Onzième

Onzième, Théâtre du Radeau, mise en scène et scénographie de François Tanguy.

11.jpgOn connaît depuis  le début des années 80 le Théâtre du Radeau et ses somptueuses images avec des plans qui déconstruisent l’espace où se glissent des personnages qui n’en sont pas vraiment et qui tiennent davantage de silhouettes échappées d’un rêve qui apparaissent sans  aucune volonté de dire ou de proclamer une quelconque vérité.
Il y a toujours eu chez François Tanguy une référence permanente à la peinture, notamment surréaliste mais aussi à Kantor.
Il n’y a rien à « comprendre » , comme le pensaient  certains spectateurs un peu désorientés par ce nouveau poème visuel et sonore qu’ est Onzième. En référence au onzième des seize quatuors à cordes de Beethoven. Il y a juste à prendre,  à se laisser emmener par ce flot d’images, d’extraits de textes et de musiques, et à s’en laisser imprégner.

Le travail d’agencement des différents disciplines convoquées par François Tanguy: oralité, gestuelle, musique, scénographie et vidéo est toujours d’une extrême précision, condition sine qua non, et cela n’a rien de paradoxal,  pour que cet ensemble puisse fonctionner et produire un flot d’images poétiques.
On reconnaît souvent dits à voix basse,  de courts extraits du Richard II,  des frères Karamazov et des Démons de Dostoïevski mais aussi en allemand,  de poèmes d’Hölderlin, et sans doute du Purgatoire de Dante quand un homme parle de sa Lise, et quelques vers des Bucoliques de Virgile. Côté musique, c’est aussi  le même genre de patchwork savamment cousu avec entre autres bien sûr, le fameux quatuor à cordes de Beethoven,  Richter et Leonhardt  avec  les  cantates de Bach mais aussi  un morceau d’opéras Macbeth de Verdi, ou Pelleas et Mélisande de Sibélius,  des chœurs de Schubert et les somptueuses musiques de funérailles de Purcell… La musique-à travers le programme choisi par François Tanguy – est un des éléments essentiels de ce spectacle que l’on peut appréhender sur plusieurs angles: c’est un peu au spectateur de reconstruire ce qu’il voit, selon le mot fameux de Vinci: « la pittura é cosa mentale ».

Et cela marche? Oui et non; il y a  certains moments d’une intense beauté plastique et musicale:  Laurence Chable marchant  en équilibre sur une planche dans un ciel crépusculaire, le discours de Mussolini  devant des soldats casqués, et, à la fin du spectacle, ces faux musiciens jouant dans le vide avec une musique enegistrée,  des merveilleuse ombres chinoises  de personnages énigmatiques, une vieille dame à la Goya en fauteuil roulant  que l’on déplace au gré des scènes:  cette fragmentation de vision que nous imposent les  châssis que les comédiens font rouler,  et les longues tables qui sont autant d’aires de jeux improvisées apparaissent comme absolument  pertinentes, et répondent à une exigence poétique de grande qualité.
Mais il faut les mériter ces images et le spectacle dure tout de même deux heures vingt, ce qui est sans doute beaucoup trop long: on comprend bien que Tanguy ait besoin de temps, comme Wilson à ses débuts, pour nous faire entrer dans son univers mais les effets ont tendance à se répéter et, du coup,  ce théâtre d’images devient alors moins évident, surtout quand Tanguy , qui, lui aussi,  est tombé dansa la marmite de la vidéo, nous impose sur grand écran des gros plans de feuilles et d’herbe pas vraiment passionnantes: on se demande alors ce qu’il  veut  nous dire.
Et l’on a parfois une impression désagréable de saturation: les choses se passent comme si, tout en maîtrisant parfaitement un processus de création, Tanguy n’arrivait plus vraiment à faire en sorte que la machine texte dit / gestualité/ images/ musique arrive encore à produire de  l’émotion et du  plaisir  théâtral.

Alors à voir?  A vous de choisir, ce peut être l’occasion de découvrir l’univers de François Tanguy, à la fois peintre et dramaturge, mais en sachant que Onzième, malgré ses grandes qualités, est un spectacle, extrêmement soigné mais trop long et trop inégal…

Philippe du Vignal


T2G Théâtre de Gennevilliers jusqu’au 14 décembre.


