L’ESTHÉTIQUE DE LA FOLIE

 

L’ESTHÉTIQUE DE LA FOLIE d’Alberto Sorbelli.Action théâtrale conçue et mise en jeu par Alberto Sorbelli, avec la participation de Godefroy Segal, Éric da Silva, Melkior théâtre, Gare mondiale de Bergerac, et  Emmanuel Hermange critique d’art, Thomas Schlesser historien d’art, Pippo del Bono acteur.

« Je reste complètement hors circuit, […] ; 
j’existe, je suis là, mais je n’en fais pas vraiment partie….j’en vois une poésie. 
Et étant un poète, je vis comme un poète,
dans un espace complètement mental. 
La réalité, elle est autour, elle circule,
je la vois, je la touche parfois, […]. » 
Alberto Sorbelli. Étrange soirée que ce spectacle insolite découvert au Générateur de Gentilly qui mélange allègrement des extraits
pimentés de noir de L’Anniversaire d’Éric da Silva, qu’il interprète lui-même avec Marie-Charlotte Biais, un texte  de Godefroy Segal aux accents de Shakespeare sur le personnage , Duguesclin joué avec fermeté par une quinzaine d’acteurs de bonne trempe en cottes de maille et robes blanches, entrecoupés de commentaires esthétiques et administratifs d’Emmanuel Hermange et Thomas Schlesser, critique et historien d’art.

  Nous sommes assis sur des matelas en mousse autour de ce grand entrepôt et il faut jouer le jeu du déplacement pour parvenir à capter des bribes cohérentes : le son, les images projetées, les textes des acteurs se superposent, s’entrecroisent et sombrent dans une bouillie informe si l’on veut rester assis, bien adossé.
La folie théâtrale, on l’apprécie quand on voit Éric da Silva, acteur de belle stature, entièrement nu s’enduire soigneusement de noir du bout du sexe aux épaules, pendant qu’une douzaine d’acteurs braille les hauts fait de Duguesclin et que les critiques vont bon train autour des images projetées.
  On capte des fragments du discours amoureux pendant qu’Éric da Silva en cothurnes et robe à paniers se déhanche. Un long passage sur Jimmy Hendrix est projeté “Je tente des expériences qui permettent de sourire au monde…”. La flagellation de Rose Keller par le Marquis de Sade est évoquée, et  Jim Morrison comme  bien d’autres traversent l’espace. “C’est mon filon la monstruosité…”.
  On n’en finirait pas d’évoquer cet étrange jeu théâtral traversé par la silhouette d’Alberto Sorbelli qui se promène autour des acteurs. On peut déguster à la fin la lecture d’un nouveau texte de da Silva sur des assauts homosexuels à venir.
  Il y a du théâtre, du vrai théâtre, et surprenant !

Edith Rappoport

FRASQ de Gentilly


 


Archive pour octobre, 2011

La Mouette

La Mouette d’après Anton Tchekhov, adaptation et mise en scène de Mikaël Serre.

  

