Sur le concept du visage du fils de Dieu, texte et mise de Romeo Castellucci.
C’est à une soirée très spéciale que le public a assisté lors de la première à Paris… A 20h15 , devant le théâtre de la Ville, un groupe d’intégristes chrétiens tente de pénétrer en force à l’intérieur, après avoir lancé des grenades lacrymogènes.
Le public qui est déjà arrivé entre alors précipitamment dans le théâtre et, à 21h15, le spectacle débute enfin, mais, vingt minutes après, un autre groupe qui, lui, était déjà entré après avoir acheté ses places, envahit alors la scène, (photo ci-contre) interrompant ainsi la représentation.
Après quelques palabres, le public, dont une partie se souvient de sa jeunesse rebelle (pour d’autres causes!), applaudit les policiers qui évacuent le groupe, et, à 22h15, Emmanuel Demarcy- Mota le directeur du Théâtre de la Ville, et le metteur en scène, en accord avec les acteurs, décident de reprendre la représentation. Sur le concept du visage du fils de Dieu a déjà été joué sans problèmes en Italie et en Pologne…
Mais la France, qui se targue d’être un pays de liberté et qui veut en permanence faire la leçon au monde, engendre de tels phénomènes et laisse se développer des extrémismes de tout bord. Le spectacle met en images la douleur et la patience d’un fils, devant la déchéance physique et mentale de son propre père, (incapable de retenir ses sphincters), sous le regard du Christ dans le tableau d’Antonello da Messina.
Dans une courte deuxième partie, ce Christ, dont le visage occupe tout le fond de la scène, va être envahi de stigmates, et des larmes de sang finissent par déchirer le visage, laissant apparaître une phrase à double sens: tu es mon berger, tu n’es pas mon berger. Ce spectacle pose en fait la question de la représentation du corps en souffrance. Romeo Castellucci avait déjà évoqué cette idée avec Giulio Cesare en 1988 au festival d’Avignon.
La société moderne policée a fait disparaître la notion de corps malade mais pourtant, chacun a personnellement plus ou moins vécu une telle situation. Seul, les soignants qui ont fait de cette approche du corps leur métier , voient cela au quotidien.Faut-il donner à voir cette déchéance humaine, à l’heure ou les sociétés modernes sont si fières de pouvoir allonger la durée moyenne de la vie… Mais dans quelles conditions ?
Aujourd’hui, seul le monde de la foi religieuse pourrait peut être prendre en charge cette destruction inéluctable? Destruction que le simple mortel n’arrive pas à intégrer ! Voilà ce qu’aurait pu nous dire Roméo Castelluci… s’il en avait eu la liberté.
A vous donc de choisir, selon vos convictions et votre vécu personnel, de voir ou non ce spectacle de 50 minutes.René Magritte disait déjà: « La valeur réelle de l’art est en fonction de son pouvoir de révélation libératrice ».
Jean Couturier
Théâtre de la Ville jusqu’au 30 octobre, et ensuite en tournée.
Le Théâtre de la Ville nous a communiqué aujourd’hui lundi ce texte de Romeo Castellucci qui fait écho aux lamentables provocations de bandes bien organisées vendredi dernier; comme le dit justement Jean Couturier, la France d’aujourd’hui fait preuve d’une grande tolérance.. mais à l’extérieur de notre cher hexagone… C’est triste de constater que la bêtise, une denrée qui n’a jamais manqué à l’extrême-droite française soit encore là Alain Escada, secrétaire général de Civitas, n’ pas peur « de constater que dès la première représentation de ces spectacles obscènes et blasphématoires à Paris, l’indignation des chrétiens s’est manifestée avec dignité et fermeté et néanmoins sans excès, malgré tout ce que peut écrire une certaine presse spécialisée dans la désinformation ».
Mais Emmanuel Demarcy-Motta a su garder son sang-froid et a fait le maximum pour qu’un metteur en scène étranger puisse quand même voir son spectacle joué dans des conditions normales d’exploitation.Et l’on ne peut que l’en remercier. Mais de tels faits montrent que l’intolérance politique et religieuse concernant, entre autres, un spectacle vivant tend à gagner du terrain. « Ces extrémistes, rappelle le Syndicat de la critique qui a pris fermement position, se revendiquent de Civitas, association qui œuvre à « la reconquête politique et sociale visant à rechristianiser la France ». « Leurs méthodes, leurs propos injurieux à l’égard des artistes et de la liberté de création, aussi minoritaires soient-ils, témoignent d’un climat nauséabond. Après Castellucci, ne prétendent-ils pas s’opposer également aux représentations de Golgota picnic de Rodrigo Garcia ? « Et Civitas appelle même à une manifestation nationale contre la « christianophobie ». Rien ne nous sera épargné.
