Les Chaises
Les Chaises, d’Eugène Ionesco, mise en scène Philippe Adrien.
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Les Chaises c’est un de ces spectacles dont on ressort , semble-t-il, comme on est entré, et dont on discute l’air de rien, en remontant vers le métro. Mais, au fil des jours on le sent qui nous hante,et l’on réalise qu’il a gravé son nom dans notre imaginaire.D’abord, la pièce en elle-même est un véritable malaise à retardement, la révélation d’une peur profonde que chacun retrouve en soi : celle d’une vie à une seule issue. Et Philippe Adrien a su créer un univers solide et juste, où la parole de Ionesco s’inscrit naturellement.
Le décor conçu par Gérard Didier est une pièce lugubre. avec un mur de fer en demi-cercle rouillé qui semble être le sommet d’une vieille tour, d’où l’on ne peut entrevoir la mer que par deux étroites fenêtres, placées chacune à une extrémité et accessibles par un escabeau. Et des chaises, bien sûr. De vieilles chaises en ferraille, entassées les unes sur les autres en équilibre précaire. Loin d’éclairer la scène, la lumière en renforce encore l’aspect sinistre… Un couple de vieillards décatis habite cette mansarde. Sous leur maquillage verdâtre et putride, eux aussi participent de cette impression de délabrement général.
Et la parole elle-même semble disparaître. Malgré tout, un espoir subsiste : le Vieux prétend avoir une idée qui peut sauver le monde: Il a contacté tous les gens importants, il s’apprête à donner chez lui, avec l’aide de sa femme, une conférence historique pour leur révéler. cette idée géniale. Les petits vieux accueillent poliment les invités, présences invisibles ,qu’ils s’efforcent de faire asseoir sur des chaises trop peu nombreuses.
L’Orateur (Bruno Netter) finalement arrivé s’avance pour énoncer le message salvateur : mais alors , ne sortent de la bouche de cet hurluberlu roulant des yeux qu’onomatopées et vagissements insensés. Une lente descente vers l’enfer, donc, à travers l’effacement progressif qu’est la vieillesse, son flot de souvenirs et de regrets passés qui ressurgissent, de rencontres impromptues, sa faiblesse de corps et d’esprit, et la répétition sans fin de la même comédie journalière, où les mêmes gestes, les mêmes mots sont échangés portant en eux la trace de toute une existence perdue.
Alexis Rangheard est poignant : agité de tremblements, il incarne tout le pathétique de son personnage dont il nous infiltre l’image, augure d’un futur incertain. Le jeu de Monica Companys, est d’un registre moins subtil et tombe parfois dans un effet de mécanique pas toujours heureux. Malgré tout, les deux comédiens forment à eux deux un couple qui réussit à s’imposer, d’abord sur scène, puis dans l’esprit du spectateur.
Quelques jours plus tard, on se surprend à ressasser de sombres pensées, des images abstraites de toute réalité scénique qui se sont pourtant ancrées dans une certaine représentation de la vie et de la vieillesse,avec l’impression d’une décrépitude inéluctable: le spectacle est ainsi devenu idée que s’approprie le spectateur: c’est au fond, tout ce que l’on demande au théâtre.
Élise Blanc
Théâtre de La Tempête jusqu’au 5 novembre.