Archive pour novembre, 2011

Modèles

 

 

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Modèles , écriture collective de Sabrina Baldassarra, Pauline Bureau, Benoite Bureau, Laure Calamy, Sonia Floire, Gaëlle Hausermann, Sonia Neveux, Marie Nicolle, Emmanuelle Roy, Alice Touvet, mise en scène de Pauline Bureau.

 Entourée d’un groupe d’artistes-des femmes pour la plupart-Pauline Bureau s’est interrogée sur la signification du mot femme aujourd’hui? Le spectacle s’ouvre sur un dialogue de Pierre Bourdieu qui répond à une journaliste de la télévision, dont  les images sont retransmises sur grand écran.
En contrebas, cinq femmes déclinent sur un mode ironique doux amer, les violences et les humiliations que nous avons été si nombreuses à subir,  sans jamais oser l’avouer publiquement, le viol, l’avortement, et les violences de toutes sortes !
Avec des chansons d’Édith Piaf et de Courtney Love,  des textes fondateurs de Marguerite Duras, Simone de Beauvoir, Virginie Despentes, Judith Butler, Catherine Millet et Virginia Woolf, et des reproductions de tableaux de Cranach et  de photos de Nan Goldin, la compagnie La part des Anges s’interroge sur les modèles de la féminité avec humour et dérision.
Les cinq actrices,  dans un vaste espace habité par de belles images sur grand écran, portent loin le discours sur la répression d’une moitié de l’humanité qui n’a pas fini de conquérir sa reconnaissance à égalité avec les hommes, même en Europe en 2011. Le tableau des luttes féminines de 1791 à nos jours qui figure dans le dossier de presse, fait froid dans le dos…

Edith Rappoport

 

Spectacle joué au nouveau Théâtre de Montreuil  les 25 et 26 novembre;  puis en tournée,  au centre culturel le Mail à Soissons le 2 décembre,  au théâtre Louis Jouvet de Réthel le 16 décembre, et  au  Volcan du Havre, les 10 au 12 janvier.

Elle était une fois

Elle était une fois d’Anne Baquet, mise en scène  de Jean-Claude Cotillard, accompagnement au piano et à l’accordéon, direction musicale de Damien Nédonchelle.

presse350.jpg Anne Baquet a déjà plusieurs  récitals à son actif dont J’aurais voulu devenir chanteuse et Non, je ne veux plus chanter ( voir Le Théâtre du Blog) tous les deux très réussis; elle a eu envie cette fois de « raconter un conte musical » en donnant vie à onze personnages sur des chansons écrites par trois auteurs:  Flannan Obé, Fédéric Zeitoun et  Frank Thomas et mises en musique par, entre autres:  Reinhardt Wagner, Juliette et Damien Nédonchelle qui l’accompagne, et des compositeurs classiques comme Gounod,et Tchaïkovsky.
Elle est là sur la petite scène du Ranelagh, espiègle et fine,avec une parfaite maîtrise de son corps- ce qui n’est pas si fréquent chez les chanteurs- et  une  présence formidable et un sens évident de la chanson; Anne Baquet, avec une belle voix de soprano,sait passer de l’humour à la tendresse ou à une certaine nostalgie; en parfaite complicité avec son pianiste, elle a une gestuelle impeccable que la mise en scène rigoureuse de Jean-Claude Cotillard a bien su mettre en valeur. Comme c’est magnifiquement éclairé par Jacques Rouveyrollis, le public se  laisse vite emporter. C’est  du  travail de grands professionnels.A fois dénué de prétention et bien réalisé. Au chapitre des bémols: sans doute était-ce  le soir de la première,  et le spectacle était encore un peu brut de décoffrage mais la balance entre piano était mal foutue et on avait parfois du mal à entendre Anne Baquet. Par ailleurs, Jean-Claude Cotillard devrait revoir d’urgence  son interprétation des petits textes de liaison déjà pas très fameux: là,le compte n’y est pas et, désolé: même si l’on peut comprendre que ce n’est pas si facile de passer du chant au texte,  on ne croit pas un instant à ce que dit Anne Baquet. Et c’est  vraiment dommage mais pas du tout irréversible avec un peu de travail.
Alors à voir? Oui, si vous avez envie  de quitter un peu le monde du théâtre et d’aller écouter  une vingtaine de chansons dans une salle  aussi sympathique qu’un peu délirante, tout en fausses boiseries à 800 kilomètres de Paris… et tout près de la célèbre Maison ronde  de la Radio,  tout près aussi du métro Muette- déformation, dit-on,  du mot  meute, celle des chiens de chasse de Louis XIV qui y étaient logés et  où il y avait encore des vaches en 1910… Si, si c’est vrai! Vous pouvez vérifier… Arrêtez, du Vignal,  de nous abreuver de vos connaissances! Bon, d’accord,  on arrête.

