Théâtre 71 de Malakoff.

40 ans d’existence et  20 ans de label scène nationale, soirée anniversaire du Théâtre 71 de Malakoff.

  jr0.jpgOn a mis un peu de temps mais nous vous avons réservé une petite surprise à la fin de l’article…
« Les années nous viennent sans bruit » comme l’écrivait Ovide dans Les Fastes, et c’est à peine croyable: oui, le Théâtre 71, ainsi baptisé en souvenir de la Commune de Paris, où nous sommes allés si souvent, a bien quarante ans!
Le metteur en scène Guy Kayat qui avait mis en place la Maison de l’Enfance à Malakoff, puis, toujours avec l’appui du maire Léo Figuière, décédé il a quelques mois, reçut du Ministère de la Culture une mission de préfiguration en 69, puis inaugura le Centre d’Action Culturelle.
L’Etat avait enfin mis en place une véritable politique de décentralisation théâtrale à la fois, comme on disait encore, en province mais aussi dans la banlieue immédiate de Paris dont Malakoff fait partie.
En 92, le Théâtre 71 fut parmi les premières structures à recevoir le label « scène nationale », ce qui correspondait à une reconnaissance d’intérêt général et qui lui permettait de bénéficier des subventions du Ministère de la Culture, comme des collectivités locales, en l’occurrence le conseil général des Hauts de Seine.
Pour fêter  cet anniversaire, il y avait tout du beau monde, en particulier la Maire de Malakoff,  l’efficace Catherine Margate, et son adjointe à la Culture, la non moins efficace Dominique Cordesse qui ont beaucoup œuvré toutes les deux pour que le Théâtre 71 occupe une place importante sur le territoire.
Patrick Devedjian, président du Conseil général, s’était fait excuser et  représenter par une des ses adjointes
Guy Kayat resta directeur jusqu’ à sa mort brutale en 83; il  avait, du haut du ciel, délégué son épouse Claire-Lise Charbonnier qui a rappelé qu’à ses débuts, le théâtre avait reçu à deux reprises le grand Tadeusz Kantor. Les directeurs qui lui ont succédé: Edith Rappoport, co-directrice avec Pierre Ascaride, (oui, c’est elle qui signe des articles dans Le Théâtre du Blog) a souligné combien le théâtre  contemporain n’était pas un vain mot: ont été invités Le Royal de Luxe, Ilotopie, Le Théâtre de l’Unité, l’Odin Teatre d’Eugenio Barba.
Ils ont introduit  le théâtre en appartements à Malakoff et  l’option Théâtre au lycée de Montrouge, avec Jeanne Champagne, metteuse en scène  qui habite Malakoff et Denise Bonal, auteur  et dramaturge.
Pierre Ascaride qui fut aux manettes vingt-sept ans durant a souligné  l’importance de la création, et en particulier de la création théâtrale, comme par exemple Wajdi Mouawad ou Anne-Laure Liégeois, tous deux accueillis à plusieurs reprises et avec grand succès. « Nous avons étés attentifs, dit-il,  à articuler les désirs et le cheminement des artistes avec les interrogations du public: nous avons ainsi accueilli le Groupa Secundo cubain, Cesaria Evora ou le  jongleur  Jérôme Thomas. Avec des créateurs présents sur le terrain, attentifs aux autres,  nous avons voulu faire vivre un théâtre  soucieux de transmission, est certainement un lieu d’échanges et de paroles, indispensable dans la Cité pour poser les questionnements sur le devenir de la communauté humaine.
Mais le théâtre 71 est en dehors de Paris et cela a un impact sur les comportements des publics et sur la politique de programmation, comme des spectacles de marionnettes et du théâtre d’objets avec   le festival MAR.T.O qui draine aujourd’hui une grande partie de spectateurs de Malakoff et des environs.»
Pierre-François Roussillon, le nouveau directeur  a souligné qu’il entendait bien ouvrir le théâtre  à toutes les formes d’art contemporain, y compris le cinéma et  la musique.
Ce que montre bien une belle exposition de photos retraçant la vie  riche du Théâtre 71 depuis plus de quarante ans, avec ses affiches nombreuses signées entre autres de Roman Cieslewicz, le grand graphiste polonais qui habita aussi Malakoff. Et il y a eu, venons-y, l’intervention de Jack Ralite. Il a soulevé l’enthousiasme du public qui l’a applaudi pendant de longues minutes. Chaleureux  et généreux -ce qui ne l’a pas empêché de mettre le doigt où cela fait mal avec un humour cinglant-Jack Ralite a relaté  les débuts des théâtres de banlieue à une époque où le Ministère de la Culture, se préoccupait d’autant moins de l’aide qu’il  pouvait donner aux municipalités soucieuses de mettre en place des structures culturelles, que des villes de Saint-Denis, Aubervilliers ou Malakoff qui  étaient communistes. (Malakoff l’est d’ailleurs resté). Ce qui ne plaisait guère au pouvoir alors en place!
Il nous souvient d’avoir entendu à l’époque un énarque égaré au Ministère de la Culture, ignare et borné, qui répétait souvent:  » On voit bien qu’il sont d’extrême gauche: ils jouent du Brecht ». (sic) Rappelons le rôle important qu’eut Jack Ralite, au plan local et national, d’abord comme maire d’Aubervilliers,  puis comme ministre de la Santé sous  Mauroy, et sénateur. Sans lui, on peut dire que  le paysage culturel français n’aurait pas été ce qu’il a été depuis cinquante ans. Voici, grâce à Sandrine Bellonie, quelques extraits de cette remarquable intervention, qui se boit comme un verre d’excellent champagne, loin de la bouillie que nous servent certains ministres de la Culture…

