Le Baladin du monde occidental
Le Baladin du monde occidental de J.M. Synge, mise en scène d’Elizabeth Chailloux.
La pièce de Synge à sa création en 1907 avait provoqué quelque scandale à la fois à cause de son thème et du parler plutôt rude des habitants de cette île perdue irlandaise que le dramaturge a su habilement installer dans cette fable populaire.
Cela se passe dans un bistrot où, un soir, surgit de nulle part un jeune homme, Christy Mahon, qui se met à raconter sa pauvre histoire. A l’entendre, il prétend avoir tué son père d’un coup de bêche à la tête au cours d’une bagarre; ce qui suffit, dans cette île où il ne se passe sans doute pas grand-chose, à faire de lui une sorte de héros exceptionnel. On oublie vite qu’il est un parricide et personne n’ ira le dénoncer aux « casqués », comme disent ces gens simples ; les hommes du coin l’admirent et les femmes-les jeunes comme les moins jeunes à l’instar de la veuve Quin voudraient bien le conquérir. Et la fille du patron de l’auberge, la mignonne Pegeen Mike, absolument subjuguée par Christy, se désintéresse alors de son fiancé un peu falot. Mais , catastrophe, voilà qu’un vieil homme barbu, le crâne couvert de sang, arrive à l’auberge; c’est le père de Christy qui a survécu à sa blessure, et veut se rapprocher de son fils …dont cela ne va être la fête au village. En effet d’un seul coup, maudit et couvert de honte, il échappera de peu à la pendaison; devenu maintenant un homme, il quittera l’île pour aller, comme un baladin, raconter de nouveau sa pauvre histoire dans le monde occidental. Le Baladin du monde occidental, c’est une merveille de pièce au dialogue exceptionnel pas si facile à monter que cela, puisque le metteur en scène doit absolument faire surgir les rêves de ce personnage aussi fantasque qu’attachant, ici solidement incarné par Thomas Durand dont le personnage est crédible dès les premières répliques et qui a une présence magnifique sur le plateau. Mais Elizabeth Chailloux semble avoir eu plus de mal avec les autres comédiens qu’elle a pourtant, pour la plupart, déjà employés , et le soir de la première, ils surjouaient presque tous et criaillaient souvent à qui mieux mieux, ce qui empêchait de savourer la traduction de ce texte sublime faite par Françoise Morvan.
Il y a cependant de beaux moments dans cette mise en scène solide dont on aurait souhaité qu’elle soit plus exigeante, mais dont la scénographie imaginée par Yves Collet , un peu sèche et un peu trop géométrique, n’est sans doute pas des plus heureuses. Il y a aussi un ciel chargé de nuages qui défilent sans apporter grand chose (l’inévitable manie de la vidéo a encore frappé!).
On comprend bien le souci qu’a eu Eizabeth Chailloux de ne pas tomber dans le rustico-pittoresque faussement irlandais mais le résultat est loin d’être convaincant.
Alors à voir? Une fois le spectacle rôdé et une direction d’acteurs mieux maîtrisée, pourquoi pas? Et c’est une bonne occasion de découvrir cette pièce devenue qui, il y a quelque cent ans déjà, fit le bonheur des Parisiens, dont Paul Léautaud qui ne s’était pas trompé sur le génie de Synge qui avait donné l’idée des Fusils de la mère Carrar à Brecht. Si, si , c’est vrai!
Il y a peu de textes, qu’ils soient français ou étrangers de l’époque qui aient réussi à passer l’épreuve du temps comme celui-ci!
Philippe du Vignal
Théâtre d’Ivry. salle Antoine Vitez jusqu’au 30 novembre