FRICTIONS n° 17

FRICTIONS n° 17, théâtre écritures sous la direction de Jean-Pierre Han septembre  2011


17.jpg    Il faut saluer la publication de ce remarquable numéro que le rédacteur en chef préface sur l’intermittence de la pensée avec trois articles lumineux de Jean Jourdheuil, un dossier sur le collectif F 71 et un texte fulgurant de Raharimanana. éclairés par deux beaux Portfolios de Gilles Aillaud et de Titina Maselli.
Jourdheuil avec “le théâtre, la culture, les festivals, l’Europe et l’euro” retrace  sur 30 pages passionnantes ,la dégradation inexorable du théâtre public  trente ans  après 1975, avec l’avènement de la société de communication. Metteur en scène, traducteur, auteur d’analyses pertinentes, il a publié dès 1987 dans Libération un article sur Le théâtre immobile qui dénonçait la voie de garage, l’impasse artistique et sociale où le théâtre commençait à s’égarer avec le développement du système festivalier sous les auspices conjointes de Michel Guy et Jack Lang.
L’hégémonie montante du système télévisuel, la privatisation des chaînes publiques commençait à contaminer l’espace public. En 1994, dans La dérive spectaculaire encore publié par Libération, il développe la réflexion sur la société médiatique et l’importance croissante des supermarchés, la perte de la fonction sociale et politique des spectacles de théâtre, la crise des formes dramatiques. Il s’inquiète du public des théâtres, de la disparition, de l’extinction des projets politiques du théâtre en matière culturelle.
Lors d’un  colloque organisé au Quartz de Brest en 1997, il intervient avec un texte éclairé Grandeur et décadence du service public et après quoi ? qui sera publié dans Frictions en 2007. En 2008, pour le 40e anniversaire du TNP de Villeurbanne, dans un nouveau texte La déclaration de Villeurbanne, les nénuphars et les moulins à vent, il  achève de retracer la courbe de l’évolution de la destruction en marche du théâtre public.
Plusieurs analyses lucides de l’évolution de grands festivals, de Nancy, d’Automne et d’Avignon qui finissent par se ressembler, la comparaison avec la vie théâtrale en Allemagne où Jourdheuil a joué un rôle important, le changement du public avec la disparition des troupes dans les théâtres publics, la sous-traitance et la délocalisation, on va , dit-il vers une perte d’identité. “Les théâtres eux-aussi se sont pliés à l’économie de supermarché avec ses animations et ses campagnes promotionnelles (…) La figure du directeur et du metteur en scène des années 60 a ,pour l’essentiel, cédé la place à la figure du programmateur flanqué parfois d’un artiste en résidence ou d’un artiste associé. Quelle est aujourd’hui la relation du programmateur et de ses artistes ? Ne serait-elle pas analogue à celle d’un éleveur et ses volailles élevées en plein air ?”.
Tous ceux qui continuent à lutter dans l’ombre pour préserver un théâtre public et ils sont nombreux, artistes, passeurs et critiques consciencieux doivent lire ce beau numéro de 140 pages qui nous éclaire sur  la lutte à mener.


Edith Rappoport

www.revue-frictions.net


Archive pour septembre, 2011

Le TNP s’ouvre en grand


 