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Mettre en scène La Mouette aujourd’hui relève d’un certain défi, car le public et le critique ont déjà dans leur expérience de spectateur une représentation de référence, qu’il compare consciemment ou pas avec la nouvelle. Comme celle  d’Andreï Kontchalovsky en 1988 au théâtre de l’Odéon avec Juliette Binoche et Niels Arestrup. Bien sûr, le spectateur pourrait attendre une Mouette « académique », proche du travail d’Alain Françon au théâtre de la Colline avec sa mise en scène de  La Cerisaie  en 2009, avec une scénographie qui reprenait celle de Stanislawski.
Point de tout cela ici, la représentation est inscrite dans notre monde. La violence de l’expression des sentiments et le caractère auto-destructeur des personnages est symbolique de la Russie contemporaine. Le metteur en scène a déjà collaboré à des créations en Allemagne et en Russie, et cela se sent.
Cette pièce est totalement imprégnée de la réalité d’aujourd’hui comme le souligne Mikaël Serre : « A travers Nina et Konstantin, Tchekhov prévenait peut-être déjà des risques d’une société qui fait du rêve un commerce, et des conséquences désastreuses d’un narcissisme blessé, déstructuré qui déplace le centre de gravité à l’extérieur de soi ». La direction d’acteurs et  Mikaël Serre les a choisis pour  leur diversité de parcours et réussit à créer une force de jeu et d’authenticité. Ils sont justes et donnent à voir leurs fractures et leur humanité. C’est à un beau travail de troupe, certes éphémère, que l’on assiste ;« Tchekhov propose à une communauté d’acteurs d’exister, il n’y a que très peu de seconds rôles, ce qui donne au travail toute sa richesse », dit-il. Il s’agit d’une adaptation, le metteur en scène prend quelques libertés avec le texte sans déstructurer le récit, mais avec des allusions au cinéma. Jouer Nina est aussi une expérience à part pour une comédienne. Les frêles silhouettes des  Nina du passé hantent la mémoire du public, sans parler des centaines de monologues de La Mouette qui sont présentés par les jeunes actrices, lors des concours d’entrée dans les écoles de théâtre.
Servane Ducorps a un parcours déjà riche. Elle joue ici à la lisière du réel et de son personnage, comme par exemple, lorsqu’elle reprend la phrase de Romy Schneider « Ne faites pas de photos s’il vous plait…je suis une comédienne vous savez. Je sais faire des trucs bien », dans le film d’Andrzej Zulawski, L’important c’est d’aimer . La scénographie d’Antoine Vasseur et de Ludovic Lagarde est remarquable.
Le premier tableau nous transporte dans cette cruelle partie de campagne. Des rangées de transat et une grande tente délimite le plateau traversé par un filet de volley-ball, une petite piscine gonflable pour enfants occupe le centre de la scène. Nous pourrions être au bord de la Volga avec la nouvelle génération perdue de Russes sans repères et sans perspectives, qui n’ont pas connue la Russie Soviétique, et qui vivent dans une nostalgie utopique. Le deuxième tableau (deux  ans après dans le texte de Tchekhov) qui témoigne des chutes individuelles , est plus esthétisant avec son nuage de fumée et son jeu de lumières qui lissent et enrobent les sentiments contrariés. C’est un travail  intelligent et sensible du metteur en scène et de ses acteurs.
Ce spectacle, créé en janvier 2011 à la Comédie de Reims mériterait une exploitation dans d’autres lieux mais la diversité d’origine des acteurs et l’âpreté du marché fait qu’il sera difficile de retrouver ce même groupe pour une longue période. Il ne reste que quelques jours pour découvrir cette  Mouette .

 

Jean Couturier
Nouveau théâtre de Montreuil Centre dramatique national jusqu’au 20 octobre.

Trickster ou l’Arlequin de Trickster

Trickster ou l’Arlequin de Trickster , de et avec Didier Galas

  larlequindetrickster0079cericlegrand722fc.jpgDidier Galas donne à la figure de l’Arlequin revisitée par ses soins toute la teneur d’humanité souhaitée, sa touffeur et son étrangeté. C’est l’occasion d’une ouverture à la société tout entière et à ses pauvres bougres qui l’habitent, salariés modestes ou travailleurs sans-papiers, c’est-à-dire la population standard, mais encore aux pays à la fois lointains et proches, comme l’Angleterre, l’Italie, et jusqu’à l’Extrême-Orient, la Chine et le Japon. À tous les citoyens du monde aux origines diverses, salut !
L’Arlequin de Galas ne porte pas l’habit attendu, bigarré et coloré de losanges que la commedia dell’arte a su transmettre de siècle en siècle. Cet Arlequin classique et un rien conventionnel empêche de vivre et de s’épanouir le citoyen d’aujourd’hui. On pense à Ahmed, le libertaire, le personnage de valet contemporain inventé par le philosophe Alain Badiou ,que Christain Schiaretti mit en scène si brillamment et que Didier Galas incarnait déjà.
Ce Trickster se nomme Quiconque – toi ou moi, autant dire Personne -, jean et polo ou bien jolie veste jetée négligemment sur le dos. Penché sur ses seaux d’homme de service, la tête baissée et le corps entier en rotation et mouvement, Galas n’en finit pas de se plier, se déplier et se perdre en contorsions diverses, la métaphore d’un fil élastique qui ne prend jamais de repos. Ainsi va l’homme…
Si prendre un balai ne le rebute pas, c’est prendre la vie à pleines mains qui l’occupe et l’emplit de plaisir, lui et les spectateurs subjugués par les prouesses physiques et l’élégance du geste. Sans mot dire, ou à peine peut-être quelques onomatopées, quand Trickster fait l’apprentissage de la parole et du langage, le comédien embrasse l’espace et semble sentir l’univers tout entier au fond de son être.
L’intérieur de son âme est aux prises avec les phénomènes naturels les plus triviaux, borborygmes, hoquets, nausées, l’être humain doit s’adapter aux exigences les plus quotidiennes et les plus terre-à-terre car vivre est parfois un enfer. Peu à peu, s’impose la maîtrise du verbe avec la conscience d’être soi.
Heureusement, les masques les plus cocasses jouent aussi les rôles de compagnons d’Arlequin. Ce sont eux les véritables personnages de ce solo travaillé comme une partition à la note près. Galas parle les langues les plus insolites, subjuguant une salle sous le charme qu’accorde l’exotisme des lieux, des temps et des langues de la planète arpentée. Didier Galas, artiste multiforme, est à l’écoute des publics les plus fragiles et difficiles à la fois : les collégiens et lycéens, qu’il sait à lui seul, s’adonner au silence et à l’admiration d’un plateau de théâtre d’art.
Retirant de son visage enfin à vue, le dernier masque d’Arlequin, Didier Galas évoque son grand-père menant dans les montagnes de l’enfance son troupeau de bêtes et le petit garçon qu’il était. Contemplant l’immensité et la beauté des hauteurs célestes, le vieil homme lui raconte au garçon une aventure nocturne intense : l’apparition de son double devant lui. Un conte philosophique sur les relations du nouveau et de l’ancien, de la vie et de la mort, du petit Arlequin qu’on porte en soi face à l’image de fidélité et de vérité qu’on tend toujours à embrasser.
La salle entière fait à l’artiste contorsionniste une ovation d’enfer.