L’allocution de Jack Ralite

  »Sur les vingt-cinq villes indiquées comme ayant une activité culturelle intéressante -dans une enquête du Monde d’août 64- dix-sept étaient communistes ». Pour me limiter à Malakoff et à Aubervilliers, ces théâtres ont été construits sans un sou de l’Etat. Soyons totalement objectifs: pour Malakoff, c’est totalement vrai. Pour Aubervilliers non-puisque c’était sous le temps de Malraux- c’était sous la forme d’un prêt provisoire de soixante projecteurs et deux tables à repasser! Nous avons protesté et sommes allés au Ministère où le prêt est devenu définitif. Je me souviens avoir commenté cette » avancée », vous entendez ces guillemets: « Chez moi comme chez mes voisins, les ampoules grillent! ».  Cette petite anecdote avance à quel point la banlieue était oubliée. Nous étions les « communs de Paris » et rien de ce qui s’y fit, ne tomba du ciel du Pouvoir.
C’est là que j’ai compris le mot « dignité ». On sous estimait en haut-lieu ces pensées fulgurantes de 1920 de l’immense psychologue Vygotski: « L’homme est plein à chaque minute de possibilités non réalisées; les hommes et les femmes peuvent se retrouver une tête au-dessus d’eux-même. Georges Canguilhem disait:  » Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter les choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui n’existeraient pas sans moi ». « 
Pour être plus complet, Yves Clot, chercheur en psychologie au Conservatoire National  des Arts et Métiers a cette pensée lumineuse: « On ne vit pas dans un contexte, on cherche à créer un contexte ». Sans  forfanterie aucune encore, avec un un réel bonheur, la population de Malakoff, avec ses artistes et ses élus, ont décongelé la situation et fait fructifier leur  » pouvoir d’agir..
A réfléchir pour aujourd’hui, même si, en ce temps-là, le Ministère de la Culture, corrigeant son impolitesse à l’égard de la banlieue, nous donna, en tout cas à Aubervilliers, les crédits auxquels la Déclaration des Droits de l’Homme de  1948 dans son article 1:  » Tous les êtres humains naissent libres et égaux en  dignité  et en droit.
Les théâtres de banlieue, notamment des banlieues en friche de leur passé et de leur avenir nous conduisent à être pionniers. « L’homme passe infiniment l’homme »,  disait Pascal et le Théâtre 71 eut sa récompense quand l’immense Kantor est venu ici en 72, Guy Kayat lui  donnant carte blanche pour présenter la pièce de Witkiewicz  Les Cordonniers. (….). Je ressens vivement votre sentiment d’alors. C’est le même que nous avons  ressenti à Aubervilliers quand le Berliner Ensemble est venu interpréter Le Commerce de pain. Sur un souhait de Brecht à la sa femme la Weigel au moment de son grand départ: si tu vis en 71, c’est le 100 ème de anniversaire de la Commune, surtout va jouer à Paris.  (…)
Tout ce vent théâtral de banlieue appartient à la deuxième décentralisation théâtrale;  la première concernait celle des régions qu’on appelait  alors la province, celle de banlieue épousa le propos de Michel Vinaver: « La décentralisation est un esprit. L’esprit consiste à lier le plaisir du théâtre à quelque chose d’ambitieux aux confins du connu dans les matières comme dans les formes, et en même temps à être l’abreuvoir de tous ». (…)