Le T.N.P. s’ouvre en grand

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Christian Schiaretti, directeur du TNP depuis  dix ans,  avait décidé de revoir  l’architecture du bâtiment et, du coup, la conception même de cette salle devenue mythique. Le nouveau théâtre sera inauguré le 11 novembre prochain.  Roger Planchon  reçut en 58 la mission de diriger ce « Théâtre de la Cité ouvrière » qui prit en -suite le nom de Théâtre de la Cité, auquel , Jacques Duhamel, ministre des Affaires culturelles comme on disait alors, décida en 1972 d’attribuer le fameux sigle  T. N. P. ,  jusque là  dévolu au Théâtre de Chaillot. Planchon s’entoura alors de Patrice Chéreau,  puis en 86 de Georges Lavaudant, et c’est Christian  Schiaretti qui lui succèdera. Il aura la volonté de poursuivre le travail de ceux qui l’on précédé avec à la fois, la mise en scène des grands classiques comme L’opéra de quat’sous,   Coriolan ou L’Annonce faite à Marie et montera aussi sept farces et comédies de Molière, ou encore Créanciers et Mademoiselle Julie de Strindberg, et enfin Par-dessus bord de Michel Vinaver et invitera Valère Novarina, Jöel Pommerat ou Olivier Py.
Il créera aussi une troupe permanente de douze comédiens pour la plupart issus de l’ENSATT, dont deux- Olivier Borle et Jérôme Quintard, d’abord passés par l’Ecole du Théâtre national de Chaillot. Christian Schiaretti a beaucoup insisté dans sa conférence de presse sur la notion de transmission et d’histoire du T.N.P. qui dépasse, dit-il avec raison, celle des individus: la sienne, celle de ceux qui l’ont précédé ou qui lui succéderont. Et on le sent un peu obsédé de travailler déjà sa propre succession  » en rendant une lecture claire de notre histoire » pour préserver l’outil de travail qu’il a réussi, au fil des années, à mettre en place. Un livre Les Aventures du T.N.P.  dirigé par André Degaine, malheureusement décédé entre temps, a quand même vu le jour avec des textes de Jean-Pierre Jourdain et des illustrations de Jean-Pierre Desclozeaux.
Le directeur du T.N.P. , peu de temps après avoir avoir pris  ses fonctions, a aussi vu que cette transmission à laquelle il tenait tant, ne pouvait aller sans une profonde rénovation du bâtiment existant conçu par Môrice Leroux, bâtiment qui a  80 ans , et qui a fait partie d’un aménagement urbain du centre de Villeurbanne avec six immeubles dits gratte-ciels et  deux tours d’habitation,  et un Hôtel de Ville. Même si Roger Planchon avait fait rénover la salle, un nouvel aménagement  du théâtre s’avérait indispensable, et, après plus de trente mois de travaux, le nouveau théâtre et la place  ont été complètement réhabilités; l’aménagement  a fait l’objet d’un concours remporté conjointement par le cabinet d’architecture Fabre/ Speller et Massimo Scheurer de l’agence milanaise A rassociati.
Les deux architectes n’en sont pas à leur coup d’essai ( Fabre fut l’ élève du du grand architecte américain Aldo Rossi) et ont restructuré le Théâtre de la Cité Internationale de Paris, La Fenice de Venise, le Théâtre-Opéra Marinsky de Saint-Petersbourg. Et ils travaillent actuellement à la rénovation du cinéma Le Louxor à Paris.
Ce qui frappe, quand on voit les photos, c’est la prise en compte intelligente de l’ensemble architectural : rénovation des façades telles qu’elles étaient en 1930 , mais aussi création d’un véritable outil  de travail mis au service du spectacle vivant : agrandissement de la cage de scène, avec un gril situé à plus de 31 mètres du plateau, ascenseur de scène, création d’une zone de coulisses qui n’existait pas avant et ,dans la salle dont la jauge est de 667 places , conservation de la forme en coquille Saint-Jacques mais suppression des allées. En plus du petit théâtre ouvert en 2009, ont été créées quatre salles de répétition,qui pourront éventuellement recevoir du public le lieu d’une activité dense où travaillent les acteurs dit Schiaretti, et un atelier de costumes et un espace de stockage. Et encore un restaurant, à des prix abordables, ce qu’il n’y a plus à Chaillot, berceau du T.N.P.  depuis longtemps déjà! avec une scène de cabaret. Le financement ? 1/3 Ville, 1/3 Etat, et 1/3 Région Rhône-Alpes et Grand Lyon. Ce qui représente à la fois une volonté commune et sans doute pas mal d’efforts de Schiaretti et des ses collaborateurs pour faire aboutir le projet. L’équipe comprendra 50 permanents, et  nombre d’intermittents.   Au programme de cette rentrée exceptionnelle, la création le 11 novembre prochain de Ruy Blas, la pièce mythique de Victor Hugo qui,  rappelle justement Christian Schiaretti,  a utilisé les trois mots: théâtre, national et populaire dans la préface de Marion Delorme en 1930, soit juste un siècle avant la construction de la salle  de Villeurbanne. « Il  y a dit-il, , une opposition entre les forces surpuissantes  qui amène à dépasser la simple lecture historique ou politique » .
La nouvelle saison s’ouvrira aussi par l’exposition temporaire de la collection personnelle de  masques, notamment asiatiques, de Ehrard Stiefel,  le remarquable concepteur des masques du Théâtre du Soleil. Il y a aussi une autre initiative que revendique Schiaretti, c’est d’associer l’aventure du T.N.P. à celle des Tréteaux  de France maintenant dirigés par Robin Renucci, qui organiseront une tournée de ce  Ruy Blas, et un partenariat avec le T.N.S. et sa directrice Julie Brochen déjà débuté en juin 2011 avec la création de la première partie de l’intégralité du Graal Théâtre qui continuera  en 2012, une manière de saluer Firmin Gémier , le créateur du T.N.P. et son théâtre ambulant.
Le répertoire du T.N.P.  sera aussi mis à profit avec les farces et comédies de Molière, Mademoiselle Julie et Les Créanciers de Strindberg, Don Quichotte, La Jeanne de Delteil… et plusieurs coproductions dont le livre XI des Confessions de Saint-Augustin par Denis Guénoun.
On ne peut que souhaiter longue vie à ce  nouveau T.N.P… et on vous tiendra au courant.

