La Mouette

La Mouette d’après Anton Tchekhov, adaptation et mise en scène de Mikaël Serre.

  

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Mettre en scène La Mouette aujourd’hui relève d’un certain défi, car le public et le critique ont déjà dans leur expérience de spectateur une représentation de référence, qu’il compare consciemment ou pas avec la nouvelle. Comme celle  d’Andreï Kontchalovsky en 1988 au théâtre de l’Odéon avec Juliette Binoche et Niels Arestrup. Bien sûr, le spectateur pourrait attendre une Mouette « académique », proche du travail d’Alain Françon au théâtre de la Colline avec sa mise en scène de  La Cerisaie  en 2009, avec une scénographie qui reprenait celle de Stanislawski.
Point de tout cela ici, la représentation est inscrite dans notre monde. La violence de l’expression des sentiments et le caractère auto-destructeur des personnages est symbolique de la Russie contemporaine. Le metteur en scène a déjà collaboré à des créations en Allemagne et en Russie, et cela se sent.
Cette pièce est totalement imprégnée de la réalité d’aujourd’hui comme le souligne Mikaël Serre : « A travers Nina et Konstantin, Tchekhov prévenait peut-être déjà des risques d’une société qui fait du rêve un commerce, et des conséquences désastreuses d’un narcissisme blessé, déstructuré qui déplace le centre de gravité à l’extérieur de soi ». La direction d’acteurs et  Mikaël Serre les a choisis pour  leur diversité de parcours et réussit à créer une force de jeu et d’authenticité. Ils sont justes et donnent à voir leurs fractures et leur humanité. C’est à un beau travail de troupe, certes éphémère, que l’on assiste ;« Tchekhov propose à une communauté d’acteurs d’exister, il n’y a que très peu de seconds rôles, ce qui donne au travail toute sa richesse », dit-il. Il s’agit d’une adaptation, le metteur en scène prend quelques libertés avec le texte sans déstructurer le récit, mais avec des allusions au cinéma. Jouer Nina est aussi une expérience à part pour une comédienne. Les frêles silhouettes des  Nina du passé hantent la mémoire du public, sans parler des centaines de monologues de La Mouette qui sont présentés par les jeunes actrices, lors des concours d’entrée dans les écoles de théâtre.
Servane Ducorps a un parcours déjà riche. Elle joue ici à la lisière du réel et de son personnage, comme par exemple, lorsqu’elle reprend la phrase de Romy Schneider « Ne faites pas de photos s’il vous plait…je suis une comédienne vous savez. Je sais faire des trucs bien », dans le film d’Andrzej Zulawski, L’important c’est d’aimer . La scénographie d’Antoine Vasseur et de Ludovic Lagarde est remarquable.
Le premier tableau nous transporte dans cette cruelle partie de campagne. Des rangées de transat et une grande tente délimite le plateau traversé par un filet de volley-ball, une petite piscine gonflable pour enfants occupe le centre de la scène. Nous pourrions être au bord de la Volga avec la nouvelle génération perdue de Russes sans repères et sans perspectives, qui n’ont pas connue la Russie Soviétique, et qui vivent dans une nostalgie utopique. Le deuxième tableau (deux  ans après dans le texte de Tchekhov) qui témoigne des chutes individuelles , est plus esthétisant avec son nuage de fumée et son jeu de lumières qui lissent et enrobent les sentiments contrariés. C’est un travail  intelligent et sensible du metteur en scène et de ses acteurs.
Ce spectacle, créé en janvier 2011 à la Comédie de Reims mériterait une exploitation dans d’autres lieux mais la diversité d’origine des acteurs et l’âpreté du marché fait qu’il sera difficile de retrouver ce même groupe pour une longue période. Il ne reste que quelques jours pour découvrir cette  Mouette .

 

Jean Couturier
Nouveau théâtre de Montreuil Centre dramatique national jusqu’au 20 octobre.

 

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