Ph. du V.
Communiqué de Romeo Castellucci à propos de « Sul concetto di volto nel Figlio di Dio » joué au Théâtre de la Ville à Paris
Je veux pardonner à ceux qui ont essayé par la violence d’empêcher le public d’avoir accès au Théâtre de la Ville à Paris.
Je leur pardonne car ils ne savent pas ce qu’ils font.
Ils n’ont jamais vu le spectacle ; ils ne savent pas qu’il est spirituel et christique ; c’est-à-dire porteur de l’image du Christ. Je ne cherche pas de raccourcis et je déteste la provocation. Pour cette raison, je ne peux accepter la caricature et l’effrayante simplification effectuées par ces personnes. Mais je leur pardonne car ils sont ignorants, et leur ignorance est d’autant plus arrogante et néfaste qu’elle fait appel à la foi. Ces personnes sont dépourvues de la foi catholique même sur le plan doctrinal et dogmatique ; ils croient à tort défendre les symboles d’une identité perdue, en brandissant menace et violence. Elle est très forte la mobilisation irrationnelle qui s’organise et s’impose par la violence.
Désolé, mais l’art n’est champion que de la liberté d’expression.
Ce spectacle est une réflexion sur la déchéance de la beauté, sur le mystère de la fin. Les excréments dont le vieux père incontinent se souille ne sont que la métaphore du martyre humain comme condition ultime et réelle. Le visage du Christ illumine tout ceci par la puissance de son regard et interroge chaque spectateur en profondeur. C’est ce regard qui dérange et met à nu ; certainement pas la couleur marron dont l’artifice évident représente les matières fécales. En même temps – et je dois le dire avec clarté -, il est complètement faux qu’on salisse le visage du Christ avec les excréments dans le spectacle.
Ceux qui ont assisté à la représentation ont pu voir la coulée finale d’un voile d’encre noire, descendant sur le tableau tel un suaire nocturne.
Cette image du Christ de la douleur n’appartient pas à l’illustration anesthésiée de la doctrine dogmatique de la foi. Ce Christ interroge en tant qu’image vivante, et certainement il divise et continuera à diviser. De plus, je tiens à remercier le Théâtre de la Ville en la personne d’Emmanuel Demarcy-Mota pour tous les efforts qui sont faits afin de garantir l’intégrité des spectateurs et des acteurs.
Romeo Castellucci
Societas Raffaello Sanzio
Le Syndicat de la Critique nous a fait parvenir ce message et bien entendu, nous invitons tous nos lecteurs à le lire et à signer cette pétition dont l’adresse figure à la suite.
Le Théâtre contre le Fanatisme
Comité de soutien à la liberté de représentation du spectacle de Romeo Castellucci
au Théâtre de la Ville – Paris.
Depuis le 20 octobre, date de la première, les représentations de « Sur le concept du visage du fils de Dieu », de Romeo Castellucci, au Théâtre de la Ville, donnent lieu à des événements graves.Un groupe organisé d’individus qualifiés d’intégristes chrétiens, se réclamant en partie de l’Action française, a tenté d’empêcher l’accès au Théâtre de la Ville en bloquant les portes, en agressant le public, en le menaçant, en l’aspergeant d’huile de vidange, de gaz lacrymogènes et en lui jetant œufs et boules puantes, tandis que leurs complices, militants du Renouveau Français, entrés dans la salle, ont interrompu la représentation dès le début en occupant la scène et en déployant leur mot d’ordre : «La christianophobie, ça suffit ».L’AGRIF avait demandé par voie de justice l’interdiction du spectacle et avait été déboutée de sa demande par le Tribunal de Grande Instance le 18 octobre 2011.
La police doit donc intervenir chaque jour à l’entrée du théâtre, et nous nous sommes vus dans l’obligation de l’appeler à l’intérieur de la salle à plusieurs reprises pour qu’elle évacue ceux qui occupaient la scène, ce qui s’est fait sans heurts, parce que nous avons veillé à éviter des affrontements entre ces envahisseurs et le public outré de tels agissements.
