Nature aime à se cacher
Nature aime à se cacher, sur Le visible est le caché, de Jean-Christophe Bailly, propos dansé par Jacques Bonnaffé et Jonas Chéreau.
La scène, la scène, ce n’est pas rien, la scène. Il faut y entrer. Ce que font, avec un joli jeu sur le trac – et les traces du trac – le comédien Jacques Bonnaffé et le danseur Jonas Chéreau. Les images et les sons autres que ce qu’ils produisent avec leur propre corps viendront après. Cette fameuse scène est dans le vif du sujet : l’acteur s’expose et en même temps se cache, lui-même et un autre. Or, il s’agit ici de l’autre, toujours présent et cependant rejeté, qu’est l’animal pour l’homme. L’Omme, comme dirait le poète compositeur Jacques Rebotier.
Disons-le tout de suite : le texte de Jean-Christophe Bailly est très philosophique, il décale, bouscule délicatement mots et formules et donne à repenser, et très théorique. De la théorie au théâtre, il n’y a pas si loin : il s’agit d’y voir clair, de regarder les choses en face. De quoi il retourne, de quoi il s’agit et s’agite ? De ce que la différence, l’altérité de l’animal renvoie à l’homme, du fait que ce dernier – dans l’échelle du règne animal, croit-il – ferait mieux de s’intéresser au singe qu’à ce que celui-ci peut imiter de lui. Et que, gagnant la superbe station debout, le bipède a peut-être perdu quelque chose, qu’il pourrait retrouver du côté de l’animal.
De cela, les deux acteurs font théâtre et gai savoir. On connaît Jacques Bonnafé fin diseur, on le découvre danseur. Cheval bronchant, singe chapardeur : avec son partenaire Jonas Chéreau, il sait en trouver la grâce, comme le ridicule pataud de l’homme faisant la bête – danse des canards et chenille festive -. La joie des corps libérés par la rigueur absolue du jeu et de la danse règne sur le spectacle, le duo se répond au quart de seconde en une harmonie humoristique époustouflante d’exactitude. On n’est en reste ni d’images – projetées – , ni de trouées dans le « quatrième mur », ni de métaphores : quand apparaît un « sans abri » (car sur scène, l’acteur est exposé, on l’a vu) embarrassé de son gros sac (bagage intellectuel ? ), n’est-ce pas l’image de l’honnête philosophe?
Le spectacle est court, vif, en état d’alerte. Il tient non sur les épaules mais dans les pieds bondissants des deux acteurs : car ce sont bien ces deux-là qui rendent le texte et la réflexion agissants.
Christine Friedel
Théâtre de la Bastille – 01 43 57 42 14- jusqu’au 18 septembre.