L’année de la pensée magique
L’année de la pensée magique de Joan Didion, adaptation de Christopher Thomson et Thierry Klifa, mise en scène de Thierry Klifa.
Joan Didion est une journaliste et romancière américaine, auteur aussi de plusieurs scénarios de cinéma comme ceux de Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg, Play It As It Lays de Frank Perry, A Star is born de Frank Pierson qu’elle écrivit avec son mari John Gregory Dunn, mort brutalement d’une crise cardiaque; ils avaient adopté Quintana qui mourut aussi quelques mois après son père d’une pancréatite aigüe à 39 ans.
C’est ces deux décès qu’elle a raconté dans un roman devenu un monologue aujourd’hui monté par Klifa avec Fanny Ardant. Un récit d’un moment de sa vie, à la fois empreint de la tragédie que fut la perte des deux êtres qui lui étaient le plus proches mais aussi d’un certain comique, ce qui, on le sait, n’est pas totalement incompatible, du genre: « Quand on vous dit que quelqu’un du service social d’un hôpital veut vous parler, en général, c’est mauvais signe.! »
Joan Didion dit les choses avec une précision clinique: la tache de sang noir sous la table du repas qu’ils allaient prendre tous les deux un soir de décembre pour être près du feu et ne pas aller au restaurant, puis les attentes interminables aux urgences, les médicaments qu’on donne sans trop y croire, l’espoir fou de pouvoir rembobiner le film, alors qu’elle a vite compris dès le début que son mari allait mourir. »La vie change vite. La vie change en un instant. On s’apprête à dîner et la vie telle qu’on la connaît s’arrête ».
On sent qu’elle s’est raccroché à l’écriture pour ne pas sombrer, pour essayer de supporter l’insupportable… Mais la tragédie d’un soir de décembre n’était encore que la moitié de ce qu’elle allait vivre, avec la maladie brutale de sa fille, elle aussi condamnée à brève échéance. Bref, une double peine qui va broyer la vie de cette épouse puis de cette mère qui reste prête à tout: » Pour la garder en vie, je dois me concentrer. je dois éviter de prêter attention à tout ce qui pourrait me ramener vers le passé ».
C’est Fanny Ardant qui prend en charge ce long monologue sur une terrasse de bois; aucun accessoire qu’un sac à main et une chaise où elle s’assoit parfois. C’est sans doute la première fois qu’ elle est seule aussi longtemps en scène, même si elle a souvent joué au théâtre. Très concentrée, elle a une présence remarquable et impose ce texte de sa voix rauque qu’elle module de façon inimitable.
Aucun doute la-dessus, elle sait prendre un public avec un texte où l’on côtoie souvent l’indicible et où l’on pourrait tomber dans la sensiblerie et qui va droit au cœur de chaque spectateur qui reste accroché pendant une heure et demi à chacune de ses phrases. UN silence de grande qualité dans la salle: elle dit comme peu d’actrices la douleur qui ronge, la charge émotionnelle qui envahit le proche d’un malade quand il se voit dans l’incapacité d’être un tant soit peu utile ,l’inquiétude sans limites, et de ce côté-là, elle a sans doute beaucoup donné: Truffaut est mort quand elle avait trente cinq ans! Bien dirigée par Klifa, droite dans ses bottes, elle est impeccable: aucun geste faux, aucun mot mal placé, elle dit les choses simplement et avec une admirable efficacité ; de temps en temps, elle boule un peu son texte mais elle le fait avec un tel naturel qu’on ne peut lui en vouloir.
Vraiment du grand art, même si le texte, un peu bavard, aurait exigé quelques coupes. Laura Pels, la directrice de l’Atelier, a réussi un beau coup.
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Atelier Place Charles Dullin. Paris 18 ème. T: 01-46-06-49-24
Le texte de la pièce et les livres de Joan Didion sont édités pour la plupart chez Albin Michel.