Philippe du Vignal

Théâtre du Ranelagh le vendredi, samedi et dimanche

Jean-Paul Céalis: Jardin d’outils

Jardin d’outils de Jean-Paul Céalis.

londres0812daugce769alis109.jpgLe monde était si récent que beaucoup de choses n’avaient pas encore de nom et, pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt.
Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude.

On ne voit plus guère les inventions de Jean-Paul Céalis, artiste et metteur en scène de remarquables installations Il a quitté le Passage des soupirs à Paris, et  se cache quelque part dans la Sarthe. A la campagne. Il continue de nous étonner. Le voilà maintenant qui s’attaque aux outils de jardin. Il ne donne pas toujours de titre à ses compositions. Le spectateur, à la vue de ces drôles de boutures, les montre du doigt ,bien sûr. Et dans sa tête , jaillissent des mots, des jeux de mots, à la pelle.

Le seau. Un seau de plastique noir avec une cravate. Tu t’approches. Au fond du seau il y a un miroir. Au fond du seau, tu vois ta tête et le mot coupable. Tu es à la fois le seau cravaté (le bourreau ?) et le guillotiné.

londres0812daugce769alis107.jpgFin. Une bêche à trois piques (ce n’est pas une fourche, elle n’est pas recourbée, mais droite). L’ajout de deux segments métalliques à ces piques , forme le mot FIN. Est-ce la bêche du fossoyeur qui creuse la dernière demeure ? Ou l’extrémité de l’outil ? L’outil extrême ?

Le fagot. Un fagot tenu par une ceinture. A l’intérieur du fagot, les hardes, les béquilles et les bouts de ficelle partent dans tous les sens, menacent de tomber. (Jeu de mots possible avec) « mal fagoté ? ».

Le seau et l’arrosoir. Un seau à côté d’un arrosoir. Le bas du seau est équipé d’un triangle de velours noir, sexe féminin. L’arrosoir est troublé, son bec érigé vers le seau.

Les deux brouettes. Deux brouettes, l’une couchée sur le dos, l’autre à genoux à ses côtés. Deux paires de bottes enfilées dans les montants font office de jambes. Le jardinier et la jardinière en transport amoureux?

Tête- bêche. Une bêche verticale dont la lame est un miroir. Approche! Dans le miroir tu vois ta tête. La tête est dans la bêche, la bêche dans la tête. Le trait d’union, c’est l’invention de Céalis. Au pied de la bêche, deux petits miroirs dressés parallèles. Si tu te places comme il faut, tu vois, alors, tes pieds dans la bêche et ta tête dans les petits miroirs. D’où tête-bêche. Céalis dit qu’il n’a pas voulu ça : « J’ai voulu montrer que bêcher , c’est faire entrer du ciel dans la terre».

Terre/Ciel. Un portique avec au sommet le mot CIEL taillé dans un miroir. Au niveau du sol un autre miroir, même dimension, même typographie, avec le mot TERRE en miroir. Je vois en haut la terre qui se reflète dans le miroir CIEL. En bas je vois le ciel qui se reflète dans le miroir TERRE. L’invention, c’est l’idée de sculpter un mot dans un miroir, ce qui permet l’inversion haut/bas et l’insertion d’un signifiant/signifié (ciel, terre) dans un espace illimité. C’est aussi la métaphore du jardin où terre et ciel sont étroitement liés pour produire cultures et symboles.
L’objet céalisien est reconnaissable entre tous: innommable, comme nous l’écrivions déjà en 1988 (Théâtre/public n°8). En 2011, pour notre plus grand plaisir, il prend d’autres formes: « Le jardin, dit-il, c’est d’abord de la terre et du ciel. C’est aussi un immense baisodrome d’animaux». Jean-Paul Céalis continue d’enfanter humour et poésie.