 

Philippe du Vignal

 

T.N.P. : www.tnp-villeurbanne.com

Une nuit arabe

Une nuit arabe de   Roland Schimmelpfenning, mise en scène de Claudia Stavisky

   Claudia Stavisky ouvre sa dixième saison avec un diptyque de cet auteur allemand le plus joué du moment dans son pays. Une nuit arabe est présentée en alternance avec Le dragon d’or avec des intégrales les week-ends. On avait pu voir Une nuit arabe au Théâtre du Rond-Point dans une mise en scène de Frédéric Bélier Garcia, il y a quelques années, seule l’image du grand escalier nous était restée, et pour cause !
L’action se déroule en effet dans la cage d’un escalier desservant une dizaine d’étages, mais l’eau n’arrive  plus en haut  de l’immeuble, les personnages passent leur temps à se chercher, à compter les étages, et à demeurer coincés dans l’ascenseur, dans un rêve des mille et une nuits, ou dans un sommeil onirique.
Chacun commente minute par minute son parcours,  Fatima Mansour , bloquée dehors à la porte de l’immeuble, cherche  son amoureux Khalil coincé dans l’ascenseur, le concierge qui cherche à rétablir l’eau , tombe amoureux d’une belle endormie, co-locataire de Fatima, et Pierre un jeune homme se voit enfermé dans une bouteille près de tomber de l’étagère.
Malgré une distribution solide ( avec entre autres,Jean-Claude Durand, Agathe Molière et Alexandre Zambeaux) et une mise en scène correcte, cette nuit arabe n’arrive pas vraiment à séduire!


Edith Rappoport

Théâtre des Célestins, jusqu’au 16 octobre, www.celestins-lyon.org

Cocteau-Guitry chez Maxim’s

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Cocteau-Guitry chez Maxim’s: N’écoutez pas messieurs de Sacha Guitry et Le Bœuf sur le tôa d’après Jean Cocteau, mise en scène de Gérard Chambre..

