Écrire

Écrire de Marguerite Duras, mise en scène de Jeanne Champagne.


ecrire.jpgUne chaise, une table de bureau avec sa jolie petite lampe qui veille dans la nuit, une rose dans un vase, un verre de vin rouge, des bruits lointains de la rue parfois, et en sourdine le téléphone qui sonne auquel on ne répond pas, voilà l’univers privé de Marguerite en train d’Écrire. Ses paroles sont enregistrées sur le plateau ; un magnéto est posé là sèchement sur le sol. La scène est jonchée de bobines de film abandonnées et emmêlées, tandis que se font entendre quelques notes de musique de Carlos d’Alessio dans India Song.
Ce lieu privilégié et ritualisé s’inscrit à Neauphle-le-Château, dans la maison près du parc, des arbres, des oiseaux et des écureuils, mais il peut tout aussi bien évoquer Paris ou bien Trouville, avec la mer non loin. Il suffit d’une fenêtre qui filtre la lumière à toute heure de la journée et d’une table suffisamment longue pour qu’on puisse y écrire, sans que les bras ne tombent dans le vide.
Pendant une heure, le spectateur a le plaisir d’entendre les pensées distillées de Duras, caractéristiques de ce regard féminin singulier et universel, à la fois poétique et philosophique : un point de vue sur le monde, une certitude à transmettre par le biais d’une expérience de la vie pleinement vécue, goûtée et subie, sentie et ressentie à fleur de peau et de larmes – dans la douleur comme dans la joie.
C’est une leçon de choses qui concerne chacun d’entre nous à partir du moment où l’on fait retour sur soi. La solitude existentielle, c’est une équation qui se résout soit par l’écriture, soit par la mort. Mais la solitude inviolable de l’écrit qui finit sur le livre – Le Ravissement de Lol. V. Stein, Le Vice-Consul- ou bien sur la mort, conduit aussi à l’alcool, quand le vertige de vivre devient trop grand. Et l’on découvre encore que « seule l’écriture vous sauvera ».
Contre l’angoisse, contre la violence d’être, contre les amants mêmes auxquels l’amante cache l’amour de son mari. L’écrivain avoue qu’elle ne saura jamais pourquoi on écrit ou pourquoi on n’écrit pas. Toujours est-il que tracer des lignes à l’encre de Chine noire pour rendre compte de sa présence au monde, c’est faire silence et laisser surgir les cris celés en soi : « Il faut être plus fort que soi pour aborder l’écriture, il faut être plus fort que ce qu’on écrit. C’est une drôle de chose, oui. C’est pas seulement l’écriture, l’écrit, c’est les cris des bêtes de la nuit, ceux de tous, ceux de vous et de moi, ceux des chiens. »
Quand Duras écrit, le temps ne compte pas – même lourd de solitude ; la femme de lettres dit n’avoir jamais compté le temps, si ce n’est l’attente du retour des camps de Robert Antelme, et de sa jeune sœur Marie-Louise.

Le livre hurle sa raison d’être, cela même qui la sauvera. « Je suis seule pour écrire des livres encore inconnus de moi et jamais encore décidés par moi. » C’est l’espoir et l’amour – cet inconnu absolu – qui tiennent l’âme au plus profond d’elle-même, et c’est l’écriture qui sauve, comme une vie à préserver. Tania Torrens, très bien dirigée par Jeanne Champagne, est Marguerite, réfléchie, tendue et belle : on l’écoute. À l’affût de cette sensation de la vie qui coule inexorablement.

Véronique Hotte

Jusqu’au 7 octobre 2011. Théâtre de l’Atalante. Réservations : 01 46 06 11 90


Archive pour 24 septembre, 2011

CAFI de Vladia Merlet, mise en scène collective sous la houlette de Georges Bigot

