When the Rain Stops Falling
When the Rain Stops Falling (Lorsque la pluie s’arrête) d’Andrew Bovell, mise en scène de Peter Hinton
Le Festival Shaw qui se déroule chaque année à Niagara on the Lake, au bord du Lac Ontario près de la frontière américaine, est le seul festival au monde consacré à l’œuvre de George Bernard Shaw et aux auteurs dramatiques qui ont émergé pendant son vivant (entre 1856 et 1950). Cette année, dans le cadre du Festival Shaw, Peter Hinton, directeur artistique du théâtre anglais au Centre national des Arts à Ottawa, a monté When the Rain Stops Falling (Lorsque la pluie s’arrête), par l’Australien Andrew Bovell. Cette première canadienne d’un auteur mieux connu chez nous pour ses scénarios cinématographiques (Strictly Ballroom) que pour ses pièces de théâtre, était une véritable découverte et surtout un défi que Peter Hinton a relevé avec brio.
L’objet de notre regard est la trajectoire mystérieuse de plusieurs générations d’une famille originaire d’Angleterre et d’Australie. Un jeune homme, Gabriel Law (Jeff Meadows) tente de reconstituer la vie de son père Henry (joué par Graeme Somerville avec une puissance tragique remarquable) qui a disparu quand il avait sept ans. Il ne sait rien de ce père puisque sa mère n’a jamais voulu en parler. Il y a donc des secrets de famille très troublants que le jeune homme voudrait élucider. Sa quête nous entraîne dans une trajectoire mystérieuse à travers le monde, alors que le lien australien marque cette écriture scénique d’une manière inusitée.
Gabriel tombe amoureux d’une femme appelée aussi Gabrielle (Krista Colosimo) dont le frère a disparu mystérieusement quand il avait sept ans. Grâce à cette coïncidence, nous devinons que les noms et les chiffres jouent un rôle quasi mystique, contribuant à la tension et au sens de magie qui plane sur l’ensemble du spectacle.
En effet, l’auteur introduit des rituels aborigènes, des références au monde sacré des peuples autochtones d’Australie, monde très présent par le poids de son absence, car les dieux planent sur la vie quotidienne dans ce théâtre marqué par les symboles. Les personnages évoquent le Roc Uluru, un site sacré et interdit qui existe vraiment mais qui devient ici un lieu dangereux qui attire les hommes et laisse sa marque tragique sur l’évolution de l’histoire familiale.
Après avoir lu la pièce et avant de la voir , nous avions craint que le public ait du mal à suivre l’œuvre , vu sa structure complexe, puisqu’elle est composée de temporalités fragmentées où neuf comédiens deviennent sept personnages pris dans des retours en arrière. Le passé, le présent et le futur se croisent quand différents acteurs qui incarnent un même personnage selon les différentes époques de sa vie, se retrouvent tous en scène au même moment, en train de s’observer. Ainsi, un personnage est souvent confronté par son propre passé et son propre avenir, et tous ces moments dans le temps glissent les uns dans les autres, créant un effet de fondu enchaîné.
On pouvait donc craindre le pire et se demander comment Hinton allait s’en sortir. Mais le résultat est magistral! Peter Hinton, qui a un goût hyper baroque, une attirance pour le raffinement esthétique parfois même surchargé, nous a proposé, cette fois-ci, un regard dépouillé qui reste très près du texte. Cette valse d’ombres fait ressortir une vision du monde globalisante, un espace où nous sommes à l’aise, tout en étant fascinés par ce qui se déroule sous nos yeux et ce qu’on ressent dans les ombres qui hantent la scène.
Camellia Koo a conçu une sorte de rideau de fond qui ressemble à un mur en verre, derrière lequel nous devinons des formes humaines qui déambulent sous la pluie, pluie toujours présente avec ces formes qui passent sous leurs parapluies, avec le bruit de la pluie qui tombe et les références aux déluges, aux eaux qui montent, aux inondations.
Devant le mur et au milieu de la scène, une grande table a plusieurs fonctions. Les rencontres ont souvent lieu à table pendant que les personnages mangent leur soupe au poisson – signe de la transformation d’un poisson qui tombe mystérieusement du ciel dans les premiers moments de la pièce, et il y a une forme de communion collective qui emporte cette petite communauté familiale dans le mouvement de sa propre histoire. Et souvent, la table se transforme en deuxième scène où les comédiens montent pour regarder le ciel, pour atteindre le sommet du Roc sacré, lieu interdit qui provoque le drame et qui revient comme un leitmotiv dans les rêves troubles des personnages.
La pluie joue un rôle important puisqu’elle devient aussi la métaphore d’une nature qui balaye toute la corruption du monde, une force purificatrice et créatrice du monde des rêves, celui qui allait faire place à un nouvel ordre du monde évoqué par des références au siècle des Lumières (L’Encyclopédie de Diderot).
Grâce à un éclairage efficace et à des bruitages bien maîtrisés, la foudre et les coups de tonnerre déchirent le ciel, la corruption est nettoyée et les nouvelles générations vont se libérer du passé et guérir la mémoire familiale. Le monde sera enfin transformé. Hinton réussit à créer une ambiance doucement rêvée de rituels qui entrent dans la réalité quotidienne de la famille tout en produisant un grand souffle épique qui traverse toutes les cultures. Un très beau travail et une des meilleures mises en scène de Peter Hinton depuis que nous le connaissons à la tête du Théâtre anglais du C.N.A.
Alvina Ruprecht
Studio Theatre du Festival Shaw, Niagara on the Lake, Ontario. Du 26 août jusqu’au 11 septembre.