Cendrillon
Cendrillon, texte original de Joël Pommerat d’après le mythe de Cendrillon, mise en scène de l’auteur.
L’histoire de Cendrillon fait partie de la culture et de la mémoire collective de tout Français qui l’a lue enfant dans une version édulcorée du fameux conte de Charles Perrault, et souvent assez piteusement illustrée. Ou bien dans celle des frères Grimm mais qu’une fois adulte, il n’a jamais relue…
Donc cette petite fille devenue adolescente, est persécutée par la nouvelle épouse de son père mais une charmante fée va l’introduire dans un bal donné à la cour du Prince. Mais les deux filles de la dame vont tout faire pour écarter Cendrillon, du Prince charmant. Mais, miracle comme il n’en existe que dans les contes de fée, une petite chaussure de vair (fourrure de grand prix) que Cendrillon a perdue en sortant du château, va permettre au Prince de retrouver celle dont il tombé aussitôt éperdument amoureux et se marier avec elle.
La gentille Cendrillon aura donc droit au bonheur qu’elle a amplement mérité après tant d’années passées à souffrir chez son odieuse belle-mère qui lui faisait accomplir du matin au soi les travaux ménagers les plus durs. Bref, la justice est passée et la morale est sauve…
Bien entendu, Joël Pommerat quand il s’empare de ce genre de mythes où le héros doit lutter contre sa propre famille ( Le Petit Chaperon rouge ou Pinocchio), réécrit cette histoire et quitte résolument les domaines de du conformisme. Et c’est une autre Cendrillon qui apparaît: la gentille jeune fille va enfin quitter un état d’aliénation où elle acceptait d’obéir aux ordres donnés par sa méchante belle-mère. Et on se demande si elle n’y trouvait pas un certain plaisir masochiste pour acquérir enfin sa liberté et entrer dans un monde sans doute moins confortable et moins rassurant mais où elle pourra acquérir une véritable identité.
Cendrillon n’est plus ici le personnage de la gentille petite fille martyrisée mais elle devra affronter la vie avec ses trous noirs qui se nomment la mort, l’absence, la peur, etc.. L’enfant qu’elle était, va grandir, supporter les épreuves et sera ainsi condamnée à revivre la perte de sa mère chérie dont Charles Perrault parle peu mais sur laquelle Pommerat revient. Une obsession de Cendrillon.
En devenant adulte après ce parcours initiatique, elle devra accepter ce deuil, parce qu’il n’y a malheureusement aucune autre issue si l’on veut vivre. » Le désir de vie par rapport à son absence », dit Joël Pommerat. C’est sans doute le prix à payer quand on veut acquérir son autonomie et ne plus être sous la coupe des adultes et des familles. L’image de cette mère disparue, que l’on voit étendue sur son lit au début et à la fin est bien en filigrane de tout le spectacle et en est le véritable moteur. Mais il y a de l’ironie et du comique dans l’air: une belle-mère vulgaire jusque dans ses expressions, un Prince qui a perdu son auréole de Prince charmant et Cendrillon la petite fille aux boucles blondes un peu neuneu, héroïne des comédies musicales tirées du célèbre conte.
Eric Soyer, remarquable scénographe et éclairagiste (rare double fonction), a imaginé un cube noir très fermé où chacun des personnages va prendre une dimension mythique. Le plateau devient ainsi le cadre sublime de courtes scènes où la voix du narrateur (Marcella Carrara) nous introduit lentement. Une scénographie et des lumières qui sont une écriture en elle-même et on sent que chaque terme en a été soigneusement pesé, en accord parfait avec la mise en scène.
Le jeu de tous les acteurs belges: Noémie Carcaud, Caroline Donnely, Catherine Mestoussis, Alfredo Canavate et, en particulier, Deborah Rouach (Cendrillon) est de grande qualité et nous nous sommes vite laissés emporter. par ce conte pour adultes/enfants ou pour enfants/adultes, si l’on préfère. Et la mise en scène de l’auteur est d’une précision absolue, ce qui n’exclut pas une grande poésie, au contraire. Jamais peut-être, Joël Pommerat n’aura dans ce conte aussi bien maîtrisé à la fois l’écriture et la mise en forme théâtrale. Il y a en effet ici plusieurs niveaux possibles de lecture, et la joie dans les yeux d’un petit garçon de onze ans et de sa sœur de neuf ans faisait plaisir à voir. Seul bémol: on ne voit pas bien, à part les nuages qui passent et encore (c’est devenu un stéréotype du théâtre contemporain!) à quoi peuvent servir les images vidéo de motifs géométriques en noir et blanc qui polluent la vision des images.
Mais sinon, quelle intelligence dans la conception du spectacle et quel raffinement dans la direction d’acteurs! Après tant de spectacles approximatifs depuis la rentrée, cela fait du bien à voir ! N’hésitez pas, même si la salle et la scène sont peu éclairés (mais il n’y a rien de violent ou d’agressif), à y emmener des enfants à partir de huit ans. Vraiment, vous ne le regretterez pas, et eux non plus.
Philippe du Vignal
Odéon-Théâtre de l’Europe- Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème) jusqu’au 25 décembre. T: 01 44 85 40 40.