Ruy Blas, de Victor Hugo, mise en scène de Christian Schiaretti
Avec Ruy Blas, dans la mise en scène de Christian Schiaretti, le TNP, rénové après trois ans de travaux, ouvre ses portes. C’est la fête avec un grand spectacle tout au service de la poésie. La poésie imagée, vigoureuse et populaire, de Victor Hugo. Réouverture à une date exceptionnelle : le 11.11.11. Rien de cabalistique là-dedans:1+1+1+1+1+1 égale une troupe, une équipe et un public. Et un lieu exceptionnel du théâtre où l’être humain peut éprouver le plaisir de se sentir, simultanément, individu, et collectivité.
Réouverture d’un lieu mythique. Ce Palais du travail, a été imaginé sous l’impulsion de Lazare Goujon, maire socialiste de 1924 à 1935, pour améliorer la vie des travailleurs, comme une cathédrale laïque du corps et de l’esprit. Réinvesti en 1957 par Roger Planchon qui y œuvre pour un théâtre de service public inventif et en fait un lieu de référence. En 1972, son travail est consacré par le transfert du sigle « Théâtre National Populaire » et le TNP de Villeurbanne s’élance sous la direction de Roger Planchon, Patrice Chéreau et Robert Gilbert.
En 2002, Christian Schiaretti reprend le flambeau de la direction, fidèle à l’idéal. Avec une vraie troupe de comédiens permanents, toujours une ambition humaniste et des idées neuves d’échange avec la cité, une recherche sur le répertoire, des commandes à des auteurs vivants, une relation joyeuse avec le public, et la mise à l’honneur des poètes. En 2011 donc, le théâtre est rénové, grâce aux efforts des Tutelles dans la continuité, une nouvelle page va s’écrire. Début XXIème siècle, tout comme début XXème, la soif de poésie et d’humanisme est grande. Dans le métro de Lyon, une gigantesque affiche, entièrement graphique, reprend la typographie du TNP des origines pour faire éclater en bleu vif les mots de Victor Hugo : « J’ai l’habit d’un laquais, et vous en avez l’âme ». « Je suis plus que le Roi puisque la Reine m’aime ». Voilà qui a du panache !
Le TNP est situé dans le quartier des « Gratte-ciel », lieu, bien nommé, de l’audace. Le hall, immense, avec ses belles proportions des années 30, est ouvert sur l’esplanade où les enfants jouent en poussant des cris d’hirondelles. Un grand bar, accueillant. La gentillesse des ouvreurs et ouvreuses, celle de l’équipe du bar, est perceptible, ils ne font pas leur boulot de façon machinale. On les sent concernés, sympathiques, et c’est bien agréable. C’est aussi ce qui fait qu’un lieu de théâtre est « autre ».
On monte dans la grande salle. Une superbe exposition court le long des escaliers et sur les murs du foyer à l’étage, qui rend hommage aux comédiennes et comédiens du TNP, dans des moments d’intense incarnation de personnages. De Firmin Gémier (1920) jusqu’à aujourd’hui. Textes et photos sur 200 panneaux. Le public se montre du doigt des spectacles mythiques. Les générations se mêlent et des spectateurs qui ne se connaissent pas, échangent à haute voix des souvenirs d’où jaillit, en termes d’autant plus maladroits qu’ils sont enthousiastes, une profonde reconnaissance pour les comédiens : « Et un tel ! Et une telle ! Ah là là, formidables ! ».
On entre dans le grande salle Roger Planchon. Ambiance chaleureuse et populaire pour la générale. Un public mêlé, ravi d’être là. Les « relais, » sans doute, les amis, les voisins qui ont, avec patience, côtoyé ce bruyant et gigantesque chantier. Tous les âges. On admire son fauteuil qu’on fait claquer cinq fois, six fois. Quel beau velours rouge, comme on est bien assis, le dos droit, pas affalé, comme il y a de la place pour les grandes jambes, comme la visibilité est bonne ! Les gens se tournent et se retournent, n’en reviennent pas, admirent leur Palais, ses proportions, son ampleur.
Silence. Christian Schiaretti fait son apparition sur le plateau. Il répète avec l’adjoint au Maire les discours prévus pour le lendemain, et frappe les trois coups avec le brigadier, en « régisseur » battant le rappel de l’équipe et du public, à la fois conscient de la solennité du moment, et, tout simple, s’effaçant devant le spectacle, posté en ce lieu magique d’entre-deux, à l’avant-scène. Un moment inoubliable de complicité forte, de part et d’autre de la rampe, d’émotion partagée.
Ruy Blas maintenant. Tout d’abord le choc d’un décor sublime, impressionnant, imaginé par Rudy Sabounghi. Un immense écrin d’azuleros bleus traversé de rais de lumière. Une lumière très blanche côté fenêtre, dorée côté intérieur. Sur ce fond azur, les personnages en costumes d’époque bleu sombre et noir, avec plumes, dorures et tout l’apparat de la Cour d’Espagne, se dessinent en un ensemble d’une rare élégance… Costumes raffinés imaginés par Thibaut Welchlin que l’on trouve rarement sur les scènes de théâtre aujourd’hui (c’est un merveilleux qui s’est réfugié à l’opéra) .