 

Véronique Hotte

Théâtre de la Cité Internationale jusqu’au 22 octobre 2011.T: 01 43 13 50 50

Cabaret Nono

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Cabaret Nono,  mise en scène de Marion Coutris et Serge Noyelle, textes de Marion Coutris, musiques de Marco Quesada.

 

  dsc3234.jpg Cela fait maintenant quelque quatre ans que Serge Noyelle a émigré et quitté son théâtre de Châtillon,  pour installer sa compagnie, à Marseille, au milieu des pins dans  la Campagne Pastré, une propriété de plusieurs hectares  de garrigue au pied des montagnes et à deux pas de la mer qui appartenait à Lily Pastré, grande amie marseillaise des arts et de la musique qui la légua à la municipalité, sous réserve qu’il n’y ait aucune construction en dur.
  Serge Noyelle a donc fait construire un grand chapiteau de 40 m de long sur  20 m de large et des annexes, en bois ou en toile pour accueillir le public, les artistes et techniciens de son équipe. Il vient d’y  présenter  à nouveau pour une série de représentations le Cabaret Nono qu’il avait créé dans une première version en 2004., puis rejoué ensuite .
Le cabaret est une forme de spectacle qui s’était comme greffée aux quartiers des théâtres, les Boulevards et le Palais-Royal; ces cabarets devinrent ensuite des caf’conc’, où comme leur nom l’indique, le public, sans doute plus hétérogène que celui des théâtres, pouvait à la fois consommer des boissons et regarder des numéros, des chansons et des danses.
Idée qu’a repris Serge Noyelle, avec une scénographie particulièrement bien adaptée: imaginez un ovale avec une piste qui l’entoure et à chaque extrémité, un orchestre  de quelques musiciens et une scène de quelques cinq  mètres d’ouverture. Au milieu, le public-190 personnes un peu serrées autour de tables rondes et convié à déguster un petit dîner de qualité, servi à l’assiette et avec beaucoup d’aisance, ce qui n’est pas évident avec tant de monde, par des garçons en smoking, comédiens de leur état.

  Il ne s’agit pas tout à fait d’un cabaret traditionnel mais plutôt de tableaux vivants avec quelques fragments de texte, des chansons et des numéros dansés en solo ou chœur, le tout dirigé par un maître de cérémonie en queue-de-pie aux couleurs chatoyantes. Les costumes et les maquillages  de chacun des quelque cinquante  personnages incarnés par une vingtaine d’acteurs/chanteurs/danseurs, souvent travestis: hommes/femmes (c’est plus drôle évidemment) et femmes/ hommes sont d’une rare invention, et rappellent le baroque de ceux du Ridiculous Theater new yorkais de John Vaccaro dans les années 70,avec ses strass, ses paillettes.
C’est , comme une galerie de personnages entraînés dans un délire poétique et comique où l’on perçoit parfois des bribes du texte écrit par Marion Coutris. Mais le cabaret Nono, c’est aussi  une suite de formidables images où l’on retrouve parfois l’influence du grand Kantor qui avait tant marqué Noyelle à ses débuts, comme  cette jeune femme au faux long nez , en robe noire qui tire une sorte de chariot où est étendue une autre jeune femme les seins dénudés; un homme au crâne rasé lui verse lentement l’eau d’un arrosoir  vert dans la bouche… Le tout dans la brume traversée de très belles lumières .
On est un peu dans Magritte et le plus souvent dans le surréalisme: Noyelle est autant  peintre, et bon peintre,  que metteur en scène, et il déguste en connaisseur la beauté sculpturale des corps nus ou habillés, filiformes ou obèses comme celui de certaines de ses actrices.

