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Nous sommes plus d’une cinquantaine, en majorité des jeunes gens venus de quatre continents, venus consacrer dix jours à l’observation et aux pratiques de l’Odin Teatret, compagnie fondée en 1964, installée depuis 46 ans dans une ancienne ferme rénovée de cette petite ville du Jutland danois, étonnant lieu de vie de la compagnie, qui tourne dans le monde entier. Eugenio Barba nous accueille: » Bienvenue aux îles Galapagos où vous trouverez des espèces disparues dans le reste du monde !” L’Odin Teatret, Nordisk Teaterlaboratorium a monté 23 spectacles qui ont tourné dans 41 pays, sur les 5 continents, organisé plusieurs sessions de l’ISTA (École internationale d’anthropologie théâtrale) des séminaires internationaux, organisé des soirées troc avec des spectateurs inconnus, etc… Depuis 1980, L’Odin Teatret interrompt ses longues tournées pour se consacrer à Holstebro à une semaine de rencontres autour du training quotidien des acteurs de la compagnie, avec performances et rencontres autour de l’apprentissage des membres de la compagnie. Programme nourri qui débute par un entraînement énergique dès 7 heures du matin; c’est Augusto Omolù, danseur brésilien d’Andersen’s dream (1) qui ouvre le feu en emmenant les stagiaires dans une course frénétique, avant le petit déjeuner de 8 h. Après une petite pause, nouvel entraînement avec d’autres acteurs de la compagnie, Roberta Carreri, Tage Larsen, avant l’une des performances quotidiennes qui vont se succéder au cours de la semaine.Peu de temps libre, hormis les soirées après 22 h: tous les stagiaires doivent prendre en charge par équipes, le nettoyage des beaux lieux de vie de ce vaste espace qui doit rester impeccable, ainsi que. le service de table.
INSIDE THE SKELETON OF THE WHALE, performance de l’Ensemble de l’Odin Teatret ouvre la première soirée. Nous sommes conviés à nous asseoir autour de longues tables immaculées de banquet se faisant face, comme les gradins de l’Odin. Eugenio Barba et un autre acteur remplissent longuement nos verres de vin, avant qu’une dizaine d’acteurs, musiciens, accordéon, violon, banjo, ukulele, n’envahissent l’espace scénique avec une vitalité saisissante.Les familiers de l’Odin Teatret peuvent reconnaître des bribes de Kaosmos, présenté au Théâtre du Lierre en 1995, avec le door keeper, gardien de la porte qui empêche l’homme de la campagne de franchir ce passage, devant lequel il mourra. Personne d’autre ne pourra y entrer car cette porte a été construite spécialement pour lui.Il y a aussi la fable du père qui mange son pain et donne à son fils qui a faim une pierre ! Cette pierre lui permettra de tuer le serpent qui l’attaque, mais il tuera aussi son père ! De belles montées lyriques, une grande énergie vitale, mais il ne faut pas chercher à démêler les fils des chemins tortueux empruntés par la compagnie, comme d’ailleurs dans les autres spectacles de l’Odin. (1) dernier spectacle de l’Odin Teatret accueilli par Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil en 2008.L’Odin Teatret y présentera son nouveau spectacle en février 2012.
UDITH avec Roberta Carreri, Odin Teatret 23 août Texte Eugenio Barba et Roberta Carreri, sculpture I Wayan Sukarya, musique arrangée par Ian Ferslev Roberta Carreri dans un déshabillé écarlate qui s’ouvre par instants sur une chemise immaculée, drapée dans sa magnifique chevelure, incarne Judith qui vient de trancher la tête d’Holopherne, général assyrien qu’elle a séduit, pour sauver son peuple juif du massacre. La tête d’Holopherne est à ses pieds, parfois entre ses jambes, on dirait qu’elle vient de la mettre au monde, elle a une relation amoureuse avec celui qu’elle vient de décapiter. Judith est hiératique, féroce, magnifique et désespérée. Roberta Carreri vibre de sensualité et de fureur, elle aimait celui qu’elle a sacrifié, celui auquel on va la sacrifier. Elle donne sa pleine mesure dans le texte qu’elle profère dans sa langue maternelle. Ce splendide solo créé voilà plusieurs années a été monté en coproduction avec le Teatro Tascabile di Bergamo et le Centre expérimental de recherche de Pontedera.
KILLING TIME Performance de Julia Varley, Odin Teatret 24 août Un homme en frac pénètre sur le plateau, il est très grand, il a une tête de mort c’est Mr Peanut, personnage né en 1976 dans les étonnantes parades de rue de l’Odin. C’est un personnage qui a mené une vie étrange sur plusieurs continents, de Buenos Aires à New-York en passant par Blois, Pontedera et Mexico, dans les rues et dans les soirées troc… Il est élégant avec son foulard rouge, ses gants blancs, il est muet et drôle, ce qui est plutôt insolite ici. Il se se dandine guilleret sur une musique joyeuse, dévoile un petit poupon qu’il habille et couche dans un petit hamac. Cette confrontation ironique sans parole avec la mort déclenche des rires bienfaisants.
