Odin Teatret interrompt ses longues tournées pour se consacrer à Holstebro à une semaine de rencontres autour du training quotidien des acteurs de la compagnie, avec performances et rencontres autour de l’apprentissage des membres de la compagnie. Programme nourri qui débute par un entraînement énergique dès 7 heures du matin; c’est Augusto Omolù, danseur brésilien d’Andersen’s dream (1) qui ouvre le feu en emmenant les stagiaires dans une course frénétique, avant le petit déjeuner de 8 h. Après une petite pause, nouvel entraînement avec d’autres acteurs de la compagnie, Roberta Carreri, Tage Larsen, avant l’une des performances quotidiennes qui vont se succéder au cours de la semaine.Peu de temps libre, hormis les soirées après 22 h: tous les stagiaires doivent prendre en charge par équipes, le nettoyage des beaux lieux de vie de ce vaste espace qui doit rester impeccable, ainsi que. le service de table.
Une devinette : trois comédiens avec deux valises et un sac de cordes se tiennent sur un soufflet géant. S’ils parviennent à se hisser en haut d’un plan incliné de six mètres de long, le soufflet bascule de l’autre côté. Sachant que le-dit plan incliné est glissant, comment les trois comédiens font-ils pour parvenir en son sommet ?
Le Festival Shaw qui se déroule chaque année à Niagara on the Lake, au bord du Lac Ontario près de la frontière américaine, est le seul festival au monde consacré à l’œuvre de George Bernard Shaw et aux auteurs dramatiques qui ont émergé pendant son vivant (entre 1856 et 1950). Cette année, dans le cadre du Festival Shaw, Peter Hinton, directeur artistique du théâtre anglais au Centre national des Arts à Ottawa, a monté When the Rain Stops Falling (Lorsque la pluie s’arrête), par l’Australien Andrew Bovell. Cette première canadienne d’un auteur mieux connu chez nous pour ses scénarios cinématographiques (Strictly Ballroom) que pour ses pièces de théâtre, était une véritable découverte et surtout un défi que Peter Hinton a relevé avec brio.
Camellia Koo a conçu une sorte de rideau de fond qui ressemble à un mur en verre, derrière lequel nous devinons des formes humaines qui déambulent sous la pluie, pluie toujours présente avec ces formes qui passent sous leurs parapluies, avec le bruit de la pluie qui tombe et les références aux déluges, aux eaux qui montent, aux inondations.