L’Opéra de quat’sous

 

L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill, mise en scène de Laurent Fréchuret, direction musicale de Samuel Jean.

img2461.jpgC’est un ensemble de comédiens-chanteurs, chanteurs-comédiens, et musiciens, tout à fait éclatant et brillant que Laurent Fréchuret a su rassembler autour de lui pour porter L’Opéra de quat’sous au Centre Dramatique National de Sartrouville.
Vingt-quatre personnes sur le plateau, c’est merveilleux ! Cette œuvre, qui comporte tous les ingrédients du grand théâtre populaire et dont le succès ne s’est jamais démenti depuis sa création, est donc donnée ici dans une version ample et généreuse.
Attention,  ample, ne veux pas dire longue. Contrairement à ce qui se passe souvent, des morceaux chantés – ceux de Lucy, par exemple – ne sont pas sacrifiés, et c’est bien.  Les instrumentistes sont nombreux,  sur le plateau,  et  interviennent. dans le jeu. Ce passage de relais musiciens-comédiens a quelque chose  de jubilatoire.  Le metteur en scène a réussi à entraîner  son équipe vers des évocations fortes et de très beaux moments collectifs. L’humain a été privilégié sur le « décoratif », c’est juste, c’est fort, et ça marche.
La vie du cabaret, l’envers de la maison de passe, les exhibitions de mendiants chez les Peachum, la grande scène du mariage de Polly avec la bande des inénarrables malfrats pieds nickelés, sont des trouvailles très réussies. On s’amuse, on s’attendrit, on rit, grâce en tout premier lieu à la puissance d’évocation collective des comédiens. La causticité du propos – « Qu’est-ce que le vol d’une banque à côté de la création d’une banque ! » comme l’affirme amèrement Mackie au final -, issue tout droit de l’esprit rebelle du grand Jonathan Swift qui avait donné l’idée de cette pièce à John Gay – L’Opéra des gueux, écrit en 1728 – a traversé le temps sans perdre de son mordant.
La pièce, traduite bien plus tard par Elisabeth Hauptmann, devint sous sa plume de Brecht L’Opéra de quat’sous et  connut immédiatement un immense succès. A la création, en 1928, elle devait sonner en écho avec l’actualité, la montée de la misère, les scandales de la finance et l’hypocrisie des bien-pensants repus. Hélas, en 2011, elle sonne toujours d’actualité …
Mais, au-delà du propos, c’est la cocasserie des personnages sans foi ni loi, coloriés avec humour, qui rend l’œuvre intemporelle. Et Kurt Weill a su mêler en toute fluidité les genres – « grande musique », musique de danse, de bastringue, d’opéra, de variété …- sa musique est un sommet qu’on ne se lasse pas de retrouver, même si on en connaît les grand airs par cœur.
Thierry Gibault, qui joue 
Mackie est excellent. Tour à tour, voyou séducteur, rusé et grand seigneur, à la fois déterminé et perdu, il transmet parfaitement la complexité du personnage et son tempérament double. Son complice de la police, son double, Tiger Brown, grâce à Harry Holtzman, est tigre et renard à souhait. Polly, (Laëtitia Ithurbide) a une voix splendide et l’innocence, la tendresse d’une Gavroche amoureuse. Sarah Laulan dans Lucy et Kate Combault dans Jenny ont de belles voix lyriques, et la mise en scène, devant l’immense rideau de fond, leur donne une solennité très émouvante.
Le couple Peachum, Vincent Schmitt et Eleonore Briganti, est excellent. Lui,avec beaucoup de force et une diction parfaite, une présence solide, manipule tout son petit monde. Il nous fait parvenir chaque mot. Elle, avec sa belle voix grave et prenante, donne à « maman » Peachum tout son relief et sa drôlerie.
La salle de Sartrouville était archi pleine d’un public de tout âge – des enfants venus avec leur famille aussi – et c’était un régal de partager cette joie. Les spectacles vraiment « tout public » sont finalement assez rares.
Voilà une œuvre populaire, entraînante, pleine d’allant, de poésie et de mordant, sur un grand plateau, idéale pour emmener aussi des enfants ou des  adolescents découvrir le théâtre à son sommet de tressage des arts. Un beau cadeau que fait au public Laurent Fréchuret.
A ne pas rater, encore quelques jours à Sartrouville, puis en tournée.

Evelyne Loew


Théâtre de Sartrouville CDN, jusqu’au 21 octobre.
en tournée: Cergy, Forbach, Angoulême, Marseille, Saint-Quentin-en-Yvelines, Vellein-Villefontaine, Chalon-sur-Saône, Saint-Etienne, Alès, Sénart, Vire, Argentan …


Archive pour 13 octobre, 2011

L’ Ombelle du trépassé

  L’ Ombelle du trépassé, texte et mis en scène de Jean Lambert-wild, accompagné de chants bretons recueillis par Yann-Fañch Kemener.