DONA MUSICA BUTTERFLIES Odin Teatret 24 août avec Julia Varley, musique de Jan Ferslev et Frans Winther, direction Eugenio Barba Julia Varley a partagé un quart de siècle de sa vie professionnelle avec l’Odin Teatret qui l’a accueillie pour jouer Kaosmos où elle jouait entre autres, le gardien de la porte. Dona Musica la met en scène dans un dialogue avec les personnages qu’elle a incarnés, la confusion qui a pu s’emparer d’elle dans la déclinaison de ses différentes identités, ses problèmes de voix qu’elle a tenté de résoudre pendant toutes ces années. C’est la transformation d’une chenille en papillon, dans son jardin, au milieu des fleurs dans un cercle magique, Dona Musica enlève sa perruque pour évoquer la mort des spectacles de l’Odin et leur renaissance dans celui qui va naître.
ESTER’S BOOK Performance d’Iben Nagel Rasmussen, 25 août Violon Uta Motz, mise en scène Eugenio Barba Iben Nagel Rasmussen interprète la vie de sa mère Ester Nagel. Elle est accoudée à sa table de travail à la lumière de sa lampe, on voit les photos de l’enterrement d’Ester projetées sur grand écran, puis sa vie qui défile, enfant, sa vie à la campagne, la guerre, la maturité et la vieillesse commentées par Iben dans un dialogue avec le violon d’Utta Motz. Cette déclinaison attachante d’une vie devient troublante quand sur le visage de la très vieille femme méconnaissable, se superpose celui de l’enfant qu’elle a été !
MY STAGE CHILDREN d’Else Marie Laukvik Else Marie Laukvik se présente comme la plus vieille actrice de l’Odin Teatret, elle a fait partie du tout premier cercle de l’Odin créé à Oslo en 1963. Ce sont les enfants de théâtre qu’elle a eu avec l’Odin Teatret qu’elle met en scène encore à l’aide d’un film, Ornitofilene et Kaspariana à Oslo, puis à Holstebro Feraï et La maison du père et Come and the day will be ours, Le livre des danses, Anabassis, Le million, L’évangile selon Oxyrhincus et Memoria. Depuis plusieurs années elle a dû quitter le plateau pour des problèmes de santé, mais reste proche de l’Odin où elle vient travailler chaque jour. Sa beauté rayonnante, son agilité fabuleuse nous remettent en mémoire les intenses émotions vécues avec la découverte de La maison du père au Théâtre de la Cité Internationale sous la direction d’André-Louis Perinetti en 1971, puis les danses sur échasses d’Anabasis dans la rue sur les Champs Élysées et dans les rues de Paris en 1977.
THE CASTLE OF HOLSTEBRO de Julia Varley et Eugenio Barba Direction Eugenio Barba Un géant pénètre sur le plateau, c’est Mr Peanut, en frac, élégant et guilleret, insolite avec sa petite tête de mort. Il se dandine autour du plateau, il se dévêt, sort une jupe, enlève sa tête et c’est Julia Varley qui apparaît. Elle nous emmène dans l’univers de Shakespeare, évoque les amours de Yorick et d’Ophélie, traverse des débris, des fragments des spectacles de l’Odin avec Leonard Cohen et Paco Ibanez, étranges accompagnements. Le public rit beaucoup, malheureusement le texte n’est pas toujours audible pour les derniers rangs.
SALT avec Roberta Carreri et Jan Ferslev D’après Letter in the wind d’Antonio Tabucchi, adaptation scénique et direction Eugenio Barba Une femme arrive sur une île grecque, comme Orphée, elle est à la recherche d’un amour perdu, qu’elle évoque, qu’elle déplore, qu’elle cherche avec une intensité contenue. Aux rythmes des musiques de Jan Ferslev, ombre blanche de cet amour assis au jardin, elle exprime cette quête à travers des gestes simples et quotidiens, se lavant dans une bassine, dénouant son foulard pour déployer se voluptueuse chevelure, tournant autour du chemin de sel tracé sur le plateau, se faisant un café dans une poétique cafetière de verre, foulant au pied une montagne de sel et s’effaçant derrière un rideau de sel qui tombe sur le plateau. Est-ce le sel des larmes qu’elle a pu verser ? Roberta Carreri porte cette douleur contenue en italien, la langue du poète qui est la sienne, avec une simplicité émouvante. Salt créé en 2002 n’a été joué qu’une centaine de fois, au fil des tournées de l’Odin.
ORÔ DE OTELO Performance d’Augusto Omolù, direction Eugenio Barba, 28 août Musiques : rythmes de cérémonies de candomblé avec des arrangements d’Otello de Verdi (Luciano Pavarotti, Kiri Te Kanawa). Étrange mariage que celui de l’opéra de Verdi avec le Candomblé et les danses des Orixas brésiliens ! Augusto Omolù vêtu d’un élégant costume blanc entre en scène aux rythmes des amours d’Otello et de Desdémone par Verdi, il s’assied pour compulser le livret , se déhanche pris par les rythmes des percussions qui montent, enlève sa veste qu’il dépose délicatement comme dans un acte amoureux. Il se retrouves torse nu et devient possédé par les rythmes du Candomblé.
