Sodome, ma douce
Sodome, ma douce de Laurent Gaudé, mise en scène de Stanislas Nordey
Sodome, ville des plaisirs, ville de toutes les sensualités a disparu, rayée de la carte par la guerre et par une terrible épidémie. Ses habitants ont vu au loin brûler Gomorrhe, et, sous les traits d’un trop séduisant ambassadeur, un mal plus sournois est venu les exterminer : croyant effacer la guerre de leurs caresses, ils ont eux-mêmes voluptueusement répandu la contagion mortelle. Les vainqueurs sont sans pitié : il ne restera pas une seule pierre de la ville, et plus un brin d’herbe ne poussera sur les terres aspergées de sel. La mort est blanche. Une femme survit, sous la torture du sel qui la ronge. Elle attend la pluie salvatrice, non pour vivre, il est trop tard, mais pour infliger à son tour la contagion aux anciens vainqueurs. Laurent Gaudé reprend un épisode biblique peu commenté, gênant, refoulé derrière le nom de la ville mythique, histoire de combat et de volupté, dit-il. À Sodome, il fallait le feu purificateur, le sel qui stérilise. Les histoires lointaines nous font avancer déjà assez loin sur le chemin de l’universel : le temps a fait le tri, cela aide à les reprendre et à les mesurer à nos questions d’aujourd’hui. Pourtant, l’auteur “antiquise“ trop la légende. Ce que Stanislas Nordey accentue quand il place Valérie Lang comme une idole vivante et figée dans un cercle d’or. Et il se charge du passage au contemporain, en utilisant brillamment les signe contemporains des lieux de plaisir: la coupole dorée du Jardin d’hiver et un rideau de perles emprunté aux boîtes de strip-tease voisines. Pour autant, la nudité de l’actrice-statue n’a rien à voir avec celles du quartier Pigalle: d’une parfaite dignité, d’une vraie pudeur audacieuse. D’un érotisme élevé jusqu’à l’abstraction, elle est LA question du désir.
Le récit est proféré et respiré comme de courts versets, avec une vaillance et une rigueur qui forcent le respect et nous amènent au bord d’une émotion particulière, faite d’admiration pour cette haute tenue du verbe. On y perd de la nuance et de la vie. Mais peut-être n’ont-elles pas leur place ici : après tout, c’est une statue qui parle.
Autre idole, le même soir : invité par Stanislas Nordey à qui Théâtre Ouvert a donné carte blanche, l’écrivain Frédéric Vossier avec Pupilla, son nouveau texte dramatique sur Elisabeth Taylor. Difficile de parler de pièce pour ce flux d’images de la déesse du cinéma, figure pop-art avec ses fantasmes enracinés, son amour des homosexuels, sa lutte contre le SIDA et donnant naissance à un enfant imaginaire qu’elle aurait eu avec son grand amour Richard.
À la scène, ce texte sera-t-il dit par une voix, ou par plusieurs ? On ne sait. Dans la petite salle du Gueuloir -un hommage à Flaubert- c’est l’auteur qui lit son propre texte. Il lui donne une grande respiration, une scansion obsédante qui rend compte, dit-il, du rythme même de l’acte d’écrire. Un plaisir de plus en plus souvent apprécié par le public : l’écriture donnée en trois dimensions (quatre ?) par la lecture à haute voix. Aux dépens du théâtre? On verra. Mais avec ces lectures publiques, Théâtre Ouvert lance certainement un vrai défi.
Christine Friedel
Théâtre Ouvert Cité Véron, Paris XXIII ème, jusqu’au 3 décembre.
Prochains gueuloirs: Claudine Galéa : Au bord, le 22 et Christophe Pellet: L’Art de contempler, le 29 novembre.