Vigile par le Théâtre Group, direction artistique et mise en scène de Patrice Jouffroy.
C’est un spectacle aussi intelligent et formidable sous la forme d’une conférence déjantée sur le thème de la sécurité dont nous avait déjà rendu compte Edith Rappoport au festival de Chalon.
A l’entrée extérieure de la salle, sur le goudron brûlant, une vigile féminine de la société Menouillard Security dont la camionnette stationne à quelques mètres, en pantalon de combat bleu et grosses chaussures, interdit formellement de dépasser le ruban rouge et blanc de sécurité ,et injurie sans scrupules un autre vigile aux cheveux gris dans le genre casse-toi, tu fais chier, retourne à ton poste! On ne peut rien dire et le filtrage s’opère sans aucun ménagement: » Votre sac contient un appareil photo? -Non pas du tout. Pourtant c’est bien un sac à appareil photo, donc vous avez un appareil photo. Après cet accueil plutôt musclé auquel tout le monde a cru y compris du Vignal, nous sommes enfin autorisés à pénétrer dans la salle polyvalente. Des alignements de chaises pour 267 personnes comme l’indique la vigile armée de son compteur. Sur une grande estrade, trois chaises devant un écran de projection, et sur le côté plusieurs vigiles masculins au cas où… Accrochées au plafond deux grandes bannières donnent aussitôt le ton : La sécurité: première liberté et Liberté, Egalité, Sécurité. Il ya sur l’estrade pour débattre ds problèmes de sécurité dans notre douce France, un commandant de gendarmerie en uniforme et képi, la coupe de cheveux militaire et fine moustache, et deux cadres de la société Menouillard Security en costume gris assez vulgaires. Et après les remerciements d’usage au Préfet d’Aurillac et au maire d’Arpajon-sur Cère, la conférence commence .
Dans un langage formaté, digne d’élèves de l’ENA, et très langue de bois: les trois complices sont là pour nous vanter…et nous vendre les produits fabriqués par leur firme , le Groupe Vigi-Conseil : caméras de surveillance ou de vidéo-protection c’est selon, pistolets Taser, coffrets de sécurité avec Taser de poche, gel paralysant, etc..
Mais on attend madame la sous-préfète, aux cheveux faussement blonds, ce qui est rarement bon signe; elle arive non en retard mais retardée, très sûre d’elle: elle a la voix criarde et le verbe haut, elle est chez elle, puisqu’elle est gardienne de l’ordre public et le manifeste bien » la meilleure défense reste l’attaque, etc…. Aucun scrupule à jouer sur l’émotion ressentie à l’occasion du meurtre d’une petite fille: tous les coups sont permis dès lors qu’il s’agit de vendre de la sécurité. Et le commandant de conclure: » Je crois que l’on a bien avancé sur le sujet! Il y a aussi un hommage aussi ridicule que naïf, en forme de poème, d’un des vigiles à un collègue décédé, et un petit film réalisé par une jeune cinéaste sur les effets de la violence,. mais, la projection se passe mal: coupures d’images et de son: bref, le commandant de gendarmerie n’apprécie pas du tout ce que se permet de dire la jeune femme et lui rappele que lui et son épouse aiment le cinéma, celui de Woody Allen et de Bunuel en particulier, et qu’il ne saurait tolérer une qualité d’images aussi médiocre. . . Mais il y a comme un couac, puisque le commandant de gendarmerie déclenche un projectile de la mallette qui va blesser le cadre de la société au-dessus de l’œil. Le commandant , plutôt ennuyé, ne trouve plus ses mots et prétend qu’il n’y est pour rien, puis s’en va piteusement par l’allée centrale. Cela aurait pu faire une belle fin mais le Theatre Group a rajouté quelques démonstrations de combat des vigiles, et une engueulade du directeur de Vigi-Consil avec un représentant de la CGT…Ce qui n’était sans doute pas utile. A cette réserve près, le spectacle est à la fois très drôle et inquiétant, mais surtout ludique, bien mis en scène, avec un dialogue d’une grande qualité et une force d’ interprétation rarement atteinte. La démonstration quant aux aspects souvent très limites de ces sociétés de surveillance aux méthodes souvent musclées qui fleurissent un peu partout, est impeccable, et est d’une drôlerie remarquable.
Que demande le peuple? Rien d’autre , le peuple, et, en particulier, les jeunes gens, étaient enthousiastes, et nous aussi. En une heure trente, le Théâtre Group de Lons-le-Saunier signe là, sans contestation possible, un des meilleurs spectacles du Festival. Merci à Jean-Marie Songy de l’avoir invité.
S’il reste des places, courez-y, malgré la chaleur, vous ne le regretterez pas.
Philippe du Vignal
Salle de la Vidalie à Arpajon-sur-Cère jusqu’au 20 août.