  Comme l’écrit Chantal Jaquet dans Le corps:  » La vue saisit l’existence matérielle des corps ne tant qu’ils se manifestent par la forme et la couleur. Elle est apte à percevoir le beau, non seulement pour des raisons internes à l’œil qui tiennent à la condition de possibilité de la perception visuelle, à savoir la lumière » .
Que le corps soit immobile ou en mouvement, comme dans cette formidable danse rythmée  sur la piste circulaire des acteurs-tous possèdent une maîtrise absolue de leurs corps- qui entrent les uns après les autres par une fente du rideau rouge. Rien que pour cette image fabuleuse à la Pina Bausch, le cabaret Nono mériterait d’être vu.

  Il y a aussi suspendu au milieu du public et éclairé des lumières bleues, et, au dessus d’un bac rond accueillant les bouteilles  de vin, un magnifique lustre de perles de glaces qui fond lentement. Saluons aussi les musiciens  qui sont là en permanence en osmose avec les comédiens, et la performance des serveurs et employés de cuisine qui arrivent à servir correctement une entrée, un plat et un dessert  en harmonie avec le spectacle.         Jacques Livchine, qui a pourtant la dent dure, ne tarissait pas d’éloges sur le spectacle.Le public marseillais, lui aussi est vite conquis , et a très longuement applaudi, après  deux heures et demi avec une petite pause pour seulement,  ceux,  prioritaires, qui ont envie de coke ou d’aller aux toilettes  rappelle Serge Noyelle.
  Des bémols? Pas beaucoup. Le spectacle a tendance à patiner un peu les vingt dernières minutes- fatigue des acteurs et/ou du public moins réceptif-quelques coupes ne seraient pas un luxe-et  même si Noyelle trouve que la place n’est pas chère puisque le repas (sans boissons!) est inclus dans le prix d’entrée: 45 euros(tarif réduit: 35 euros et il y a beaucoup de bénéficiaires).
Ce qui est vrai, mais n’est quand même pas à la portée de nombre de Marseillais, d’autant plus qu’il faut une voiture pour y aller…Et comme les transports en commun s’arrêtent à 21 heures… Sans doute pourrait-on revoir la formule?

   En tout cas, si vous le pouvez, n’hésitez pas: une autre édition de ce Cabaret sortira la saison prochaine à Marseille.

 

Philippe du Vignal

 

 

Théâtre Nono – Campagne Pastré  35 Traverse de Carthage 13008 Marseille.

Jungles


Jungles,
spectacle de Patrice Thibaud, co-mise en scène de Suzy Firth, Michèle Guigon et Patrice Thibaud.

