Quartier lointain
Quartier lointain de Jirö Taniguchi, mise en scène de Dorian Rossel.
Jirö Taniguchi est bien connu en France pour ses bandes dessinées; auteur de nombreux mangas, il a raflé nombre de prix dont celui du Festival d’Angoulême pour Quartier lointain édité en 1998, où il essaye, à partir de son histoire personnelle, et comme il le dit-lui même, de « rendre au plus près la réalité quotidienne des sentiments des personnages ». C’est évidemment loin de la BD traditionnelle et se situe plutôt dans un espace poétique.
Pour raconter Quartier lointain, Dorian Rossel et sa dramaturge Corine Carajoud, ont chois de ne pas illustrer mais de dire la théâtralité de ce récit graphique, et les acteurs (quatre hommes et deux femmes, accompagnés de deux musiciennes) jouent plusieurs rôles masculins ou féminins , c’est selon les besoins. Un décor minimaliste, avec des panneaux colorés et quelques accessoires; par exemple, le fauteuil roulant de la grand-mère est suggéré par un petit banc et une roue que le comédien tient de sa main droite.
Quartier lointain est une sorte d’exorcisme des années d’enfance de l’auteur et de l’histoire de ses parents, bien avant sa naissance, et du départ de son père dont la mère croit qu’il a une maîtresse, qui est en fait, une amie de lycée qu’il va voir chaque mois à l’hôpital où elle est en train de mourir. Ce qui n’empêchera pas son père de partir un jour , comme pour échapper à son destin et s’assumer en tant qu’homme libre de ses choix.
Et c’est à un constant aller et retour entre passé et présent, entre âge mur et années de lycée, que nous convie Dorian Rossel, où l’adolescent que fut Jirö Taniguchi, se trouve confronté aux choix de son père: » Quand tu auras mon âge,lui dit son père, tu me comprendras peut-être un peu ». Avec toujours en filigrane, la perte, le délitement, la nostalgie de l’enfance à jamais disparue mais toujours en mémoire,et la mort des êtres chers. Aucune esbrouffe, aucune prétention, aucune japonaiserie et pas de criailleries, pas de grands gestes inutiles: Dorian Rossel dit les choses calmement et dirige ses comédiens avec une admirable rigueur mais aussi avec beaucoup de grâce: les petites scènes, parfois un peu trop courtes, se succèdent dans le calme, avec de très beaux éclairages, soutenues, de temps à autre,par l’air d’une flûte et d’un violon.
Il y sans doute de l’Ozu dans l’air et Taniguchi ne cache pas son admiration pour le grand cinéaste japonais. C’est d’une grande habileté dans le rythme et dans la création d’espaces réalisée avec quelques panneaux mais aussi dans la direction des acteurs qui s’emparent de ce récit avec beaucoup de maîtrise. Ce qui est le plus frappant, c’est le silence et l’attention du public, où il y a nombre d’adolescents et d’enfants, alors que la forme de théâtre proposée où le jeu est capital, va à l’encontre de tout réalisme. C’est vraiment réjouissant de voir ce public faire à la fin une formidable ovation aux comédiens.Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, dans le cadre d’une programmation croisée avec le Théâtre de la Ville, ont bien fait d’inviter Dorian Rossel…
Philippe du Vignal
Théâtre Monfort 106 rue Brançion 75015 T: 01 56 08 33 88.