René Gaudy

 

 

Jackie

photoderoulgauche1101.jpgJackie d’Elfriede Jelinek, mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin.

 

Ce petit chef-d’œuvre, qui dure une heure à peine, marie une réflexion  sur le féminisme et sur  l’esthétique symboliste qui domine le travail  de l’Ubu, compagnie de création depuis des années.  Le  portrait de Jackie Kennedy que nous propose l’auteure autrichienne Elfriede Jelinek, offre aux metteurs en scène l’occasion  de  reconstituer  cette belle et mystérieuse figure féminine de la scène politique américaine, tout en prolongeant des expériences avec des caméras,  voir des techniques spéciales , afin d’ évacuer le corps humain « naturel »  de la scène.
Dans Les
Aveugles de Maeterlinck, ou  les Trois derniers jours de Fernando Pessoa d’Antonio Tabucchi, Denis Marleau avait transformé les acteurs en visages filmés, et nous comprenons mieux alors le processus mployé pour   mettre en scène ce portrait de  Jackie Kennedy.
Nous sommes en effet devant  une double médiatisation : celle du personnage et celle du corps de la comédienne, dont l’image  est projetée sur un  écran  en fond de scène, image  transmise par  un  cadreur filmant les moindres  mouvements de Sylvie Léonard qui incarne Jackie dans ce monologue étonnant.Le cadreur  cherche  les plans les plus aptes à représenter l’aliénation de cette femme, en suivant la comédienne dans les  coulisses et, sur la scène, le long des fauteuils blancs,  où elle erre comme une poupée perdue.  Sa caméra établit un rapport de force  entre l’image projetée et cette femme en chair et en os. Les gros plans de ce visage figé  de mannequin sont assortis d’un texte  qui affirment le besoin de son absence et de son silence pour mieux  sentir son importance, et nous renvoient ainsi au portrait d’une femme  avec des gestes et des expressions destinées à construire une Jackie impeccablement habillée mais vidée de sa personnalité, image d’une  beauté  factice et froide.
Le  jeu posé et subtil de  Sylvie Léonard incarne parfaitement ce corps,  produit des annonces de mode, destiné aux défilés de mannequins.   La caméra réduit  Jackie à un  assemblage de  pièces détachées, mais gantées,  chaussures de luxe,  longues jambes, vêtements sans tête, coiffure  permanentée, un peu à la manière surréaliste de représenter  la femme.
Nous voici devant un être humain,  voué à l’effacement de soi avec  la conscience perdue de son propre corps.   Dans les derniers moments du monologue, le ton change. Jackie se transforme alors en Marilyn Monroe pour nous cracher toute sa haine de  cette autre femme dont les rapports avec JFK étaient aussi médiatisés à outrance.  La mise en scène manipule les images filmées  pour montrer  la manière dont les stéréotypes sont créés, et pour démasquer la souffrance de celle qui n’a pas pu se défendre devant la présence spectaculaire du corps de Marylin  dont les médias raffolaient.
À la différence de  ce mannequin, parfaitement maquillé et irréprochable derrière les artifices de la mode,  il y a  la Monroe  qui cherche la caméra et le regard des hommes:la voilà, la femme  blonde toute en rondeurs, consciente du  pouvoir de son corps, entrée par effraction
avec  la force d’un tsunami dans la vie de Jackie qui joue la colère à l’écran en s’appropriant cet autre corps. Perruque blonde, visage crispé,  la comédienne nous montre une  Marilyn incarnant la mort, voir  le destin tragique  de la famille Kennedy.
Sylvie Léonard a réalisé une lecture fluide,  dans un tour de force qui nous a captivés et  émus, surtout  à la fin, de ce combat intérieur  avec sa rivale.  Grâce aux rapports raffinés entre   comédienne,  metteur en scène, éclairagiste,  cadreur  et  ingénieur du son, l’équipe de la compagnie Ubu  a pu  constituer un travail scénique qui donne encore plus de  puissance  à  l’écriture d’Elfriede Jelinek et à cette  plongée dans l’abime médiatique.