Le sens des autres parties restent obscures pour qui n’est pas familier des mouvements et des pas des danses des saints et des dieux de la religion candomblé. Augusto Omolù se livre à des danses de possession solitaire qui fait regretter ses trainings du petit matin où il entraîne 50 personnes dans des défilés vertigineux…Surviennent le credo de Iago sur la musique de Verdi, puis le meurtre de Desdémone, sur fond de cérémonie Candomblé, mais ce ce métissage semble étrange et loin d’être évident !
Augusto Omolù, né à Salvador au Brésil a grandi dans le monde religieux du Candomblé, étudié la danse avec Castro Alves dont il a rejoint le corps de ballet. Il a participé depuis 1994 aux différentes sessions de l’ISTA. Depuis 2003, il est devenu membre de l’Odin Teatret, il joue dans Ode au progrès, Great cities under the moon et Andersen’s dream, ainsi que dans leur prochain spectacle La vie chronique.
ITSI BITSI Performance d’Iben Nagel Rasmussen , Jan Ferslev et Kaï Bredholt, 28 août direction Eugenio Barba Iben et Jan évoquent dans cette performance leurs débuts dans la vie avant de rejoindre l’Odin, la descente aux enfers de la drogue à travers une histoire d’amour pour l’une et les mille et un métiers à côté de la musique pour l’autre. Jan joue de la guitare des vieilles chansons des années 60 en retraçant son parcours, tandis qu’Iben, assise de dos derrière lui, sous un parasol renversé, reste muette puis le secoue pour en faire tomber mille et un flocons, non ce n’est pas de la neige, c’est du papier, ce sont des souvenirs des innombrables voyages autour du monde et aussi de la drogue qu’elle a partagée dangereusement avec Eik son compagnon qui lui a succombé… On reconnaît sur la fin son personnage de Catherine de Cendres de Brecht, étonnant spectacle de l’Odin Teatret (présenté au Théâtre Paul Éluard de Choisy le Roi en 1982). Présenté en Danois, le sens du spectacle pouvait rester obscur, mais sa lecture en anglais restitue une véritable émotion, quand on a suivi depuis 1971 le chemin acrobatique de l’Odin Teatret.
GREAT CITIES UNDER THE MOON Concert de l’Odin Teatret dans l’esprit de Brecht 29 août Avec Kaï Bredholt, Roberta Carreri, Jan Ferslevf, Donald Kitt, Tage Larsen, Augusto Omolù, Iben Nagel Rasmussen, Julia Varley, Torgeir Wethal, Frans Winther, direction Eugenio Barba On retrouve enfin le génie poétique de l’Odin Teatret, avec toute la troupe réunie pour ce spectacle conçu en 2003 avec un groupe de patients de l’hôpital psychiatrique de Bielefeld qui ne devait être joué qu’une fois, il est heureusement resté au répertoire. C’est un voyage musical et poétique dans l’univers de Bertolt Brecht, Jens Bjorneboe, Li Po et Ezra Pound, on y retrouve des passages de Mère Courage avec sa fille muette Catherine qui va réveiller la ville de Halle avant que les Nazis ne la réduisent en cendres. Avec les cendres qui sont répandues, une image très forte, celle d’une croix gammée tracée avec le pied surmontée d’une photo qui pâlit, celle de Torgeir Wethal, compagnon de toujours de l’Odin, emporté par un cancer voilà un an. L’évocation des guerres tient une grande place, celle de Trente ans, la bombe d’Hirosima, la guerre en Irak et en Afganistan. On prend un grand plaisir à retrouver l’incroyable vigueur théâtrale de cette compagnie unique, son agilité, son amour du verbe et de la musique.
ODE AU PROGRÈS par l’Odin Teatret, 30 août avecKai Bredholt, Roberta Carreri, Jan Ferlev, Tage Larsen, Augusto Omolù, Iben Nagel Rasmussen, Julia Varley, Frans Winther, direction Eugenio Barba L’Odin Teatret célèbre un carnaval joyeux et macabre, un ours blanc ouvre la marche, suivi d’un homme-femme, d’Harlequin, de la reine de Saba, et de deux effrayants et drôles de personnages surmontés de minuscules têtes de mort. Il y a aussi un moine sinistre et un joyeux meneur de jeu armé d’un sifflet. Commence un étrange et délirant sabbat musical, l’on voit chose rare dans cette troupe, une étreinte amoureuse entre la reine de Saba et le meneur de jeu et des petits enfants qui naissent d’un oeuf couvé vidés de leur sable, réduits à l’état de squelette, tués joyeusement, puis qui reviennent à la vie. Cet Ode au progrès se termine par l’exécution à bout portant de tous les personnages par un colon coiffé d’un casque, qui fait irruption. On rit, on est émus par cette succession d’images splendides et ironiques. Du grand, du très grand théâtre qui devrait absolument trouver sa place en France dès la saison prochaine.
Edith Rappoport
Teatret-nordisk-teatretlaboratorium à Holstebro (Danemark)