Réalité non ordinaire
Réalité non ordinaire , conception et interprétation de Scorpène, mise en scène de Serge Dupuy.
C’est un spectacle de magie mentale, et non physique, auquel nous convie Scorpène sur la grande scène du Monfort: » Ici, dit-il, on ne manipule pas les objets pour tromper le regard, on manipule les pensées, on les prédit, on joue d’influence et l’on taquine le libre arbitre de chacun ». Et effectivement, on ne comprend pas: pas la peine d’essayer des clés cartésiennes : il y a sans doute des trucages bien réels-mais indiscernables parce que nous nous refusons à les admettre-, un savoir-faire évident mais aussi une bonne dose de psychologie. Scorpène sait très vite si cela peut bloquer avec telle ou telle personne, et dans ce cas, il abandonne.
Ancien et très jeune champion d’échecs , il arrive sur scène avec une petite mallette en cuir qu’il pose sur une table: c’est tout. Diction et gestuelle parfaite, l’homme n’a rien de prétentieux, et nous présente les choses simplement, ce qui lui vaut aussitôt la sympathie d’un public concentré et attentif, prêt à entrer dans son jeu et à collaborer avec lui sur scène, ce qui lui est indispensable pour les numéros étonnants qu’il va pratiquer durent une heure dix.
Il prend aussi la précaution de dire que l’on ne va pas assister à des « tours », et que cela peut fonctionner ou pas, c’est selon. Manipulation de cartes: il fait prendre une carte dans tout un jeu, demande à une personne de la garder, d’y penser très fort, et d’en communiquer au public par gestes codés le chiffre et l’espèce (carreau, cœur, trèfle et pique) , et de la replacer cette carte sous le paquet. Bien entendu, Scorpène va deviner en quelques secondes le roi de cœur qu’elle avait indiqué au public.
Le truc de ce vieux tour serait énorme mais comme nous ne pouvons admettre qu’il soit aussi énorme, il marcherait à tous les coups…Mystère! Plus complexe: une série de quatre rondelles de bois coiffées chacune d’un gobelet en plastique blanc dont l’une possède une aiguille acérée :il fait vérifier par un spectateur qu’elle n’est pas rétractable. Il se fait bander soigneusement les yeux avec du scotch noir et un bandeau, puis demande à ce que l’on mélange les rondelles. Scorpène se fait conduire ensuite devant la table et demande au même spectateur de répondre oui à chacune des questions qu’il lui posera, (on ne saura jamais pourquoi sinon pour deviner quelque chose sur la simple prononciation de ce oui? ), puis il tape d’un grand coup sur chaque gobelet, sauf le dernier qui cache la pointe acérée, sans jamais bien entendu s’empaler la main.
Scorpène prétend s’appuyer sur la physique quantique, selon laquelle l’observation influerait sur l’objet observé. On veut bien… Mais si, après tout, Scorpène émettait des ondes capables de percevoir cette aiguille posée à un mètre environ de sa tête, ou si l’aiguille , grâce à un artifice émettait elle-même des ondes qu’il pouvait percevoir les yeux bandés. Bref, on nage dans le doute le plus absolu! Autre numéro: un jeune femme qu’il a fait choisir dans le public par un spectateur est priée de penser à un mot. Après quelques minutes de bavardage, il inscrit ce mot sur une ardoise: brocante, et c’est évidemment le mot auquel la dite jeune femme reconnaît avoir pensé. Il y a aussi un exercice de divination: quatre spectatrices qu’il a fait choisir dont l’écrivain Noëlle Châtelet sont invitées à mettre leur bague dans une enveloppe puis à mélanger ces enveloppes. Et Scorpène va attribuer sans hésitation chaque bague à sa propriétaire.
Trucage? manipulation, intuition poussée à l’extrême? On ne saura jamais. C’est peut-être plus facile, nous direz-vous, encore que… Scorpène s’est fait applaudir puis a quitté la scène aussi discrètement qu’il y était entré.Le public lui est resté sous le choc. Et c’est vrai que si cette magie mentale existe réellement, elle a quelque chose d’assez inquiétant, mais si elle n’est que fondée sur un ensemble de procédés ou de trucs que nous sommes incapables de percevoir, cela a quelque chose d’aussi inquiétant… En tout cas, le spectacle vaut vraiment le coup.
Philippe du Vignal
Le Monfort 106, rue Brancion 75015 Paris du 8 au 12 novembre 2011 – 20h30 et du 15 au 19 novembre 2011 – 20h30