 VOIR LA VIDEO↓

Il y a trois ans, Patrice Thibaud que l’on avait vu dans les derniers spectacles de Jérôme Deschamps, avait créé Cocorico  avec mime et musique, et deux personnages qui inventaient des numéros sur le thème du  Far-west, du ventre d’un lion ou d’un défilé militaire du 14 juillet. Jungles, qu’il avait créé en janvier dernier à Chaillot, c’est aussi bien sûr, un spectacle burlesque,  » pour montrer, dit Patrice Thibaud, l’animalité plus ou moins refoulée qui peut, à tout moment,  prendre le pas sur l’homme civilisé » . Bon, on veut bien…
Sur le plateau, deux  petites baraques qui font penser à celles  des Pieds dans l’eau que Jérôme Deschamps et Macha Makeieff avaient monté, il y a quelque quinze ans, sur cette même scène: l’une qui fait office de maison, avec un  affreux papier mural, l’autre de scène/castelet dotée d’un piano, avec une  porte sur chaque côté dont l’une se prolonge par une passerelle.
Un homme  et sa femme(?) cherchent à défendre leur portion de territoire contre un chien au comportement des plus humains joué par un comédien acrobate et pianiste (Philippe Leygnac) qui s’insinue dans le couple.Il y a aussi un autre homme/chien que l’on verra peu. Aucune parole,   sinon des  borborygmes, chuintements, voire au bout d’un moment quelques pauvres phrases. Il y a, de toute évidence, une sorte de conflit amoureux entre le bonhomme (Patrice Thibaud) et le chien qui voudrait bien goûter aux charmes de sa compagne, la belle Marie Parouty qui reprend le rôle de Lorella Cravoty.
Les coups de matraque (en mousse rouge) et les gags/poursuites se succèdent, et c’est souvent drôle, comme, entre autres, le début quand le bonhomme mange des craque-pains en rythme: c’est la vieille histoire du comique qui naît d’un comportement humain calqué sur du mécanique, bien analysé par Bergson au début du siècle dernier. Il y a aussi une scène remarquable, tout à fait dans la ligne du burlesque américain, où la leçon de piano tourne à l’avantage du chien plus fort que le maître: le spectacle prend alors tout son sens.
Mais tout n’est pas de cette qualité Patrice Thibaud, constamment en scène, en fait beaucoup, trop sans doute, et trop souvent: gesticulations,grimaces, roulements d’yeux, rictus et il y a souvent comme du  Louis de Funès dans l’air auquel le comédien ressemble étonnamment, même s’il est plus grand, mais  le public est ravi.
Marie Parouty  a, elle,  un jeu plus  discret mais singulièrement efficace, même si on a souvent l’impression qu’elle sert parfois de faire-valoir à Patrice Thibaud. Mais, comme les gags sur le thème animal/humain se succèdent, comme en témoignent les rires en cascade de la plus grande partie du public, le spectacle fonctionne quand même.
Mais la  mise en scène- signée à trois, et ceci explique sans doute cela- reste peu convaincante: le rythme  reste souvent lent, voire cahotant, les quelques petits dialogues qui ne sont pas en harmonie avec  l’intrigue, tombent à plat, et les poursuites ne sont pas toujours vraiment maîtrisées.
C’est un spectacle qui manque d’un fil rouge, d’une dramaturgie et d’une véritable direction d’acteurs. Qui dirige qui?
Alors à voir? Oui, si vous n’êtes pas trop exigeant, mais  on reste quand un peu sur sa faim pendant ces 80 minutes, et le spectacle se termine plus qu’il ne finit, comme s’il était encore en rodage… Mais,  encore une fois, le public rit de bon cœur…

 

Philippe du Vignal

Théâtre national de Chaillot, salle Gémier jusqu’au 18 juillet.

http://www.dailymotion.com/video/xix6zi

L’Opéra de quat’sous

 

L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht et Kurt Weill, mise en scène de Laurent Fréchuret, direction musicale de Samuel Jean.