     Il y a un peu plus de cent ans, Maxime  Gaillard, garçon de café, ouvrit un bistrot au 3 rue Royale; grâce à Irma de Montigny qui y fera venir une clientèle des plus mondaines , il connaîtra vite le succès mais, piètre gestionnaire, il devra vendre à un certain Cornuché qui lancera ce qui deviendra le célèbre restaurant de la « Belle  époque », et attirera comme une sorte d’aimant les hommes d’affaires, les rentiers et leurs protégées, à des prix qui sont  restés à la hauteur de la réputation du restaurant: du genre entrée à 30 euros, plats à 80 et dessert à 20…
   Il a depuis été racheté par Pierre Cardin, et le lundi soir, jour de fermeture, il  accueille une soirée cabaret. Puisque nous n’y avions jamais pénétré-personne n’est parfait- cela valait le coup d’y aller voir. Le décor, avec ses peintures 1900, a subi quelques retouches, notamment du côté de l’éclairage dans le style d’époque  mais modernisé pas très classe . Malgré les ventilateurs, on étouffe un peu dans cette salle fermée que surplombe une verrière un peu glauque. Au-dessus de la petite scène, une plinthe électrique en plastique pendouille lamentablement  et du côté gauche, un morceau de tissu noir décollé cache assez mal un vide dans le mur. Pour le côté glamour, il faudra repasser…
  Cela commence par N’écoutez pas messieurs de Guitry, une  comédie fondée sur le théâtre dans le théâtre,  où un comédien déjà en scène se voit agressé par une jeune femme qui le menace d’un revolver, au motif qu’il l’a abandonnée et qu’il a osé mettre en scène leurs relations sentimentales. Bref, une scène de ménage  qui ne dit pas son nom.  C’est du Guitry pur sucre, avec un dialogue comme toujours presque trop habile et l’auteur/comédien ne résiste pas au plaisir de s’offrir un mot d’auteur bien placé. Pas bien longue ( 25 minutes), cette petite comédie qui ne rougit pas d’être légère comme il tenait à le préciser, se laisse voir à la rigueur.
  Après quinze minutes d’entracte, Gérard Chambre nous livre ce Bœuf sur le toâ d’après Cocteau avec un petit jeu de mots sur toit pour faire référence à la pièce Toâ où figure ce N’écoutez pas messieurs. Bon! Ce sont uniquement des chansons (17)  pour la plupart bien chantées par Véronique Fourcaud surtout, Mikaël Apamian, Estelle Boin, Gérard Chambre, soit  en solo,  en duo ou en chœur accompagnés par Fabrice Coccitto. Il y a un peu de tout: cela va des célèbres Y’a des zazous de Vinci et Martinet, Mon légionnaire, à Je suis snob de Boris Vian, ou encore Monsieur William de Léo Ferré et Jean-Roger Caussimon.
   La mise en scène est un peu cahotante mais le petit plateau est plutôt fait pour un seul interprète  que pour un piano, un pianiste et quatre interprètes! Et mieux vaut oublier les costumes franchement laids. Mais le public parait content  de retrouver des chansons célèbres ou bien connues.
  A voir? Si vous avez envie de voir le restaurant Maxim’s (sans y aller dîner )et d’entendre quelques chansons en direct, peut-être mais  le rapport qualité/prix (30 euros) n’est pas évident!

 

Philippe du Vignal

 

Restaurant Maxim’s 3 rue Royale 75008 Paris
Réservations: 01-42-637-33

 

  

EGALITE HOMME/FEMME

Ouverture de la saison 1 EGALITE HOMME/FEMME au Théâtre des Célestins.

 Le Théâtre des Célestins à Lyon accueillera, de 18 h à minuit le 7 octobre ,une soirée initiée par l’association H/F Rhône Alpes,  consacrée au redoutable problème de l’égalité hommes /femmes dans le spectacle vivant qui n’a pas fini d’empoisonner la vie culturelle en France.  Même si nous avons eu deux femmes ministres de la Culture en France , Catherine Tasca et Catherine Trauttmann,  84 % des théâtres sont encore actuellement dirigés par des hommes , et à peu près autant de spectacles sont aussi écrits et  créés par des hommes. Même s’il y a maintenant sur les plateaux techniques des régisseuses, accessoiristes, électriciennes…
Mais  la prise de conscience reste encore faible), les spectacles de théâtre, qu’il s’agisse du répertoire classique ou contemporain, sont aussi majoritairement joués par des hommes,  parfois même quand ils sont écrits par des femmes.
Il  y a bien eu ces dernières années quelques efforts-en général,plus que maladroits -comme la triste histoire de la direction du Centre dramatique de Vire retiré au dernier moment à Guy Freixe,  candidat retenu par le jury, pour être confiée à une femme par le Ministère. Mais cela ne doit pas faire oublier que l’égalité professionnelle dans le théâtre vivant reste une priorité absolue.
 Au programme de cette soirée: un labyrinthe artistique, des témoignages, un plateau musique, etc…

Philippe du Vignal
Théâtre des Célestins 4 rue Charles Dullin Lyon 2ème
Informations: hfrhonealpes.fr

