Sunderland
Sunderland de Clément Koch, mise en scène de Stéphane Hillel.
Cela se passe à Sunderland, une ville industrielle importante du Royaume-Uni, au bord de la mer du Nord du côté de Newcastle, où Nissan, installée là depuis un quart de siècle a la plus grosse usine automobile du pays, et qui exporte jusqu’au Japon! Sunderland possède aussi un club de foot important. Sur scène, le rideau est déjà levé et l’on est dans un loft, sans doute un ancien atelier aux murs de brique, avec un escalier menant à une chambre, et peu éclairé par une petite fenêtre sur cour. Dans le fond, une gazinière, un gros réfrigérateur sans âge, une table en bois avec trois chaises en stratifié et tube inox, et devant, un canapé rouge qui a déjà beaucoup vécu, un écran plat et une grosse chaîne.
C’est là que vivent Ruby, une jeune femme assez exubérante ; elle gagne sa vie avec la messagerie rose et elle héberge contre un semblant de loyer, Sally et Jill, sa sœur de 16 ans en proie à une sorte d’autisme. Mais la grippe aviaire est arrivée et l’usine de conditionnement de poulets qui l’employait a fermé, et Sally est au chômage.
Par moments, apparaît aussi en vidéo la mère de Sally et Jill, qui les abandonnées pour devenir chanteuse de music-hall, et qui a fini par se pendre. Cela sent déjà la grisaille et le mélo à vingt mètres! Si, en effet, Sally ne trouve pas un travail rapidement, l’assistante sociale, en tailleur pied-de-poule blanc et noir, forcément désagréable et butée, va lui faire enlever la garde de sa petite sœur pour la faire soigner dans un hôpital. Prenez vos mouchoirs!
Mais un grand jeune homme baraqué,un peu frustre, admirateur du club de foot de Sunderland, et très amoureux de Sally, et qui vient souvent chez elles remettre en route le poële à mazout, laisse traîner un magazine où il y a une petite annonce de recrutement de mères porteuses: Sally n’hésite pas donc à entrer un contact avec un couple homo londonien d’avocats: un petit rondouillard, laid, chauve, et blanc, et un grand, mince et beau, noir. Par souci de discrétion, ils ne veulent pas que cela se passe dans une clinique, et ils viennent donc tous les deux, éjaculer dans des petits flacons que Ruby, prévoyante et généreuse bonne copine, est allée chercher à la pharmacie. Pourquoi tous les deux ? Pour mélanger les spermes et donc ne pas savoir si le futur bébé sera blanc ou noir…. C’est-y pas malin? Mais catastrophe: le grand jeune homme, un peu niais et gaffeur, révèle aux deux avocats que la petite Jill a une maladie mentale d’origine génétique.
Affolés, les deux compères remporteront leurs précieux flacons. Mais Ruby, toujours bonne copine généreuse, ira à Londres les rencontrer pour les persuader de faire une geste financier, de façon à ce que Sally puisse racheter le stock de revues porno d’une librairie spécialisée et se mettre à son compte, et donc gagner de l’argent, et donc récupérer sa petite sœur déjà hospitalisée par la méchante assistante sociale… Si c’est pas du happy end, ça! Tout finit donc bien à Sunderland pour les pauvres jeunes femmes sans travail…
Comme on l’aura déjà compris, le nouveau boulevard, bien camouflé, est arrivé, avec, dans sa sacoche, les bonnes recettes de l’ancien! Décor hyper-réaliste, (même la cuisinière fonctionne et la porte claque vraiment), personnages stéréotypées à la limite de la caricature et embringués dans une situation impossible, dialogue ping-pong, souvent assez facile et superficiel, avec mots d’auteur rigolards, scénario bien ficelé enrobé de mélo (voyez, cher public, le choix cornélien imposé à Sally!).
Mais les vieilles ficelles ressemblent ici à des cordes. Heureusement, l’interprétation tient la route, et en particulier le trio: Elodie Navarre, Constance Dolé, et Lépoldine Serre, la plus jeune de ces Trois Sœurs montée récemment au Théâtre de l’Athénée (par son grand frère Volidi et des deux vraies sœurs (voir le Théâtre du Blog) ; les trois actrices sont tout à fait crédibles et s’en sortent bien, même si les deux premières, qui boulent souvent leur texte, auraient un sérieux effort de diction à faire. A noter aussi la belle et forte présence de Bénédicte Dessombs dans le rôle de la mère indigne.
La mise en scène de Stéphane Hillel est nette et précise, et le public dans l’ensemble, semble ne pas bouder son plaisir; pendant 90 minutes, il rit souvent de bon cœur à cette plongée dans l’univers prolétarien de l’Angleterre contemporaine façon Ken Loach. Mais ce regard un peu voyeur, presque ethnologique, met mal à l’aise. Si Clément Koch avait situé l’action de sa pièce dans la banlieue lilloise, il y a fort à parier qu’il y aurait eu une vague de protestations…Mais à Sunderland!
Alors à voir? A la rigueur, si vous n’êtes vraiment pas difficile du côté texte, ne vous attendez pas à quelque chose d’exceptionnel! Comme les places ne sont pas données ( 43 à 25, 50 euros quand même!), à vous de décider, mais on ose parier que vous n’allez pas encombrer le standard…
Philippe du Vignal
Petit théâtre de Paris à 21 heures.