Scénographie, costumes et lumière, restituent de façon splendide le mystère (portes dérobées, passages secrets, fastes du palais, maison clandestine enrobée de voiles noirs), le goût des voyages dans le temps, de l’aventure et du théâtre romantique. Dans ce décor de rêve, les comédiens font sonner haut et fort la langue de Hugo. L’acoustique est parfaite. Le travail est une trame solide et invisible à partir de laquelle les comédiens ont donné couleur et saveur à l’expression. On se régale. On ne perd rien de ces vers jaillissant, de cette fantaisie, de ces trouvailles, de cette grande liberté qui mélange les genres avec bonheur.
Christian Schiaretti a dirigé son équipe avec intelligence et clarté. Des situations « à grand spectacle », des coups de théâtre, ce qui répond au désir de l’auteur, avec ses montées à la rampe, ses appels au public, ses morceaux de bravoure, son sens de l’image, de la métaphore, de la formule bien frappée : « Le ver de terre amoureux d’une étoile », « Sois fier, car le génie est ta couronne à toi ! », « Ce misérable fou qui porte avec effroi sous l’habit d’un valet les passions d’un roi ».
Robin Renucci ouvre le feu avec un Don Salluste élégant et puissant. Une sorte d’Aramis intelligent et fin, metteur en scène, manipulateur, « l’homme profond qui tient tout dans sa main ». Il prête à ce personnage noir et romanesque son habileté verbale, son timbre clair, son autorité, son aisance et sa belle aura.
Ruy Blas est jeune et beau, comme il se doit, énergique, et tout empli de foi et d’amour. Il emporte le morceau accompagné de sa jeune Reine, touchante, prisonnière de l’étiquette et assoiffée de liberté. Tous deux sont vibrants, absolument convaincants. Ils font partie de la troupe du TNP : Nicolas Gonzales et Juliette Rizoud. Don César-Jérôme Kircher, donne séduction et épaisseur à ce Zingaro Zafari, bandit de fantaisie, tout droit sorti du mélodrame.
Avec un humour et une jubilation scénique qu’ils nous font partager, Don Guritan (Roland Monod) la duchesse d’Albuquerque (Clara Simpson), et Isabelle Sadoyan dans la duègne, campent de savoureux personnages, indispensables au drame, contre-points comiques du quatuor tragique. Yasmina Remil, confidente de la reine, donne du relief à ce rôle subtil qui créée un pont inattendu entre apparat royal et coup de foudre, une sorte de porte-parole des grisettes amoureuses.
La troupe du TNP forme le chœur de la Cour des Grands d’Espagne, tous très crédibles, étonnants, chacun dans son registre. Un chœur uni qui n’efface pas les fortes personnalités. De très belles scènes de groupe, en particulier celle de l’évanouissement de Ruy Blas au milieu de la Cour. Et dans la grande scène du « Bon appétit messieurs ! », interpellation de Ruy Blas-Hugo aux ministres qui se « goinfrent » avec l’argent et les efforts de la Nation quand le peuple crève de faim, on passe directement du XIXème siècle au XXIème sans qu’elle perde de sa pertinence et de sa force d’imprécation.
La pièce, créée en 1838 pour l’ouverture du théâtre de la Renaissance, est en elle-même une Renaissance. Par le mélange des genres : comique, tragique, politique, pittoresque, mélodramatique, historique et philosophique, . « Tout public » comme on dit maintenant.
Un spectacle de grande tenue, beau, clair, merveilleux, entraînant. Une équipe au meilleur de l’artisanat théâtral, comme on en voit rarement aujourd’hui, qui a fait jouer pour notre joie toutes les ressources du plateau. Une vraie fête pour les spectateurs. Et une simplicité apparente qui n’est que l’élégance suprême au service de l’œuvre.
Evelyne Loew
TNP Villeurbanne, jusqu’au 11 décembre, puis en tournéeen France et aux Théâtre des Gémeaux à Sceaux(92).
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La collection de masques d’Erhard Stiefel.
Créateur de masques depuis 1965, Erhard Stiefel a travaillé avec les plus grands metteurs en scène de théâtre et de cinéma. Il avait créé les inoubliables masques des personnages de l’Age d’or au Théâtre du Soleil. Il a travaillé avec Ariane Mnouchkine, Alfredo Arias, Maurice Béjart, Antoine Vitez … L’exposition présente plus de 80 masques de sa collection: Europe, Indonésie, Chine, Japon, etc… Sublimes visages, comme sortis du vide, du noir, par un système très élaboré et ingénieux de présentation, tendant vers nous leurs expressions chargées d’appels muets, émouvants, terribles, tendres, drôles, doux, cocasses, grotesques, triviaux ou hiératiques.
Il faut prendre le temps de lire les textes, de regarder chaque visage-masque comme une rencontre. Un film est présenté parallèlement. Une exposition rare.
Evelyne Loew
TNP Villeurbanne, jusqu’au 23 décembre.