Les arts dans la rue à Châtillon

14ème Festival « Les arts dans la rue à Châtillon »

p2bymshuten1300dpi.jpgLes 24 et 25 septembre, un festival de spectacles de rue s’est installé, comme chaque année, à Châtillon. Quelque vingt compagnies de théâtre et de cirque, des orchestres et des danseurs viennent battre l’asphalte de cette petite ville, située à seulement quelques minutes de  Paris. Mais le détour n’en vaut pas forcément la peine…
Il suffit d’un rapide parcours dans le centre ville pour se rendre à l’évidence : ce festival manque cruellement d’identité et de caractère, bien qu’il s’agisse de sa quatorzième édition. Toute personne venue chercher des propositions engagées et innovantes en matière d’art de rue sera déçu : le curseur critique oscille entre « le déjà-vu bien fait » et le « réchauffé écœurant », tout cela dans un esprit général politiquement correct et bien pensant.
Le festival de Châtillon, c’est d’abord du théâtre pour enfant de piètre qualité : des chats dans une poubelle dont la bêtise fait peur plutôt que rire (compagnie Stickleback Plasticus) ; un clown pipi-caca que les programmateurs osent considérer comme héritier de Charlot (compagnie Elastic) ; des fables écologiques à ce point caricaturales et moralisatrices qu’elles relèvent plus de dogmes que d’histoires traitant de notre mode de consommation (compagnie La chose publique).
À cela s’ajoute une bonne programmation musicale : mais est-il besoin d’un festival d’arts de rue pour faire défiler des fanfares ? Les fêtes de villages ne manquent pourtant pas ! À noter deux curiosités, tout de même : la première est l’utilisation ludique, par les musiciens de la compagnie La Preuve par 9, d’objets de récupération et autres cornets hétéroclites ; la seconde est un orchestre de percussions taillées dans du bambou :  les  nombreux musiciens, parfois très jeunes, produisent une ensemble très cohérent (collectif Pousses de Bamboo orchestra).
Enfin, le théâtre de Châtillon, programmateur du festival, a fait venir quelques compagnies de cirque et de danse qui n’ont pas su élever le niveau d’ensemble, surtout  quand elles  s’aventurent dans des domaines pseudo-poétiques ou faussement interactifs…
Où donc se terre l’esprit de la rue, lieu de toutes les révoltes ? Cet espace, fonctionnel s’il en est, ne doit-il pas être interrogé, déstructuré et réévalué par tout artiste qui souhaite y travailler ? Sinon quel intérêt y aurait-il à se produire dans un lieu inadapté ,à bien des égards,  aux spectacles ?
Ces questions, pourtant fondamentales, seraient restées lettre morte à Châtillon s’il n’y avait eut la compagnie P2BYM. Deux danseurs, Yui Mitsuhashi et Patrice de Bénédetti, se confrontent à trois espaces urbains différents : le passage piétons d’un feu tricolore, un abribus, une place avec réverbères. Sans musique et avec un minimum d’accessoires, ils remplissent ces lieux de gestes saccadés, de figures et de corps emmêlés. Par contraste, ils mettent en valeur et en question la fonction de ces espaces, car les piétons continuent de traverser et les bus de passer.
Leur présence suffit à créer une sorte de miroir qui déforme toute l’activité humaine des alentours : un homme qui balaye la rue, une dame promenant son chien, un conducteur écoutant sa musique trop fort prennent alors une dimension comique  et 
esthétique, puisque les règles d’usage s’en trouvent transformées.
Mais il serait bon que l’équipe de programmation fasse de même, et réfléchisse aux intérêts et aux enjeux d’un festival de rue à Châtillon.

 

Nicolas Arribat

Ossyane

Ossyane, d’après Les Echelles du Levant d’Amin Maalouf, mise en scène et adaptation de Grégoire Cuvier.