 

ombel20111003tjv57.jpgComme le dit  Michel Onfray, vieux complice du metteur en scène et directeur de la Comédie de Caen: «   Jean Lambert-wild chante et s’inscrit dans le lignage primitif des poètes de la généalogie du monde: les eddas, les genèses, les sagas. Dans l’Ombelle du Trépassé, il psalmodie un monde celte. pas seulement à cause de la langue bretonne, mais en regard du monde créé: un univers de de genêts jaunes et de mer sombre , d’embruns épais et de géologies grises ».
Rien sur la scène sinon qu’un rocher qui se dresse verticalement comme un menhir où l’on aperçoit, immobile le buste et la tête d’un homme comme s’il en était un peu le prolongement vêtu d’une  cotte de maille brune. C’est, Yann-Fañch Kemener,  le chanteur et ethno-musicologue breton,  qui a contribué depuis une trentaine d’années à la transmission de chants et poèmes bretons qu’il a patiemment collectés.
Le spectacle  est en fait un monologue ; c’est un tissage adroit du texte de Jean Lambert-wild de l’étonnante psalmodie entonnée  en direct soit en différé , au micro ou pas par Yann-Fañch Kemener, et de la musique de Jen-Luc Therminarias. Le chanteur-interprète ne bouge pas, et cette voix forte,grave et rocailleuse,  et  comme venue de la lande profonde, est  impressionnante de vérité, et en parfaite adéquation-monologue/monolithe- avec cette silhouette massive plantée en haut de ce rocher bleu foncé (pas très beau qui sent la résine synthétique à dix mètres)… mais bon.
Cette psalmodie peut faire penser quelque fois à une sorte de récitation  de poème homérique, et si on ne  comprend pas du tout le breton, on est quand même très touché par cette voix, à la fois si dure et si douce, qui sait dire la poésie de chansons populaires bretonnes comme la langue subtile de Jean lambert-wild. Le soir de la première,la balance était encore loin d’être au point et le son dispensé par le micro HF n’était pas très satisfaisant mais cela a du s’arranger depuis.
. Le spectacle n’est pas long (une heure et quelque) mais d’une force poétique indéniable.

 

Philippe du Vignal

 

 

 

Maison de la Poésie Passage Molière, 157, rue Saint Martin  T: 01 44 54 53 00

 

Fille du Paradis

Fille du  Paradis  d’après Putain de Nelly Arcan, mise en scène d’Ahmed Madani.

     Ahmed Madani qui était parti diriger le Centre dramatique de l’Océan Indien de 2003 à 2007 à la Réunion, où il a accompagné divers auteurs de l’Océan Indien, se consacre désormais à un thème de recherche intitulé Femmes. Avant son départ, il avait laissé de beaux souvenirs, avec Méfiez-vous de la pierre à barbe. Après Ernest ou comment l’oublier, Paradis blues commandé à la mauricienne Shenaz Patel et L’Amante anglaise de Marguerite Duras, il revient  avec  ce monologue de Nelly Arcan, artiste canadienne qui s’est donné la mort  en 2009.
  Véronique Sacri vêtue d’un strict manteau strict, sur le petit plateau du Théâtre Essaïon, nous conte son éducation imprégnée de religion par un père aimant, l’absence de tout lien avec sa mère qui ne s’est jamais remise de la mort de sa sœur aînée à deux ans. “Un débris de mère (…) ma sœur est morte depuis toujours, mais elle flotte encore sur la table familiale (…) Cynthia, je lui ai pris son nom !”
  Elle raconte la pension, les études plutôt réussies, puis  un travail de serveuse  qu’elle quittera sans transition pour se  prostituer. Huit clients dès le premier jour: elle gagne de l’argent, beaucoup d’argent, mais finit par sombrer dans l’horreur quotidienne des fellations.
  Malgré la belle présence de cette comédienne,  dont la transformation physique est étonnante sans aucun changement de costume, malgré une vraie théâtralité sur le simple déploiement de sa chevelure, on est gêné par un texte qui ne donne aucune piste d’explication sur cette dérive inéluctable.
Le manque d’amour, personne à qui se raccrocher ?
On attendait plus de ce monologue,  qui a cependant une belle qualité d’écriture.

 

Edith Rappoport

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Fille du paradis, d’après Putain, de Nelly Arcan , mise en scène Ahmed Madani

 