Cafi de Vladia Merlet

« Je m’accroche aux racines qui sont sous la terre car au dessus le vent emporte tout » CAFI. Non , ce n’est pas le nom d’une déesse indienne, ni d’une ville exotique, mais un sigle: Centre d’accueil pour les Français d’ Indochine  qui nous renvoie à un pan inconnu de notre histoire. Ce centre qui s’est d’abord appelé CARI (pour les rapatriés d’Indochine – et la nuance est de taille!) existe toujours à Sainte-Livrade-sur-Lot et est aujourd’hui réhabilité. On y a construit des maisons où installer (mais trop tard!) ceux qui y vivent depuis cinquante ans et ne peuvent plus s’habituer au changement…
L’histoire de ce centre (en fait d’anciens baraquements militaires) et la vie de cette population, en majorité des femmes et enfants qui ont quitté en 1956 leur pays, le Vietnam, est le thème de ce spectacle écrit par Vladia Merlet, une comédienne qui interprète Louise, la fille d’une Vietnamienne et d’un Français qui prendra la fuite avant le grand départ de la famille pour Marseille, puis pour le Lot.  Louise a neuf ans quand le voyage commence sur un bateau où l’on peut si bien jouer quand on est enfant…
La comédienne, fine et précise, joue la fillette qui grandit mais aussi la mère digne qui va vieillir, le frère, les amies, les voisines dont elle dévoile les espoirs et les désillusions.  les mots claquent sur ses lèvres. Dans une mise en scène réalisée avec simplicité, invention, sensibilité et poésie. Des draps tendus, des ombres chinoises, de la musique sur scène et quelques voix enregistrées, des chapeaux, un masque vietnamien, un dragon agité, un coffret où la mère a enfermé des graines pour refaire au loin un jardin…. Du jeu, beaucoup; parfois de la lecture, ou des confessions les yeux dans les yeux.  L’émotion nous serre la gorge. Un spectacle-hommage à ces oubliés de l’Histoire, bouleversant qui évoque aussi tous les exils.  Il faut vite aller le voir.

Béatrice Picon-Vallin

Théâtre de l’Opprimé,  78 rue du Charolais, Paris (X ème) jusqu‘au 2 octobre.

Splendid’s

Splendid’s, de Jean Genet, mise en scène Cristèle Alves Meira

splendids.jpgRing sans cordes, à vos risques et périls, au milieu du parterre de l’Athénée. Portes dorées qui claquent. Irruption de voyous à kalachnikov, c’est tendu.
Le Splendid’s, c’est l’hôtel où s’est piégée une bande de gangsters, après un coup tordu et foireux. Leur otage, une Américaine, est morte, l’hôtel est assiégé, la radio leur renvoie minute par minute la progression de l’encerclement et l’annonce de leur défaite inéluctable.
Qu’est-ce qu’il reste ? Les délices quelques peu amères d’une mort annoncée, la saveur de la lâcheté, la trahison de ceux qu’on aime … Sinon, où serait la trahison ? Un policier passé de leur côté chante sa déception, entre l’image mythique des mauvais garçons et cette bande d’indécis violents. Pourtant, pourtant une autre mythologie se dessine, celle qui parcourt toute l’œuvre de Genêt : pas seulement l’adieu aux beaux corps virils voués à la pourriture, quelque chose de la merveilleuse intensité de l’instant, qui échappe au flic, même deux fois traître.
Cristèle Alves Mera s’était déjà mesurée à Genet, et vaillamment. Ici, elle a imaginé que ces gangsters pouvaient être des terroristes arabes : hommage à l’amour de l’auteur pour les jeunes Marocains et pour les Palestiniens, et puis, après tout, leur victime est américaine. Du coup, on entend beaucoup crier en arabe.
La fiction court ainsi après une réalité qui forcément se dérobe, pour le moins. Le jeu saturé, au premier degré, et, très vite, on n’y croit plus, et on n’en tire qu’un petit plaisir, celui du bourgeois qui aime se faire un peu bousculer.Pour la scénographie, elle a succombé à la tentation de faire du théâtre la scène même de l’enfermement, les
balcons de l’Athénée jouant le rôle du grand bordel de l’hôtel.
Ce qui nous rejette encore davantage à la place du bourgeois à peine choqué. Le huis-clos ne marche pas: au contraire, tout s’éparpille et s’éclate. Peut-être la pièce de Genet, qu’il a abandonnée de son vivant, devrait-elle  être finalement traitée en oratorio ?
Manque sans doute à
Splendid’s un  mode d’emploi et une marche à suivre , comme celles que Genet avait pris la peine d’écrire pour Les Bonnes et Les Nègres.

 

Christine Friedel

Théâtre de l’Athénée, jusqu’au 8 octobre T:  01 53 05 19 19

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