Bal-Trap
Bal-Trap de Xavier Durringer mise en scène d’Eve Weiss.
Bal-Trap est une des pièces les plus connues avec Une Envie de tuer sur le bout de la langue et Chroniques des jours entiers parmi la vingtaine de Durringer, par ailleurs réalisateur de plusieurs films dont l’an passé La Conquête qui retraçait avec habileté la conquête du pouvoir et en même temps la perte de son épouse de Sarkozy. Bal-Trap avec un l en moins ne désigne pas le tir aux pigeons d’argile, attraction favorite dans la campagne, mais le jeu de l’amour et du hasard auquel se livrent quatre jeunes gens. Souvent jouée, la pièce est devenue la coqueluche des apprentis comédiens; mine de rien, elle a allègrement fêté ses quelques vingt et un ans, ce qui n’est pas si fréquent dans le théâtre contemporain. Cela valait donc le coup d’y aller voir.
La pièce se passe dans un lieu anonyme, un bal populaire ou une boîte un peu minable, on ne sait trop, où traînent encore une guirlande lumineuse rouge, des bouteilles de bière vides et des mégots sur le piano. C’est là que vont se retrouver Gino et Lulu qui reviennent à l’endroit de leur rencontre il y a trois ans. mais le couple bat de l’aile. Comme dans une sorte d’exorcisme, ils tentent de conjurer une séparation inévitable en s’embrassant à nouveau comme autrefois… Mais Lulu, après trois ans,a compris qu’elle n’avait plus grand chose à attendre et est devenue intransigeante face à Gino, paresseux et qui rêve sa vie, alors qu’elle s’escrime, pour les faire vivre, à gagner un peu d’argent comme serveuse d’une cantine scolaire.
Et il y aussi Bulle et Muso; la jeune femme, que l’on sent complètement perdue, a eu, raconte-t-elle à Muso, une adolescence agitée; à la suite de mauvaises rencontres, elle a dû se faire avorter et depuis, ne sait plus très bien où elle en est. Cette nuit-là, elle attend un amoureux qui, on s’en doute, ne viendra plus jamais la retrouver. Elle rencontre Muso, dragueur impénitent qu’elle méprise d’abord mais auquel elle finit par s’attacher qui lui promet de l’emmener loin, très loin là où il fait beau et chaud, mais il n’a même pas pas quelques francs pour s’acheter des cigarettes… et sa voiture est en panne. Les scènes entre les deux couples alternent; à un moment, les deux hommes se rencontreront brièvement mais pas les femmes. Gino, presque à contre-cœur, permet à Muso de tirer quelques bouffées sur la sèche qu’il lui réclame en vain et lui indique l’adresse d’un hôtel, celui de ses amours avec Lulu.
Cette alternance de scènes entre un couple au bord de la séparation et un autre qui,contre toute attente, est en train de se former, a bien quelque chose de conventionnel et parfois d’un peu mélo. mais comme les personnages inventés par Durringer sont tout à fait justes- de jeunes paumés, sans travail et sans avenir- et que la langue est aussi dure que crue, on entre quand même dans cette histoire où l’amour se décline dans des chambres d’hôtel minables avant d’exploser. La faute à quoi, à qui? A pas de chance, à une volonté en berne, au destin, à la dèche? Sans doute, à un peu tout cela, semble nous dire Durringer.
La mise en scène d’Eve Weiss est juste et précise ; les comédiens rament un peu au début, et même s’ils n’ont pas tous l’âge de leurs rôles, ils s’en tirent plutôt bien. Surtout sur ce petit plateau pas très grand, où l’on a intérêt a voir un jeu et une gestuelle sobres.Ce qui est le cas; la diction est parfois approximative mais bon,, c’est supportable. Mention spéciale Ludovic Pinette qui joue Muso; il impose tout de suite son personnage avec beaucoup de sensibilité, nettement à un cran au-dessus de ses petits camarades; les 80 minutes passent donc très vite, aérées de temps en temps par quelques airs jouées par une jeune violoniste.
Alors à voir? Ce n’est pas LE spectacle de la saison, mais pourquoi pas? En tout cas, la petite salle était remplie de jeunes gens, ce qui est rare, et qui ne boudaient pas leur plaisir…
Philippe du Vignal
Théâtre des Déchargeurs jusqu’au 23 décembre.