   ossyanne.jpgOssyane est une fresque historique : animée par le refus de la haine, une famille levantine avance à contre-courant des grands conflits qui ont troublé les deux derniers siècles. Ossyane ( en arabe « insoumission ») est le dernier descendant de cette famille. Le cours mouvementé de son existence le met aux prises avec l’Histoire, dans un acharnement du destin auquel Ossyane s’efforce de résister. Mais les garde-fous de sa raison finiront par céder, entraînant trente années d’obscurité et de folie. C’est cette plongée dans la démence qui a guidé le travail d’adaptation de Grégoire Cuvier. Il confie avoir voulu attirer l’attention sur « ce fragile équilibre dont nous sommes faits », soumis aux aléas incontrôlables du monde extérieur.
Et l’interprétation d’Olivier Cherki finit par éclater d’une force sombre, donnant à voir toute l’étendue des troubles qui s’emparent de l’esprit d’Ossyane. Malgré tout, cette folie n’est développée qu’après une longue première moitié qui fait se succéder les époques à une vitesse parfois vertigineuse (surtout pour les premières séquences). C’est, au final, ce voyage spatio-temporel qui stupéfie le plus. De la chute de l’Empire Ottoman à la guerre civile du Liban, en passant par la deuxième guerre mondiale, Vichy et le conflit israélo palestinien, c’est tout un pan de notre Histoire qui défile, le jeu des acteurs côtoyant les images d’archives.
Grégoire Cuvier a d’ailleurs construit son récit de manière « cinématographique », agençant les scènes de manière à « les faire démarrer le plus tard possible et les couper le plus tôt possible ».L’ensemble, dynamique est fondé sur une maîtrise parfaite de l’espace-temps scénique. Le voyage se fait en effet dans une étonnante fluidité. De menus détails scénographiques, orchestrés par Grégoire Faucheux et alliés aux costumes de Camille Pénager, soulignent le passage du temps comme les changements d’espaces, avec une habile discrétion. Ce sont surtout les métamorphoses des acteurs qui ponctuent l’Histoire. La première, d’Audrey Louis, souligne un travail technique indéniable : de fraîche jeune fille , elle se retrouve grand-mère prostrée sur une chaise après une transformation douloureuse, quelques secondes d’un silence déchirant.
L’équipe de Grégoire Cuvier, présente en son esprit lors de l’écriture du texte, incarne de nombreux personnages autour d’Ossyane. Chaque séquence est lancée par un tableau, une immobilité première qui fige un instant la folle chronologie. Mais si elle donne lieu à de brillantes apparitions (comme celle de Jean-Marc Charrier qui, après avoir joué le père s’impose brutalement en fils renié), cette chorégraphie est parfois trop brusque pour ne pas heurter le spectateur. Ainsi parsemé d’imprécisions, le spectacle n’atteint pas toujours le plein aboutissement : les acteurs sont quelquefois pris en flagrant délit de récitation et l’enchaînement des rôles demande une virtuosité qui n’est pas toujours au rendez-vous.
L’adaptation semble parfois un peu trop complexe pour la scène, mais le spectacle nous entraîne dans une aventure qui joue avec le destin et la tragédie. À travers la folie d’un individu, c’est toute l’humanité que questionne Ossyane.

 

Elise Blanc

 

Au Théâtre 13 jusqu’au 30 octobre.

 

Oui, on confirme; c’est un spectacle qui porte les marques d’une adaptation toujours difficile d’une grande saga romanesque au théâtre, mais et les meilleures scènes sont celles où Ossyane, joué par Olivier Cherki avec beaucoup de sensibilité et d’intelligence, sombre dans la folie. Par ailleurs, Christine Braconier et Audrey Louis sont impeccables.Mais il faudrait que Grégoire Cuvier revoit certaines séquences, surtout au début, où le jeu est comme accéléré et où les comédiens, on ne sait pourquoi, se mettent à réciter le texte, ce qui nuit évidemment à l’unité du spectacle et ne profite à personne.
Mais aucun doute là-dessus, Grégoire Cuvier réussit à faire naître l’émotion , sans effets et sans pathos, ce qui n’est pas si fréquent chez les jeunes metteurs en scène. Après le Roméo et Juliette d’Olivier Py, sec comme un coup de cravache, cela fait du bien. Colette Nucci a eu raison d’inviter cette jeune compagnie.

Ph. du V.

L’Implorante

L’Implorante de Claude Guilmain, mise en scène de Louise Naubert et Claude Guilmain.

