Fille du Paradis

Fille du  Paradis  d’après Putain de Nelly Arcan, mise en scène d’Ahmed Madani.

     Ahmed Madani qui était parti diriger le Centre dramatique de l’Océan Indien de 2003 à 2007 à la Réunion, où il a accompagné divers auteurs de l’Océan Indien, se consacre désormais à un thème de recherche intitulé Femmes. Avant son départ, il avait laissé de beaux souvenirs, avec Méfiez-vous de la pierre à barbe. Après Ernest ou comment l’oublier, Paradis blues commandé à la mauricienne Shenaz Patel et L’Amante anglaise de Marguerite Duras, il revient  avec  ce monologue de Nelly Arcan, artiste canadienne qui s’est donné la mort  en 2009.
  Véronique Sacri vêtue d’un strict manteau strict, sur le petit plateau du Théâtre Essaïon, nous conte son éducation imprégnée de religion par un père aimant, l’absence de tout lien avec sa mère qui ne s’est jamais remise de la mort de sa sœur aînée à deux ans. “Un débris de mère (…) ma sœur est morte depuis toujours, mais elle flotte encore sur la table familiale (…) Cynthia, je lui ai pris son nom !”
  Elle raconte la pension, les études plutôt réussies, puis  un travail de serveuse  qu’elle quittera sans transition pour se  prostituer. Huit clients dès le premier jour: elle gagne de l’argent, beaucoup d’argent, mais finit par sombrer dans l’horreur quotidienne des fellations.
  Malgré la belle présence de cette comédienne,  dont la transformation physique est étonnante sans aucun changement de costume, malgré une vraie théâtralité sur le simple déploiement de sa chevelure, on est gêné par un texte qui ne donne aucune piste d’explication sur cette dérive inéluctable.
Le manque d’amour, personne à qui se raccrocher ?
On attendait plus de ce monologue,  qui a cependant une belle qualité d’écriture.

 

Edith Rappoport

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Fille du paradis, d’après Putain, de Nelly Arcan , mise en scène Ahmed Madani

 

Nelly Arcan s’est inventée elle-même : d’une enfance somme toute banale au Québec, elle s’est faite écrivaine, auteure, et putain. Pas sur le trottoir, “escort girl“, la prostitution propre, chère. Ce qui ne guérit de rien. Elle est morte en 2009, peut-être du suicide, laissant une demi-douzaine de romans, en partie posthumes. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas de se revendiquer comme “travailleuse du sexe“ : ses livres ne sont pas militants, il s’agit de réfléchir sur le corps et le sexe.
Qu’est ce qu’il vient chercher auprès de la “putain“, cet homme qui n’envisage pas un instant que sa fille ou sa femme puisse se trouver à cette place-là, ni que la fille qui est là puisse être tout simplement la fille d’un homme, de son semblable ? Qu’est ce désir qui ne se soucie pas du désir de l’autre ? Que trouve-t-elle là, en plus de l’argent, et de ce qu’elle appelle l’irréparable, la fille qui est là ?
Nelly Arcan y voit la maladie du narcissisme. Côté filles, ce qu’elle appelle la putasserie, l’obsession de l’image, du corps qui n’est jamais parfait, comparé aux autres, jamais assez désiré, inconsolable. Voir La Burqua de chair (dernier roman paru de Nelly Arcan), sur le corps enfermé dans la chirurgie esthétique. Sortir de sa condition de “larve“ la femme non désirée, la mère, qui n’a plus aucun potentiel érotique ! Côté clients, qu’est-ce qu’elle en sait, la fille ? Elle n’en connaît que des bouts de corps. Le client, lui,  ne touche que des morceaux de son corps à elle, le féminin obligatoire, et eux-mêmes se réduisent ce petit bout qu’ils appellent parfois « bout », et à une force qui peut-être un jour ne sera pas inemployée. Danger.
Ahmed Madani a pris un parti à la fois très fort et frustrant. Il a confié le récit à une jeune comédienne qu’il a voulue aussi discrète et timide que possible : quand elle s’avance sur scène, on croit qu’elle va nous inviter à éteindre nos téléphones portables. Véronique Sacri a accepté cette option radicale, de ne pas « en faire », affrontant le propos de Nelly Arcan : toute femme, toute fille est, dans la culture mondiale de l’image, embringuée dans la “putasserie“, dans le narcissisme inquiet, qu’elle le veuille ou non.
Elle arrive avec son visage gentil, ses cheveux noués, son manteau fermé. Après, ça se débride, avec l’irruption d’un rock hurlant. Et l’on revient au pur récit. L’éclairage produit un effet d’auréole pas indispensable. Il manque quelque chose pour que le spectateur soit transpercé, bouleversé par le roman (autobiographique, mais ne relevant pas du témoignage) et par la parole de la comédienne.
Oserons-nous dire que l’innocence souriante ou grave de la comédienne n’atteint pas, par excès d’humilité, le tranchant, le musclé de l’écriture ? Pourtant, on l’écoute, pourtant, on la suit, pourtant, elle est là. Après tout, le terme même de putain ne signifie, au départ, que « jeune fille »… Peut-être est-ce le cri de colère – PUTAIN !!! – qui manque ici. À voir, pour ce paradoxe, et pour ces questions.

 

Christine Friedel

 

Théâtre Essaïon à Paris, les lundis et mardis à 21h30, jusqu’au 17 janvier 2012 !

Théâtre Essaïon, les lundis et mardis à 21 h 30

 

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