img2461.jpgC’est un ensemble de comédiens-chanteurs, chanteurs-comédiens, et musiciens, tout à fait éclatant et brillant que Laurent Fréchuret a su rassembler autour de lui pour porter L’Opéra de quat’sous au Centre Dramatique National de Sartrouville.
Vingt-quatre personnes sur le plateau, c’est merveilleux ! Cette œuvre, qui comporte tous les ingrédients du grand théâtre populaire et dont le succès ne s’est jamais démenti depuis sa création, est donc donnée ici dans une version ample et généreuse.
Attention,  ample, ne veux pas dire longue. Contrairement à ce qui se passe souvent, des morceaux chantés – ceux de Lucy, par exemple – ne sont pas sacrifiés, et c’est bien.  Les instrumentistes sont nombreux,  sur le plateau,  et  interviennent. dans le jeu. Ce passage de relais musiciens-comédiens a quelque chose  de jubilatoire.  Le metteur en scène a réussi à entraîner  son équipe vers des évocations fortes et de très beaux moments collectifs. L’humain a été privilégié sur le « décoratif », c’est juste, c’est fort, et ça marche.
La vie du cabaret, l’envers de la maison de passe, les exhibitions de mendiants chez les Peachum, la grande scène du mariage de Polly avec la bande des inénarrables malfrats pieds nickelés, sont des trouvailles très réussies. On s’amuse, on s’attendrit, on rit, grâce en tout premier lieu à la puissance d’évocation collective des comédiens. La causticité du propos – « Qu’est-ce que le vol d’une banque à côté de la création d’une banque ! » comme l’affirme amèrement Mackie au final -, issue tout droit de l’esprit rebelle du grand Jonathan Swift qui avait donné l’idée de cette pièce à John Gay – L’Opéra des gueux, écrit en 1728 – a traversé le temps sans perdre de son mordant.
La pièce, traduite bien plus tard par Elisabeth Hauptmann, devint sous sa plume de Brecht L’Opéra de quat’sous et  connut immédiatement un immense succès. A la création, en 1928, elle devait sonner en écho avec l’actualité, la montée de la misère, les scandales de la finance et l’hypocrisie des bien-pensants repus. Hélas, en 2011, elle sonne toujours d’actualité …
Mais, au-delà du propos, c’est la cocasserie des personnages sans foi ni loi, coloriés avec humour, qui rend l’œuvre intemporelle. Et Kurt Weill a su mêler en toute fluidité les genres – « grande musique », musique de danse, de bastringue, d’opéra, de variété …- sa musique est un sommet qu’on ne se lasse pas de retrouver, même si on en connaît les grand airs par cœur.
Thierry Gibault, qui joue 
Mackie est excellent. Tour à tour, voyou séducteur, rusé et grand seigneur, à la fois déterminé et perdu, il transmet parfaitement la complexité du personnage et son tempérament double. Son complice de la police, son double, Tiger Brown, grâce à Harry Holtzman, est tigre et renard à souhait. Polly, (Laëtitia Ithurbide) a une voix splendide et l’innocence, la tendresse d’une Gavroche amoureuse. Sarah Laulan dans Lucy et Kate Combault dans Jenny ont de belles voix lyriques, et la mise en scène, devant l’immense rideau de fond, leur donne une solennité très émouvante.
Le couple Peachum, Vincent Schmitt et Eleonore Briganti, est excellent. Lui,avec beaucoup de force et une diction parfaite, une présence solide, manipule tout son petit monde. Il nous fait parvenir chaque mot. Elle, avec sa belle voix grave et prenante, donne à « maman » Peachum tout son relief et sa drôlerie.
La salle de Sartrouville était archi pleine d’un public de tout âge – des enfants venus avec leur famille aussi – et c’était un régal de partager cette joie. Les spectacles vraiment « tout public » sont finalement assez rares.
Voilà une œuvre populaire, entraînante, pleine d’allant, de poésie et de mordant, sur un grand plateau, idéale pour emmener aussi des enfants ou des  adolescents découvrir le théâtre à son sommet de tressage des arts. Un beau cadeau que fait au public Laurent Fréchuret.
A ne pas rater, encore quelques jours à Sartrouville, puis en tournée.

Evelyne Loew


Théâtre de Sartrouville CDN, jusqu’au 21 octobre.
en tournée: Cergy, Forbach, Angoulême, Marseille, Saint-Quentin-en-Yvelines, Vellein-Villefontaine, Chalon-sur-Saône, Saint-Etienne, Alès, Sénart, Vire, Argentan …

L’ Ombelle du trépassé

  L’ Ombelle du trépassé, texte et mis en scène de Jean Lambert-wild, accompagné de chants bretons recueillis par Yann-Fañch Kemener.

 

ombel20111003tjv57.jpgComme le dit  Michel Onfray, vieux complice du metteur en scène et directeur de la Comédie de Caen: «   Jean Lambert-wild chante et s’inscrit dans le lignage primitif des poètes de la généalogie du monde: les eddas, les genèses, les sagas. Dans l’Ombelle du Trépassé, il psalmodie un monde celte. pas seulement à cause de la langue bretonne, mais en regard du monde créé: un univers de de genêts jaunes et de mer sombre , d’embruns épais et de géologies grises ».
Rien sur la scène sinon qu’un rocher qui se dresse verticalement comme un menhir où l’on aperçoit, immobile le buste et la tête d’un homme comme s’il en était un peu le prolongement vêtu d’une  cotte de maille brune. C’est, Yann-Fañch Kemener,  le chanteur et ethno-musicologue breton,  qui a contribué depuis une trentaine d’années à la transmission de chants et poèmes bretons qu’il a patiemment collectés.
Le spectacle  est en fait un monologue ; c’est un tissage adroit du texte de Jean Lambert-wild de l’étonnante psalmodie entonnée  en direct soit en différé , au micro ou pas par Yann-Fañch Kemener, et de la musique de Jen-Luc Therminarias. Le chanteur-interprète ne bouge pas, et cette voix forte,grave et rocailleuse,  et  comme venue de la lande profonde, est  impressionnante de vérité, et en parfaite adéquation-monologue/monolithe- avec cette silhouette massive plantée en haut de ce rocher bleu foncé (pas très beau qui sent la résine synthétique à dix mètres)… mais bon.
Cette psalmodie peut faire penser quelque fois à une sorte de récitation  de poème homérique, et si on ne  comprend pas du tout le breton, on est quand même très touché par cette voix, à la fois si dure et si douce, qui sait dire la poésie de chansons populaires bretonnes comme la langue subtile de Jean lambert-wild. Le soir de la première,la balance était encore loin d’être au point et le son dispensé par le micro HF n’était pas très satisfaisant mais cela a du s’arranger depuis.
. Le spectacle n’est pas long (une heure et quelque) mais d’une force poétique indéniable.

