Trickster ou l’Arlequin de Trickster
Trickster ou l’Arlequin de Trickster , de et avec Didier Galas
Didier Galas donne à la figure de l’Arlequin revisitée par ses soins toute la teneur d’humanité souhaitée, sa touffeur et son étrangeté. C’est l’occasion d’une ouverture à la société tout entière et à ses pauvres bougres qui l’habitent, salariés modestes ou travailleurs sans-papiers, c’est-à-dire la population standard, mais encore aux pays à la fois lointains et proches, comme l’Angleterre, l’Italie, et jusqu’à l’Extrême-Orient, la Chine et le Japon. À tous les citoyens du monde aux origines diverses, salut !
L’Arlequin de Galas ne porte pas l’habit attendu, bigarré et coloré de losanges que la commedia dell’arte a su transmettre de siècle en siècle. Cet Arlequin classique et un rien conventionnel empêche de vivre et de s’épanouir le citoyen d’aujourd’hui. On pense à Ahmed, le libertaire, le personnage de valet contemporain inventé par le philosophe Alain Badiou ,que Christain Schiaretti mit en scène si brillamment et que Didier Galas incarnait déjà.
Ce Trickster se nomme Quiconque – toi ou moi, autant dire Personne -, jean et polo ou bien jolie veste jetée négligemment sur le dos. Penché sur ses seaux d’homme de service, la tête baissée et le corps entier en rotation et mouvement, Galas n’en finit pas de se plier, se déplier et se perdre en contorsions diverses, la métaphore d’un fil élastique qui ne prend jamais de repos. Ainsi va l’homme…
Si prendre un balai ne le rebute pas, c’est prendre la vie à pleines mains qui l’occupe et l’emplit de plaisir, lui et les spectateurs subjugués par les prouesses physiques et l’élégance du geste. Sans mot dire, ou à peine peut-être quelques onomatopées, quand Trickster fait l’apprentissage de la parole et du langage, le comédien embrasse l’espace et semble sentir l’univers tout entier au fond de son être.
L’intérieur de son âme est aux prises avec les phénomènes naturels les plus triviaux, borborygmes, hoquets, nausées, l’être humain doit s’adapter aux exigences les plus quotidiennes et les plus terre-à-terre car vivre est parfois un enfer. Peu à peu, s’impose la maîtrise du verbe avec la conscience d’être soi.
Heureusement, les masques les plus cocasses jouent aussi les rôles de compagnons d’Arlequin. Ce sont eux les véritables personnages de ce solo travaillé comme une partition à la note près. Galas parle les langues les plus insolites, subjuguant une salle sous le charme qu’accorde l’exotisme des lieux, des temps et des langues de la planète arpentée. Didier Galas, artiste multiforme, est à l’écoute des publics les plus fragiles et difficiles à la fois : les collégiens et lycéens, qu’il sait à lui seul, s’adonner au silence et à l’admiration d’un plateau de théâtre d’art.
Retirant de son visage enfin à vue, le dernier masque d’Arlequin, Didier Galas évoque son grand-père menant dans les montagnes de l’enfance son troupeau de bêtes et le petit garçon qu’il était. Contemplant l’immensité et la beauté des hauteurs célestes, le vieil homme lui raconte au garçon une aventure nocturne intense : l’apparition de son double devant lui. Un conte philosophique sur les relations du nouveau et de l’ancien, de la vie et de la mort, du petit Arlequin qu’on porte en soi face à l’image de fidélité et de vérité qu’on tend toujours à embrasser.
La salle entière fait à l’artiste contorsionniste une ovation d’enfer.
Véronique Hotte
Théâtre de la Cité Internationale jusqu’au 22 octobre 2011.T: 01 43 13 50 50