 

Alvina Ruprecht 

 

Centre national des Arts, à Ottawa du 22 au 26 novembre, puis en tournée au Canada.

 

 


Les Arpenteurs

Les Arpenteurs par la Revue Eclair, conception, texte et mise en scène de Stéphane Olry,  collaboration artistique de  Corine Miret.

Un spectacle de La Revue Eclair est toujours précédé d’une aventure. Il ne s’agit pas pour Stéphane Olry et Corine Miret de choisir une pièce et de la mettre en scène, mais de laisser un projet naître de documents, d’archives, d’enquêtes, de rencontres, d’un retour sur le passé, d’un journal. Vient plus tard la forme que pourrait prendre le spectacle né de l’aventure que Stéphane Olry va mettre en texte. De Nous avons fait un beau voyage, mais.., à partir d’un lot de cartes postales, à ces Arpenteurs, le cercle s’est élargi, s’ouvrant à d’autres artistes , à d’autres personnalités.
Le projet était ambitieux; faire parcourir à sept  arpenteurs le méridien de Paris entre Dunkerque et Barcelone, comme l’avaient fait en 1792, Delambre et Méchain, astronomes réputés, pour en déduire le mètre étalon dans un souci de justice révolutionnaire. Le mètre sera le dix millionième du quart de méridien.
Delambre et Méchain partent en 1792 de Paris pour un périple qui devrait durer un an. Il durera 7 ans et sera ponctué de mésaventures diverses dont une erreur de calcul de Méchain qu’il cachera à son collègue.
Donc, on fit appel à des volontaires pour arpenter ce méridien de Paris remplacé par le méridien de Greenwich en 1884. Se sont manifestés un metteur en scène, Nicolas Kerszenbaum, un architecte, Loïc Julienne, un promeneur, Hendrik Sturm, un comédien, Hervé Falloux, un compositeur, Jean-Christophe Marti, un mathématicien, Kenji Lefèvre-Hasegawa. Stéphane Olry lui même devra prendre la route et remplacer un des aventuriers du méridien.
Chacun fait son parcours à sa manière et rend compte à Stéphane qui collecte leurs émotions, les bonheurs et les accidents du parcours et écrit le journal de l’aventure. Et le spectacle? Sur scène, seuls deux des arpenteurs sont là , Hervé Falloux et Jean-Christophe Marti, entourés de Corine Miret, Magali Montoya et Pascal Omhovère. Et bien sûr en maître d’œuvre, Stéphane Olry qui, partant du principe que  » le long du méridien, tout prend la parole », donne en effet la parole à un tas de mirabelles au pied d’un arbre, à un écureuil surpris par l’arpenteur, au renard qui regrette le bon vieux temps, mais aussi à ce qui fait son quotidien de chef de projet, son téléphone portable, le budget, le projet d’affiche.
Et ce mélange de sérieux et de loufoquerie, de réalité et de rêve dans un décor de conte de fées, nous offre le plus surprenant des parcours tout en donnant à voir une photographie éclatée de la société d’aujourd’hui. Dans chacun de leurs spectacles, Stéphane Olry et Corine Miret avec une impudeur tranquille, glissent des éléments de leur vie, dans Les Arpenteurs ,  Stéphane laisse entendre sa philosophie intime. Son journal, nourri des compte-rendus des arpenteurs, mais aussi de ses rêveries et réflexions, est le fil tendu de ce spectacle passionnant.

 

Françoise du Chaxel.