 

 implorante.jpg La rencontre de plusieurs formes d’expression artistique : vidéo, sculpture, danse, littérature, photographies et images/textes empruntés à des téléphones mobiles et une suite d’illusions spatiales nous interpellent dès les premiers moments de ce fascinant spectacle. Le fond de mur semble glisser à droite puis  à gauche.
Sans dire un mot, Sylvie Bouchard, la comédienne/danseuse envoie des textos contre le mur, devenu écran ,ou des images comme celle d’un train qui passe, et nous  voilà  dans le métro à Paris, ou dans la cour de l’atelier de Camille Claudel, ou au Musée Rodin  où le rapport entre les amants commence à se dessiner. . Tandis que la jeune comédienne , prépare une exposition dans son atelier parisien, nous entendons une belle  voix ‘off’  qui lit la correspondance passionnée entre Auguste Rodin et Camille Claudel,  l’élève de Rodin  devenue sa maîtresse, son modèle et  était, selon les uns, encore plus douée que le maître.
La première partie du spectacle ( 75 minutes), se situe dans le présent où la relation Rodin-Camille Claudel opère une fascination sur la danseuse et nous devinons un parallèle entre ce rapport déchirant  des deux sculpteurs et  sa propre vie.  Tandis  qu’elle prépare une exposition de photos et  de sculptures, la  toile de fond d’une relation amoureuse est évoquée par les appels téléphoniques qui interrompent le travail de la jeune femme, et qui assurent  le va et vient entre le présent et le passé où un romantisme exacerbé déchire cet autre  corps fragile..!
Et toujours Sylvie Bouchard se transforme en  sculpture vivante, figure pathétique de L’implorante : cette jeune femme constitue une des figures du triptyque L’âge mûr de Camille Claudel qui exprime la tragédie d’une jeune femme abandonnée par son amant pour une femme plus âgée. L’implorante essaye de retenir son amant mais la femme mûre l’emportera. La  deuxième partie du spectacle nous renvoie  au personnage  de  Camille Claudel, après le départ de Rodin.  Temporalités et  récits amoureux se confondent avec un effet est très fort; quand  la voix off  lit le désespoir de Camille dans sa correspondance, Sylvie Bouchard nous plonge alors dans sa vie déchirée par la folie. Gestes  saccadés, membres  désarticulés  d’un corps frénétique qui s’écroule sous  le poids de la douleur…  Un éclairage subtil et discret caresse les formes  nues que nous devinons dans la pénombre d’une conscience qui s’enfonce dans l’abime. Les derniers moments sont intenses.Mais tout d’un coup, c’est fini!  Selon Louise Nabert, il n’y avait pas besoin d’en dire davantage. Dommage: on aurait voulu en savoir plus! Vision minimaliste d’un corps où l’expression de la folie devient le moment insaisissable et  l’espace brouillé  au croisement de la musique, des voix enregistrées, des pas de danse, des formes sculptées, et des  images filmées, l’incarnation d’un esprit qui perd ses moyens dans un chaos chorégraphié  méticuleux… C’est un spectacle  d’une belle émotion qui devrait tourner dans le monde entier. 

 

Alvina  Ruprecht

Théâtre du  Tabaret Hall, Université d’Ottawa, à Zones Théâtrales,Festival des francophonies canadiennes hors Québec.

 


Don Giovanni, keine Pause

Don Giovanni, keine Pause, d’après Mozart, mise en scène de David Marton.

  Vous êtes prévenu : c’est sans entracte. Ça va vite, c’est allégé : trois musiciens, un clavier (parfois un piano), un violon, une guitare électrique et la musique y est. Parfois parasitée de quelques « scies » populaires, du genre Love story. Il faudrait plutôt dire : un pianiste de bar, une violoniste raide comme son archet (mais ne pas s’y fier) et un guitariste aux cheveux longs, car ils sont, autant que les chanteurs, acteurs du spectacle.
Côté livret : Da Ponte est abondamment coupé au profit de Sade et de sa réflexion sur la liberté, incompatible avec la morale. Désir et cruauté sont dans les “gênes“  de Don Juan, non pas à titre de repoussoir comme dans l’autosacramental espagnol d’origine, ni comme symptôme social du « grand seigneur méchant homme » de Molière (où il n’est pas que cela) : ici, avec l’aide de Sade, ils sont à l’état pur.
Donc, pas besoin d’un Don Juan. La fonction est assurée par une femme très androgyne, qui s’amuse à retourner la situation, par exemple, en coursant avec une belle énergie le très consentant et très craintif Leporello – en intellectuel chargé de raconter l’histoire -.
Côté musique, forcément étroitement tricotée avec ce livret irrévérencieux, on entend Mozart parfois comme dans notre salle de bains, parfois dans la mélancolie d’une fin de soirée entre copains, parfois aussi dans la plénitude des voix de ces magnifiques chanteurs-acteurs.
De la déconstruction de l’œuvre, reste le désir de réécouter cette musique – ou de l’écouter, pour ceux qui ne l’ont pas encore dans les oreilles-, et un très agréable sentiment de liberté à l’égard des codes de l’opéra.
Et la cruauté, consubstantielle à Don Juan, y compris sous son avatar Don Giovanni ? Elle sera pour le puriste, que sacrifient allégrement (allégrement, pour notre bonheur), le metteur en scène allemand et les siens.