Le personnel du théâtre s’est montré résolu et efficace en ces pénibles circonstances, et, malgré les nombreux incidents et interruptions, les représentations ont pu, jusqu’à présent, avoir lieu.Que ces groupes d’individus violents et organisés, qui se réclament de la religion contre une soi-disant « christianophobie », obéissent à des mouvements religieux ou politiques, demande une enquête ; pour nous, en tout cas, ces comportements relèvent à l’évidence du fanatisme, cet ennemi des Lumières et de la liberté contre lequel, à de glorieuses époques, la France a su si bien lutter. Le théâtre a d’ailleurs très souvent été pour ces luttes, un lieu décisif.
On ne peut en rester là. De tels agissements sont graves, ils prennent une tournure nouvelle, nettement fascisante. Ces groupes d’individus s’empressent en outre de décréter blasphématoires, de façon automatique, des spectacles qui ne sont dirigés ni contre les croyants, ni contre le christianisme. Des critiques de journaux importants, qui ne font pas mystère de leur foi chrétienne, ont d’ailleurs loué sans réserve ce spectacle lors de sa présentation en Avignon. Nous vous invitons aussi à lire les déclarations de Romeo Castellucci, publiées dans le programme distribué chaque soir au public, pour comprendre ses intentions et son propos d’artiste.
Nous n’entendons pas céder à ces menaces odieuses, et ce spectacle sera maintenu malgré toutes les tentatives d’intimidation. Nous invitons le public à y assister, en toute liberté. Le spectacle, coproduit par le Théâtre de la Ville, y est présenté jusqu’au 30 octobre; puis il sera repris, dans le cadre de notre partenariat, au Centquatre du 2 au 6 novembre.Il est d’ailleurs à noter que ce spectacle a été présenté sans troubles en Allemagne, en Belgique, en Norvège, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Russie, aux Pays-Bas, en Grèce, en Suisse, en Pologne et en Italie, et que c’est en France qu’ont lieu ces manifestations d’intolérance. Nous créons donc un comité de soutien s’adressant à toutes les personnes de bonne volonté – et cette expression est ici particulièrement bienvenue – pour défendre au-delà même du spectacle de Romeo Castellucci, la liberté d’expression, la liberté des artistes et la liberté de pensée, contre ce nouveau fanatisme.Emmanuel Demarcy-Mota, directeur et l’équipe du Théâtre de la Ville.* * *Premiers signataires atrice Chéreau, metteur en scèneStéphane HesselMichel Piccoli, comédienSylvie Testud, comédienne
Sasha Waltz, chorégraphe, Berlin
Arnaud Desplechin, cinéaste
Luc Bondy, metteur en scène,
Jean-Michel Ribes, auteur, metteur en scène, directeur de théâtre
Bulle Ogier, comédienne
Barbet Schroeder, cinéaste
Juliette Binoche, comédienne
Elodie Bouchez, comédienne
Claude Régy, metteur en scène
Christophe Girard, Président du Centquatre
Joseph Melillo, directeur de la Brooklyn Academy of Music, New York
Stéphane Lissner, directeur de la Scala, Milan
Dominique Mercy, directeur du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch
Brigitte Jaques Wajeman, metteur en scène
Jean-Claude Milner, philosophe
Pascal Bonitzer, cinéaste
Jacques-Alain Miller, psychanalyste
Judith Miller, philosophe
Marc Olivier Dupin, compositeur
Peter de Caluwe, directeur général de la Monnaie, Bruxelles
Christian Longchamp, Adjoint artistique & directeur de la dramaturgie, la Monnaie, Bruxelles
Jean-Luc Choplin, directeur du Théâtre du Châtelet
Yorgos Loukos, directeur du Festival d’Athènes
Simon McBurney, metteur en scène, Grande Bretagne
José Manuel Goncalves, directeur du Centquatre
François Le Pillouer, Président du SYNDEAC
Lloyd Newson, chorégraphe, Grande Bretagne
Anne Delbée, écrivain et metteur en scène
Jack Ralite, Ancien ministre
Ushio Amagatsu, chorégraphe, Japon
Georges Banu, Président d’honneur de l’association internationale des critiques de théâtre
Monique Veaute, Présidente de la Fondation RomaEuropa
Fabrizio Grifasi, Directeur de RomaEuropa
Claus Peymann, directeur du Berliner Ensemble
Les soutiens peuvent être envoyés par e-mail à l’adresse suivante :
comite-de-soutien-castellucci@theatredelaville.com