Nelly Arcan s’est inventée elle-même : d’une enfance somme toute banale au Québec, elle s’est faite écrivaine, auteure, et putain. Pas sur le trottoir, “escort girl“, la prostitution propre, chère. Ce qui ne guérit de rien. Elle est morte en 2009, peut-être du suicide, laissant une demi-douzaine de romans, en partie posthumes. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas de se revendiquer comme “travailleuse du sexe“ : ses livres ne sont pas militants, il s’agit de réfléchir sur le corps et le sexe.
Qu’est ce qu’il vient chercher auprès de la “putain“, cet homme qui n’envisage pas un instant que sa fille ou sa femme puisse se trouver à cette place-là, ni que la fille qui est là puisse être tout simplement la fille d’un homme, de son semblable ? Qu’est ce désir qui ne se soucie pas du désir de l’autre ? Que trouve-t-elle là, en plus de l’argent, et de ce qu’elle appelle l’irréparable, la fille qui est là ?
Nelly Arcan y voit la maladie du narcissisme. Côté filles, ce qu’elle appelle la putasserie, l’obsession de l’image, du corps qui n’est jamais parfait, comparé aux autres, jamais assez désiré, inconsolable. Voir La Burqua de chair (dernier roman paru de Nelly Arcan), sur le corps enfermé dans la chirurgie esthétique. Sortir de sa condition de “larve“ la femme non désirée, la mère, qui n’a plus aucun potentiel érotique ! Côté clients, qu’est-ce qu’elle en sait, la fille ? Elle n’en connaît que des bouts de corps. Le client, lui,  ne touche que des morceaux de son corps à elle, le féminin obligatoire, et eux-mêmes se réduisent ce petit bout qu’ils appellent parfois « bout », et à une force qui peut-être un jour ne sera pas inemployée. Danger.
Ahmed Madani a pris un parti à la fois très fort et frustrant. Il a confié le récit à une jeune comédienne qu’il a voulue aussi discrète et timide que possible : quand elle s’avance sur scène, on croit qu’elle va nous inviter à éteindre nos téléphones portables. Véronique Sacri a accepté cette option radicale, de ne pas « en faire », affrontant le propos de Nelly Arcan : toute femme, toute fille est, dans la culture mondiale de l’image, embringuée dans la “putasserie“, dans le narcissisme inquiet, qu’elle le veuille ou non.
Elle arrive avec son visage gentil, ses cheveux noués, son manteau fermé. Après, ça se débride, avec l’irruption d’un rock hurlant. Et l’on revient au pur récit. L’éclairage produit un effet d’auréole pas indispensable. Il manque quelque chose pour que le spectateur soit transpercé, bouleversé par le roman (autobiographique, mais ne relevant pas du témoignage) et par la parole de la comédienne.
Oserons-nous dire que l’innocence souriante ou grave de la comédienne n’atteint pas, par excès d’humilité, le tranchant, le musclé de l’écriture ? Pourtant, on l’écoute, pourtant, on la suit, pourtant, elle est là. Après tout, le terme même de putain ne signifie, au départ, que « jeune fille »… Peut-être est-ce le cri de colère – PUTAIN !!! – qui manque ici. À voir, pour ce paradoxe, et pour ces questions.

 

Christine Friedel

 

Théâtre Essaïon à Paris, les lundis et mardis à 21h30, jusqu’au 17 janvier 2012 !

Théâtre Essaïon, les lundis et mardis à 21 h 30

BRÛLE

Brûle par le Groupe Krivitch, texte et mise en scène de Ludovic Pouzerate,

À la veille de Noël, des bénévoles préparent les cadeaux à distribuer aux enfants démunis. Ils enfilent de longues barbes blanches, se coiffent de grands bonnets rouges à pompons blancs, s’interrogent sur le bien fondé de cette entreprise créée voilà des années dont le sens se délite peu à peu.
  Le désarroi s’installe avec le doute sur une fraternité perdue peu à peu dans une société de plus en plus égoïste. Les émeutes rôdent aux portes, et deux rappeurs font irruption, braillant la violence de notre monde. La responsable de l’association tente sans succès de remettre de l’ordre dans la préparation des cadeaux, les tables sont renversées, on ne sait plus que faire dans ce capharnaüm.
  Ludovic Pouzerate brosse cette comédie sur fond d’émeutes avec une belle maîtrise théâtrale et musicale, un sens du rythme et un certain humour, les huit acteurs ont une vraie présence.
Après une formation aux ateliers du Sapajou et l’écriture de plusieurs pièces, Dissertation du névropathe Wouf-Wouf et Moi-je, Ludovic Pouzerate s’est associé depuis plusieurs mois au Collectif 12. Son groupe Krivitch y a trouvé une base de travail déterminante. Brûle, présenté la veille devant des lycéens, a connu un triomphe.
Edith Rappoport

 

Soirée Jeunes Zé Jolie, Collectif 12 de Mantes la Jolie

BURN BABY BURN

Burn baby burn de Carine Lacroix, mise en scène Cécile Arthus.

Carine Lacroix a monté plusieurs de ses textes, Le Café des roses en 2003, puis  La nuit des évadés ; elle écrit aussi des chansons et des poèmes. Burn baby burn  est une histoire assez glauque : dans une station service à l’abandon tenue par une fraîche jeune femme, une motarde agressive débarque.
Mais il n’y a plus d’essence à la pompe, elle s’installe et les relations tendues du début se font peu à peu plus tendres. Stagiaire dans un salon de coiffure, la motarde s’adonne à la  drogue qu’elle va partager avec son hôtesse qui devient son amie.
Affamées, elles commandent des pizzas qui leurs sont livrées par un jeune homme qu’elles séquestrent au moment où il leur réclame son dû. Et elles finiront par l’assassiner !
Malgré une belle présence des trois comédiens et une certaine qualité d’écriture, le texte s’englue dans de longues redites qui finissent par lasser le public ami venu découvrir une jeune compagnie accueillie par le Collectif 12.

 

Edith Rappoport

 

Compagnie l’Envers libre, Collectif 12, Mantes la Jolie

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