 

Théâtre  L’Aquarium, jusqu’au 18 Décembre, où on peut voir aussi le week-end, un diptyque : Ch(ose), chorégraphie de Sandrine Buring et Là bas, il y a des lions de Stéphane Olry . T: 01 43 74 99 61

Bal-Trap

Bal-Trap de Xavier Durringer mise en scène d’Eve Weiss.

  balltrap2300x199.jpgBal-Trap est une des pièces les plus connues avec Une Envie de tuer sur le bout de la langue et Chroniques des jours entiers parmi la vingtaine  de  Durringer, par ailleurs réalisateur  de plusieurs films dont l’an passé La Conquête qui retraçait avec habileté la  conquête du pouvoir et en même temps la perte de son épouse de Sarkozy. Bal-Trap avec un l en moins ne désigne pas  le tir aux pigeons d’argile, attraction favorite dans la campagne, mais le jeu de l’amour et du hasard auquel se livrent quatre jeunes gens. Souvent jouée, la pièce est devenue la coqueluche  des apprentis comédiens;  mine de rien, elle a allègrement fêté ses quelques vingt et un ans, ce qui n’est pas si fréquent dans le théâtre contemporain. Cela valait donc le coup d’y aller voir.
La pièce  se passe dans un lieu anonyme, un bal populaire ou une boîte un peu minable, on ne sait trop, où traînent encore une guirlande lumineuse rouge, des bouteilles de bière vides et des mégots sur le piano. C’est là que vont se retrouver Gino et Lulu qui reviennent à l’endroit de leur rencontre il y a trois ans. mais le couple bat de l’aile. Comme dans une sorte d’exorcisme, ils tentent de conjurer une séparation inévitable en s’embrassant à nouveau comme autrefois… Mais Lulu, après trois ans,a compris qu’elle n’avait plus grand chose à attendre et   est devenue intransigeante face à Gino, paresseux et qui rêve sa vie, alors qu’elle s’escrime, pour les faire vivre,  à gagner un peu d’argent comme serveuse d’une cantine scolaire.

Et il y aussi Bulle et Muso; la jeune femme, que l’on sent complètement perdue, a eu, raconte-t-elle à Muso,  une adolescence agitée; à la suite de mauvaises rencontres, elle a dû se faire avorter et depuis, ne sait plus très bien où elle en est. Cette nuit-là,  elle attend un amoureux qui, on s’en doute, ne viendra plus jamais la retrouver. Elle rencontre Muso, dragueur impénitent qu’elle méprise d’abord mais auquel elle finit par s’attacher qui lui promet de l’emmener loin, très loin là où il fait beau et chaud,  mais il  n’a même pas pas  quelques francs pour s’acheter des cigarettes… et  sa voiture est en panne. Les scènes entre les deux couples alternent; à un moment, les deux hommes se rencontreront brièvement mais pas les femmes. Gino, presque à contre-cœur,  permet à Muso de tirer quelques bouffées  sur  la sèche qu’il lui réclame en vain et lui indique l’adresse d’un hôtel, celui de ses amours avec Lulu.

Cette alternance de scènes entre un couple au bord de la séparation et un autre qui,contre toute attente, est en train de se former,  a bien quelque chose de conventionnel et parfois d’un peu mélo. mais comme les personnages inventés par Durringer sont tout à fait justes- de jeunes  paumés, sans travail  et sans avenir- et que la langue est aussi dure que crue, on entre quand même dans cette histoire où l’amour se décline dans des chambres d’hôtel minables avant d’exploser. La faute à quoi, à qui? A pas de chance, à une volonté en berne, au destin, à la dèche? Sans doute, à un peu tout cela, semble nous dire Durringer.

La mise en scène d’Eve Weiss est juste et précise ; les comédiens rament un peu au début,  et  même s’ils n’ont pas tous l’âge de leurs rôles, ils s’en tirent plutôt bien.  Surtout sur  ce petit  plateau pas très grand, où l’on a intérêt a voir un jeu et une gestuelle sobres.Ce qui est le cas;  la diction est parfois approximative mais bon,, c’est supportable. Mention spéciale  Ludovic Pinette qui joue Muso; il impose tout de suite son personnage avec beaucoup de sensibilité, nettement à un cran au-dessus de ses petits camarades; les 80 minutes passent donc très vite, aérées de temps en temps  par quelques airs jouées par une jeune  violoniste.

Alors à voir? Ce n’est pas LE spectacle de la saison, mais pourquoi pas? En tout cas, la petite salle était remplie de jeunes gens, ce qui est rare, et  qui ne boudaient pas leur plaisir…

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre des Déchargeurs jusqu’au 23 décembre.