Mais le plaisir de parler de belles choses ne doit pas oblitérer qu’il en est de moins belles et c’est souvent ainsi aujourd’hui où les jours passent et et tout ce qui avait été construit patiemment, se fissure, se casse, va même jusqu’à disparaître.
Le patrimoine dans sa diversité, le spectacle vivant dans sa diversité, le spectacle vivant dans son pluralisme sont en danger. Faute de crédits suffisants, faute de personnel, faute du bouquet de liberté qu’exige la création, faute de temps donné  au traitement de témoignage du temps, faute de négociations, plus généralement de considération et de reconnaissance, faute de transparence, faute d’organisation devenue trop petite pour ceux qui y travaillent.
Comment ne pas voir ou entendre ces malaises qui se répandent chez ceux qui s’entêtent à travailler correctement et récusent la contrainte du ni fait ni à faire, les souffrances qui entament ceux à qui une partie de leur activité est empêchée, les colères de la fonction publique culturelle et artistique, dont les membres ne reçoivent plus leur métier dans ce qu’ils font sur toute la palette de leurs responsabilités.
La R.G.P.P. est devenue la grande tondeuse des services publics. Le Président de la République est devenu le grand éducateur et agit en covoiturage avec les grandes affaires et « nous inflige des désirs qui nous affligent ». Le Ministre de la Culture renonce à être le grand intercesseur entre les artistes et les citoyens . Il répond de moins en moins souvent quand on sonne à sa porte; il a perdu le,pouvoir d’illuminer.
Les collectivités territoriales dont le grand rôle est devenu immense en culture et en art, voient leurs finances brutalisées par Bercy. Le travail dans les grandes entreprises financiarisées, et dans la foulée, malheureusement à l’intérieur des services publics, est tellement livré à la performance  que les personnes se voient ôter la capacité de respiration et de symbolisation..
Tout cela n’est pas tolérable et donne l’impression qu’en haut lieu, beaucoup d’hommes et de femmes de vos métiers sont traités comme s’ils étaient en trop dans la société (…) La politique actuelle chiffre obsessionnellement, elle compte autoritairement, alors que les artistes et les écrivains  déchiffrent et content. Ne tolérons plus que que l’esprit des affaires l’emporte sur les affaires de l’esprit.
J’ai un ami bulgare Predrag Matvejedic et je ne cesse de me répéter ces mots de lui:  » Nous avons tous un héritage et nous devons le défendre mais nous devons nous en défendre. Autrement, nous aurions des retards d’avenir et nous serions inaccomplis ». Et un autre ami Georges Balandier le dit autrement: « Nous sommes obligés de civiliser les « nouveaux mondes » issus de l’œuvre civilisatrice ».

Philippe du Vignal

 

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