 

Christine Friedel
MC 93 Bobigny, 01 41 60 72 72 , les 15, 17 et 18 octobre

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Le village de cristal

Le Village de cristal, de Fernand Deligny, mise en scène, scénographie et conception sonore d’Alexis Forestier.

 

 

  Le texte – inédit – de Fernand Deligny est arrivé à Alexis Forestier par des voies très personnelles, et ce n’est pas indifférent : il s’inscrit dans de sa quête obstinée du « Qu’est-ce qu’on fait là ? ». Bonne question pour qui s’expose sur scène, bonne question pour tous. On connaît Fernand Deligny comme pédagogue anti-institution, capable d’aider des enfants autistes, « débiles », délinquants, hors-normes en tous les cas, et de les faire  vivre ensemble, sans être obligés de parler ni d’entrer dans le moule.
Faire la cuisine, travailler le bois, ça peut être une façon de s’exprimer tranquillement. On connaît moins Deligny comme auteur de fiction. Ce Village de cristal pourrait bien être, plutôt qu’une fiction, une parabole. Gros, le “chef“  du village, sent la communauté, le commun, lui filer entre les doigts. Pris par l’inertie, il invente un danger : le “cristal“, qui va venir figer un à un les habitants et les enfants. Déjà, les sons ne parviennent plus de la vallée. Il faut, enfin, faire quelque chose (ceci n’étant qu’une version très simplifiée de cette histoire peu causante, et d’autant plus énigmatique).
Alexis Forestier installe dans l’espace  un réseau: un jeu de ficelles et de cordes toujours en mouvement, ici plutôt pièges et dangers qu’assurance face au vertige, mais… Deligny y verrait une « paille » dans le cristal, propre à empêcher sa solidification. Dans un bain amniotique de musique – tapis de synthétiseurs et ritournelles nécessairement répétitives -, les acteurs construisent en continu le lieu et les questions de leur histoire.
Une femme portant un broc d’eau sur sa tête trouve un équilibre parfait, même perturbé par les autres “villageois“. Ceux-ci traînent leurs outils, se réfugient dans une carcasse sans murs – il faut protéger les enfants -. Et tout ce travail n’empêche pas le “cristal“ de figer un à un les villageois, presque soulagés, finalement de n’avoir plus à se débattre. Ce Village de cristal est autre chose qu’un spectacle : une recherche en travail sous nos yeux. Entendons-nous bien : cette recherche n’a rien d’abscons ne de tâtonnant, elle est aboutie, construite. Aboutie, mais pas fermée. C’est un travail philosophique sur la matière : le sol de béton de l’Echangeur, l’eau, les ficelles, les miroirs parfois aveuglants, la lumière, les son, toujours présents et toujours en mouvement.
Ni le fil de la narration ni le sens de tout cela ne nous et donné à suivre : l’un et l’autre se construisent au fil de la représentation, de notre écoute, de la rêverie à laquelle nous sommes invités. Du reste, le terme de représentation n’est pas bon, et celui de performance ne convient pas non plus. Disons théâtre, nourri de musique, humble et ambitieux. Et cela « ne veut pas rien dire », comme disait Rimbaud.
Alexis Forestier et les Endimanchés ont su écouter la voix fragile de ceux qu’on enferme dans les institutions, et appris d’eux à entendre la vie autrement. Mais c’est dommage de rendre compte de façon intellectuelle d’un objet théâtral aussi radical et aussi sensible.

 

Christine Friedel

 

L’Echangeur – 01 43 62 71 20 – jusqu’au 30 septembre

 

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