Urgent crier

Urgent crier ! Caubère joue Benedetto

 

O bien nommé André Benedetto ! En hommage à sa parole à lui, nos n’essaierons pas d’échapper à sa « jeu-de-motique » et à ses jeux de moteur. André, le bélier, l’homme viril. Benedetto, le béni, jamais oui-oui. Bien dit surtout. Avec une éloquence à la Léo Ferré, et par la bouche de Philippe Caubère, Benedetto dit des choses très intelligentes sur le théâtre, comme on n’en n’a pas entendues depuis longtemps.
Il faut dire que les textes datent des années soixante et soixante-dix. Et n’en déplaise à notre défiance de nous-même,  même si c’était le temps de notre jeunesse mais ces années-là ont vraiment été une période extraordinaire du théâtre. Benedetto, donc
, poète, acteur, auteur, motard et Indien du Sud-Est, militant de toutes les justes révoltes, a inventé, entre autres, le festival off à Avignon avec Zone rouge, feux interdits; il a été en 1968  a été, avec Gérard Gélas, l’un des premiers à installer un théâtre permanent à Avignon, au théâtre des Carmes. Il a aussi créé le type de l’acteur marseillais, de l’acteur-sud, dont il cite les deux plus beaux exemples à ses yeux: le sobre Jean Vilar – acteur-, il insiste – et l’extravagant Paul Préboist. L’homme du Sud, sur les planches, doit pouvoir affronter le grand vent, les éléments durs, la pierre qui résiste, en poète de la voix. André Benedetto était d’abord cet homme-là, auteur-acteur, présence et souffle.
Philippe Caubère lui rend hommage en frère cadet. Il nous donne de belles images d’archives, des textes passés par sa propre voix d’
acteur-Sud. La grande poésie déclamatoire n’est pas ce que Benedetto a fait de mieux, mais c’est à prendre avec le lot, avec les contradictions : non au micro qui sépare la respiration de l’acteur de celle du public, mais oui au micro qui grossit, “rockise“ le poème, lui donne les dimensions de la fête populaire en plein air.
Va pour la soirée à la MJC de la Croix-des-Oiseaux : Caubère l’interprète comme elle a dû être, enflée, kitsch, avec ses jeux d’éclairage tape-à-l’œil – mais il faut bien s’amuser avec le “jeu d’orgue“ (les gradateurs). Ensuite, il fait rentrer Benedetto dans les mots de sa révolte tous azimuths. Et cela reste au niveau de l’hommage : Caubère laisse sa propre virtuosité au vestiaire, ce qui est tout à son honneur – il ne s’agit pas de se placer
devant Benedetto -.
Mais du coup, la nostalgie attendrit le propos, l’adoucit. On aimerait entendre Bernard Lubat, autre “frère“ rocailleux et engagé de Benedetto. Reste l’exploit de l’endurance : accompagné du guitariste Jeremy Campagne et de ses univers musicaux en direct, Philippe Caubère tient la scène une heure et demie, avec son deuil qui sourit.
Benedetto et mort en 2009 : apparemment, il est encore trop tôt pour le cri et pour l’urgence.

 

Christine Friedel

 

Maison de la Poésie à Paris – jusqu’au 31 décembre

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Le Vicaire

Le Vicaire de Rolf Hochhuth, traduction de l’allemand par F.Martin et J. Amsler, mise en scène de Jean-Paul Tribout.

 

1892110205.jpgLors de sa création en France en 1963, dans la mise en scène de François Darbon à l’Athénée après celle à Berlin d’Erwin Piscator, Jacqueline Piattier écrivait dans Le Monde que Le Vicaire était « une fresque de vie et de mort ». Presque 50 ans plus tard, la pièce de Rolf Hochhuth n’a rien perdu de sa violence. Le Vicaire, c’est le Pape Pie XII, qui se tut face à l’holocauste, malgré les voix de ceux qui l’exhortaient à prendre position.
La pièce s’appuie sur le rapport que Kurt Gerstein, chimiste et médecin allemand, engagé dans la SS, à qui on demandait de fournir du gaz pour la solution finale et qui fut épouvanté par ce qu’il découvrait dans les camps, fit en 1945 pour les Alliés. Lui, qui avait alerté en vain les personnalités religieuses et politiques, fut accusé et condamné, et  se donna la mort dans une cellule de prison à Paris en 1945.

