Le développement de la civilisation à venir
Le développement de la civilisation à venir, d’après Une maison de poupée d’Henrik Ibsen, adaptation et mise en scène de Daniel Véronèse.
C’est, comment dire, une sorte de précipité à partir de la trame et des personnages de la célèbre pièce d’Ibsen créée en 1879. Il y a Nora, son mari le directeur de banque Helmer, l’amie de Nora, Cristina, Krogstad l’employé de’Helmer, autrefois amant de Cristina qui va faire chanter Nora à cause d’un document où elle a imité la signature de son père, et enfin le docteur Rank, l’ami de la famille ici incarné par une femme.
C’est si l’on veut une adaptation du célèbre texte en une heure quinze. « J’ai voulu , dit le metteur en scène argentin, conserver l’essence de la lutte des sexes, qui est toujours en vigueur aujourd’hui: la situation a beau avoir changé depuis la création de Maison de poupée, la volonté de l’homme s’impose toujours à celle de la femme. Il continue à y avoir quelqu’un de plus fort qui soumet quelqu’un de plus faible.Il y a certes plus de liberté -ou plus d’hypocrisie- aujourd’hui mais le pouvoir reste entre les mains de l’homme ».
Dans le version de Véronèse, Nora ne partira pas ou, du moins,ce n’est pas encore fait, parce que la main de son mari garde symboliquement les clés sur la table qui lui permettraient d’ouvrir la porte pour sortir… Un décor de salle à manger un peu minable avec deux portes, un canapé moderne blanc à deux places où sont déjà assises avant le début du spectacle, Nora et Cristina, qui bavardent , une table en bois et trois chaises.
Sur la petite scène du Théâtre de la Bastille, les acteurs sont à quelques mètres à peine du premier rang de spectateurs d’où une impression de gros plan et de grande proximité des personnages qui vivent et s’expriment tout près de nous. C’est visiblement une volonté du metteur en scène qui introduit aussi des références tout fait contemporaines comme ces remarques à propos d’Ingmar Bergman mais c’est fait sans aucun racolage comme une chose naturelle, histoire, comme dit Véronèse, « d’attirer l’histoire vers le présent ». Cette mise en abyme n’était sans doute pas nécessaire mais n’est en rien gênante.
Et Daniel Véronèse dirige remarquablement ses comédiens; apparaît alors une vérité des personnages grâce à la concentration de chaque acteur. Maria Figueras (Nora) Carlos Portaluppi, son mari et Roly Serrano (Krogstad) surtout font un travail exemplaire d’intensité dans l’expression des sentiments.
Quand , à la fin, Nora, bouleversée, les cheveux décoiffés, en larmes, avoue enfin qu’elle a falsifié la signature de son père, c’est vraiment un grand moment de théâtre. Avec un calme et une force peu courantes,les cinq comédiens savent faire monter l’émotion dans le le public qui retient son souffle, et qui leur a fait une ovation tout à fait méritée.
Il reste deux jours pour voir à Paris ce spectacle fascinant: surtout , si vous le pouvez, n’hésitez pas, que vous connaissiez Une Maison de poupée ou non…
Philippe du Vignal
Théâtre de la Bastille jusqu’au 2 octobre ; attention, c’est à 19 heures.