 

Philippe du Vignal

 

 

 

Maison de la Poésie Passage Molière, 157, rue Saint Martin  T: 01 44 54 53 00

 

Fille du Paradis

Fille du  Paradis  d’après Putain de Nelly Arcan, mise en scène d’Ahmed Madani.

     Ahmed Madani qui était parti diriger le Centre dramatique de l’Océan Indien de 2003 à 2007 à la Réunion, où il a accompagné divers auteurs de l’Océan Indien, se consacre désormais à un thème de recherche intitulé Femmes. Avant son départ, il avait laissé de beaux souvenirs, avec Méfiez-vous de la pierre à barbe. Après Ernest ou comment l’oublier, Paradis blues commandé à la mauricienne Shenaz Patel et L’Amante anglaise de Marguerite Duras, il revient  avec  ce monologue de Nelly Arcan, artiste canadienne qui s’est donné la mort  en 2009.
  Véronique Sacri vêtue d’un strict manteau strict, sur le petit plateau du Théâtre Essaïon, nous conte son éducation imprégnée de religion par un père aimant, l’absence de tout lien avec sa mère qui ne s’est jamais remise de la mort de sa sœur aînée à deux ans. “Un débris de mère (…) ma sœur est morte depuis toujours, mais elle flotte encore sur la table familiale (…) Cynthia, je lui ai pris son nom !”
  Elle raconte la pension, les études plutôt réussies, puis  un travail de serveuse  qu’elle quittera sans transition pour se  prostituer. Huit clients dès le premier jour: elle gagne de l’argent, beaucoup d’argent, mais finit par sombrer dans l’horreur quotidienne des fellations.
  Malgré la belle présence de cette comédienne,  dont la transformation physique est étonnante sans aucun changement de costume, malgré une vraie théâtralité sur le simple déploiement de sa chevelure, on est gêné par un texte qui ne donne aucune piste d’explication sur cette dérive inéluctable.
Le manque d’amour, personne à qui se raccrocher ?
On attendait plus de ce monologue,  qui a cependant une belle qualité d’écriture.

 

Edith Rappoport

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Fille du paradis, d’après Putain, de Nelly Arcan , mise en scène Ahmed Madani

 

Nelly Arcan s’est inventée elle-même : d’une enfance somme toute banale au Québec, elle s’est faite écrivaine, auteure, et putain. Pas sur le trottoir, “escort girl“, la prostitution propre, chère. Ce qui ne guérit de rien. Elle est morte en 2009, peut-être du suicide, laissant une demi-douzaine de romans, en partie posthumes. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas de se revendiquer comme “travailleuse du sexe“ : ses livres ne sont pas militants, il s’agit de réfléchir sur le corps et le sexe.
Qu’est ce qu’il vient chercher auprès de la “putain“, cet homme qui n’envisage pas un instant que sa fille ou sa femme puisse se trouver à cette place-là, ni que la fille qui est là puisse être tout simplement la fille d’un homme, de son semblable ? Qu’est ce désir qui ne se soucie pas du désir de l’autre ? Que trouve-t-elle là, en plus de l’argent, et de ce qu’elle appelle l’irréparable, la fille qui est là ?
Nelly Arcan y voit la maladie du narcissisme. Côté filles, ce qu’elle appelle la putasserie, l’obsession de l’image, du corps qui n’est jamais parfait, comparé aux autres, jamais assez désiré, inconsolable. Voir La Burqua de chair (dernier roman paru de Nelly Arcan), sur le corps enfermé dans la chirurgie esthétique. Sortir de sa condition de “larve“ la femme non désirée, la mère, qui n’a plus aucun potentiel érotique ! Côté clients, qu’est-ce qu’elle en sait, la fille ? Elle n’en connaît que des bouts de corps. Le client, lui,  ne touche que des morceaux de son corps à elle, le féminin obligatoire, et eux-mêmes se réduisent ce petit bout qu’ils appellent parfois « bout », et à une force qui peut-être un jour ne sera pas inemployée. Danger.
Ahmed Madani a pris un parti à la fois très fort et frustrant. Il a confié le récit à une jeune comédienne qu’il a voulue aussi discrète et timide que possible : quand elle s’avance sur scène, on croit qu’elle va nous inviter à éteindre nos téléphones portables. Véronique Sacri a accepté cette option radicale, de ne pas « en faire », affrontant le propos de Nelly Arcan : toute femme, toute fille est, dans la culture mondiale de l’image, embringuée dans la “putasserie“, dans le narcissisme inquiet, qu’elle le veuille ou non.
Elle arrive avec son visage gentil, ses cheveux noués, son manteau fermé. Après, ça se débride, avec l’irruption d’un rock hurlant. Et l’on revient au pur récit. L’éclairage produit un effet d’auréole pas indispensable. Il manque quelque chose pour que le spectateur soit transpercé, bouleversé par le roman (autobiographique, mais ne relevant pas du témoignage) et par la parole de la comédienne.
Oserons-nous dire que l’innocence souriante ou grave de la comédienne n’atteint pas, par excès d’humilité, le tranchant, le musclé de l’écriture ? Pourtant, on l’écoute, pourtant, on la suit, pourtant, elle est là. Après tout, le terme même de putain ne signifie, au départ, que « jeune fille »… Peut-être est-ce le cri de colère – PUTAIN !!! – qui manque ici. À voir, pour ce paradoxe, et pour ces questions.