Costa Gavras s’est inspiré de la pièce de Hochhuth et du rapport de Gerstein pour son film Amen en 2002, qui mettait  le médecin allemand au cœur de la tragédie. La pièce, elle,  est centrée sur le personnage de Ricardo Fontana, jeune jésuite promis à un bel avenir au Vatican, qui, après avoir assisté (c’est la première scène), à la rencontre à Berlin entre le Nonce et Gerstein, (Eric Herson-Macarel tout en rage et désespoir rentrés) fait sienne la révolte de l’officier allemand et va jouer sa carrière et sa vie dans cette révolte.

C’est l’éveil à la conscience de ce jeune homme confronté à l’hypocrisie, au cynisme, à la lâcheté des puissants et à l’opportunisme de son père, que Jean-Paul Tribout, qui joue aussi ce père troublé par la révolte de son fils, nous fait si bien entendre. Le décor abstrait, les lumières, les intermèdes sonores, soulignent sans emphase la tragédie qui se joue.

Les comédiens, tous justes et intenses- une mention spéciale à Claude Aufaure qui met toute sa science dans un effrayant cardinal roué et à Mathieu Bisson, le jeune jésuite, blanc de rage, superbe dans son audace folle- nous tiennent en haleine jusqu’à cette scène où paraît enfin Pie XII( Emmanuel Dechartre ) dont la fausse douceur est insupportable. Nous savons alors que tout est joué, que ce Pape qui croit faire ce qu’il faut parce qu’il autorise les couvents à cacher ceux qui sont menacés, ne prendra jamais la parole publiquement pour menacer Hitler avec qui il a signé un concordat  qu’il croit être un rempart contre les bolchéviques.
Rolf Hochhuth a été très attaqué dans sa vie comme dans son oeuvre, tantôt accusé d’être manipulé par le Kremlin, tantôt de vouloir rejeter la faute de l’holocauste sur l’Eglise et les grandes puissances.
Le texte, affrontement humain et idéologique bouleversant, nous laisse toujours à nos questionnements, et cette mise en scène nous tend un miroir implacable de nos compromissions.
Il faut emmener les adolescents voir ce spectacle.

 

Françoise du Chaxel

 

Théâtre 14 T: 01 45 45 49 77, jusqu’au 31 décembre.

La pièce est éditée aux  éditions du Seuil,

LA FÊTE/BAR

La Fête  et  Bar   de Spiro Simone, traduction Valeria Tasca, par le Collectif De Quark


Étonnante compagnie  que ce collectif qui déclare : “Depuis 2004 nous avons entamé un processus de mise en scène qui intègre différents textes contemporains de format relativement court à un dispositif scénique en évolution. Pour des raisons artistiques mais aussi économiques et même politiques, nous envisageons la création sous l’angle d’un perpétuel recyclage, réinterrogeant sur plusieurs années les mêmes textes, le même dispositif que nous reformulons inlassablement dans des configurations radicalement différentes….”.
La fête met en scène un vieux couple et leur fils adulte. Il doivent fêter leur anniversaire de mariage, leur fils adulé par sa mère, ne fait que passer, quittant la maison après un réveil tardif, sa petite amie est partie en laissant sa petite culotte. La mère harcèle le père sur les courses qu’il doit faire pour ce sinistre anniversaire, le père prétend avoir retrouvé un travail, tout le monde ressasse.
Les acteurs tous trois excellents, déambulent dans un vaste espace nu avec des écrans de télévision qui retransmettent leurs mouvements, mais heureusement,  il y a de l’humour dans cette peinture du néant quotidien. La deuxième partie interprétée par le même trio évoque la recherche d’un emploi de barman, auprès d’un ami louche qui doit toucher sa commission.
Cette déclinaison plutôt drôle d’un univers déprimant touche le public jeune qui remplit la salle de l’Échangeur.

Edith Rappoport

Théâtre de l’Échangeur à Bagnolet jusqu’au 20 novembre.

 

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