Introspection

Introspection de Peter Handke,  mise en scène de Gwenaël Morin. 

Le metteur en scène est maintenant bien connu du milieu théâtral avec un parcours des plus exigeant notamment avec  son Théâtre Permanent  aux laboratoires d’Aubervilliers où il avait installé un collectif de travail des plus intensifs qui ressemblait à une véritable ruche doté d’une réelle capacité d’expérimentation mais aussi d’innovation, même et surtout quand il s’agit de pièces dites classiques. Avec des hauts et des bas, bien sûr mais toujours avec rigueur et intelligence.
Pas de décors, pas de « costumes », pas de jeux de lumières sophistiqués mais toute l’énergie du spectacle confiée aux seuls comédiens. Et toute cette énergie et cette acquisition de savoir-faire finit par payer…  Il a ainsi présenté le mois dernier une remarquable Antigone d’après Sophocle, dans une cour d’HLM, au dernier Festival d’Aurillac qui a fait un véritable tabac. (voir Le Théâtre du Blog).
Cette fois, G. Morin est allé chercher des fragments d’un texte de Peter Handke  paru en 68. Rien sur le plateau de la petite salle du Théâtre de la Bastille sinon le texte entier affiché collé sur le mur du fond, et le mot Introspection en français et en allemand: Selbstbezichtigung. C’est tout.  Les acteurs sont déjà présents sur le plateau, discrètement sur les deux côtés puis viennent se placer en rang quatre filles et quatre garçons à un mètre du premier rang du public. Ce n’est pas sans rappeler (du Vignal, par pitié, arrêtez de nous resservir vos vieux souvenirs, cela devient fatiguant!) les Mysteries and smaller pieces du fameux Living Theater: même rigueur dans le phrasé, même présence sur le plateau, même  concentration.
Et débute alors  cette étonnante profération du texte de Peter Handke écrit à l’origine pour deux personnages. dans un chœur à huit: alternance une voix/ sept voix ou quatre voix féminines/ quatre voix masculines en réponse, ou avec la totalité du chœur. Et se dévide ainsi cette incantation personnelle qui nous touche de près quant au mode de vie  et à la conduite personnelle, jusque dans les détails insignifiants du quotidien et dans les contradictions les plus élémentaires.
Avec cette litanie du « je » qui revient sans cesse: « J’ai appris qu’il y avait des règlements pour la conduite et pour la pensée. J’ai appris qu’il y avait des règlements pour l’intérieur et pour le dehors. Des règlements pour les choses et pour les hommes. Des règlements généraux et particuliers. Des règlements pour ici-bas et pour la vie éternelle. Des règlements pour l’air, l’eau, le feu, la terre. J’ai appris les règlements et les dérogations. Les règles fondamentales et les règles dérivées. J’ai appris à me plier aux règlements. Je suis devenu un animal social. »
Et la profération de cette litanie  qui pourrait être exaspérante, ne l’est jamais, sans doute parce qu’elle nous touche personnellement, parce qu’elle va  du plus intime à l’universel, avec  quelque chose qui tourne à la folie. Parce que Gwenaël Morin a  fait un travail dramaturgique très solide et eu cette idée formidable de transformer cette partition à deux voix en un chœur qui dit les choses avec une diction, une force et une intelligence du texte assez rares pour être signalées.
Et avec un tempo tout à fait juste: aucune longueur dans cette construction,ce qui est assez rare mais il y a visiblement derrière un gros travail d’une précision exemplaire: la formation d’architecte de G. Morin a dû lui servir, et quand tout est dit ou à peu près, quarante cinq minutes plus loin, le spectacle s’arrête d’un coup: pas de longueurs, pas de fausses fins: la pensée et le temps pour une fois, sont en parfaite harmonie et les comédiens tous remarquables : six de sa troupe: Gianfranco Poddighe , Mélanie Bourgeois, Alexandre Michel , Natalie Royer , Thomas Poulard et deux élèves par roulement de la dernière promotion de l’ École de Saint-Etienne.
Allez-y, vraiment allez-y; on a l’impression de sortir de la Bastille avec l’impression que l’on vous a véritablement parlé et respecté: cela fait toujours du bien par où cela passe.  Cela ne dure que 45 minutes? Oui et après? Mieux vaut quarante cinq minutes de beauté théâtrale que presque trois heures d’opéra-bouffe indigent et laborieux.

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Bastille  jusqu’au 23 septembre et du 6 au 20 octobre.  

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Un commentaire

  1. anne dit :

    Désolée, mais j’ai vraiment du mal à concevoir l’intérêt d’un tel spectacle…

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