 

Christine Friedel

 

Théâtre Essaïon à Paris, les lundis et mardis à 21h30, jusqu’au 17 janvier 2012 !

Théâtre Essaïon, les lundis et mardis à 21 h 30

BRÛLE

Brûle par le Groupe Krivitch, texte et mise en scène de Ludovic Pouzerate,

À la veille de Noël, des bénévoles préparent les cadeaux à distribuer aux enfants démunis. Ils enfilent de longues barbes blanches, se coiffent de grands bonnets rouges à pompons blancs, s’interrogent sur le bien fondé de cette entreprise créée voilà des années dont le sens se délite peu à peu.
  Le désarroi s’installe avec le doute sur une fraternité perdue peu à peu dans une société de plus en plus égoïste. Les émeutes rôdent aux portes, et deux rappeurs font irruption, braillant la violence de notre monde. La responsable de l’association tente sans succès de remettre de l’ordre dans la préparation des cadeaux, les tables sont renversées, on ne sait plus que faire dans ce capharnaüm.
  Ludovic Pouzerate brosse cette comédie sur fond d’émeutes avec une belle maîtrise théâtrale et musicale, un sens du rythme et un certain humour, les huit acteurs ont une vraie présence.
Après une formation aux ateliers du Sapajou et l’écriture de plusieurs pièces, Dissertation du névropathe Wouf-Wouf et Moi-je, Ludovic Pouzerate s’est associé depuis plusieurs mois au Collectif 12. Son groupe Krivitch y a trouvé une base de travail déterminante. Brûle, présenté la veille devant des lycéens, a connu un triomphe.
Edith Rappoport

 

Soirée Jeunes Zé Jolie, Collectif 12 de Mantes la Jolie

BURN BABY BURN

Burn baby burn de Carine Lacroix, mise en scène Cécile Arthus.

Carine Lacroix a monté plusieurs de ses textes, Le Café des roses en 2003, puis  La nuit des évadés ; elle écrit aussi des chansons et des poèmes. Burn baby burn  est une histoire assez glauque : dans une station service à l’abandon tenue par une fraîche jeune femme, une motarde agressive débarque.
Mais il n’y a plus d’essence à la pompe, elle s’installe et les relations tendues du début se font peu à peu plus tendres. Stagiaire dans un salon de coiffure, la motarde s’adonne à la  drogue qu’elle va partager avec son hôtesse qui devient son amie.
Affamées, elles commandent des pizzas qui leurs sont livrées par un jeune homme qu’elles séquestrent au moment où il leur réclame son dû. Et elles finiront par l’assassiner !
Malgré une belle présence des trois comédiens et une certaine qualité d’écriture, le texte s’englue dans de longues redites qui finissent par lasser le public ami venu découvrir une jeune compagnie accueillie par le Collectif 12.

 

Edith Rappoport

 

Compagnie l’Envers libre, Collectif 12, Mantes la Jolie

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