Lignes de faille

Lignes de faille d’après le roman de Nancy Huston Mise en scène : Catherine Marnas

Certes quand on découvre en arrivant au Nouveau Théâtre de Montreuil à 19 H que le spectacle dure quatre heures plus trente  minutes d’entracte, on hésite… et puis après la première mi-temps (deux heures) , on se dit que l’on reste pour une seconde partie. Et c’est c’est le  plaisir qu’offre ce spectacle, exactement comme un livre que l’on ne peut pas lâcher avant la fin.
Il faut  aller  avec délectation jusqu’au bout de cette saga familiale qui se déroule de 2004 à 1944/45 (à rebours donc comme le roman) et qui se raconte au  travers du regard de quatre enfants de six  ans pris, « croqués » à chaque moment « historique »  des cinquante dernières années.
Tous les acteurs jouent les différents rôles, grands parents, parents, frères,  sœurs et autres personnages… avec un plaisir, une vigueur et un talent qui, d’emblée, nous embarquent dans ce voyage.
Alors oui, ce spectacle a les défauts de ses qualités :  fidèle (trop?), » collé au texte « du roman de Nancy Huston, il  en devient un peu « illustratif » , tautologique;  mais  ce n’est pas grave.. Le bonheur du théâtre est là avec sa  modestie, sans prétention. Bref, du « bel ouvrage ».

 Mireille Silbernagl


Au Nouveau Théâtre de Montreuil  jusqu’au au 11 décembre 2011

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Lignes de faille, d’après le roman de Nancy Huston, mise en scène Catherine Marnas

 

 

Quatre générations pour comprendre les Lignes de faille qui traversent une famille, toute famille, dans l’histoire des guerres et des continents. L’idée forte de Nancy Huston est de prendre l’arbre généalogique par le sommet. Le petit Sol, six ans, est vraiment l’enfant d’aujourd’hui, gavé d’images – y compris celles, pornographiques, de la guerre en Irak et de ses dégâts collatéraux – au point d’être anorexique, lâché par des parents permissifs au point de se donner pour tâche d’être plus que Dieu et G.W. Bush réunis. D’où vient la faille ? On en a un petit aperçu, jusqu’à ce qu’on passe aux six ans de son père, Randall, puis à ceux de sa grand–mère Sadie et enfin à ceux, à la fin de la seconde guerre mondiale en Allemagne, de son arrière-grand-mère, Kristina (peut-être), Erra de son nom choisi de chanteuse. Où l’on voit, pour faire court, qu’une poupée retrouvée chez une sœur qu’on n’avait pas revue depuis cinquante ans, dans un pays qu’on n’avait pas revu (l’Allemagne) est le témoin d’un immense crime du nazisme, souvent ignoré, le vol d’enfants de type aryen en Pologne, en Ukraine… À chaque génération, Nancy Huston pose des indices de plus en plus lisibles qui mènent à cette terrifiante “source de vie“. Comment se fabrique une lignée ? La marque de famille est un grain de beauté qui se fixe sur telle ou telle partie du corps, non sans problèmes et conséquences, la religion est choisie au fil des alliances : Randall et sa femme, l’un juif l’autre catholique, choisissent d’être protestants, un moyen terme. Sadie s’était faite juive par amour pour le seul beau-père qu’elle ait aimé et qui l’ait aimée, et Erra, dans le doute sur ses origines, a trouvé son monde dans la musique.

Il faut lire le roman, il fallait le porter à la scène. Parce qu’il se trouve à la jonction exacte entre l’intime et l’Histoire que le théâtre populaire, “citoyen“ comme on a peut-être trop dit, cherche depuis quelques décennies. Jonction exacte, parce que les histoires de familles n’ont pas seulement l’Histoire comme toile de fond, mais comme matrice constitutive. Tout autant que le refoulement de cette histoire.
Catherine Marnas et son équipe ont pris le temps et le soin de “monter“ ce texte (adapté) comme on monte une pierre en bague. Mettre en lumière, tracer les lignes, tendre les petits pièges qui accrochent et qui entraînent le public dans les profondeurs. Le plateau est battu par les ombres de passants anonymes, vous, moi, eux, avec au centre ce qui constitue une famille : la table, et ses bonnes ou moins bonnes manières. Le récit est vécu, donné par chacun des quatre enfants, et fait naître les scènes, scènes de ménage, scènes –plus rares – de bonheur, jusqu’à la gravité finale qui touche à l’horreur des contes d’ogres. Il y a là une folle naïveté, une folle énergie, et des vérités brutales dont ils ne se rendent même pas compte. On rit, on les suit, on les aime, et l’émotion arrive sans artifice, du fond des choses. Les rôles circulent, pour la commodité de la distribution, et aussi comme cette transmission qui est le sujet même de la
Ligne de faille. Martine Thinières est la seule à ne porter qu’un rôle, presque furtif au début puis de plus en plus présent, on comprendra pourquoi : c’est celui de Kristina- Erra. Et tous les acteurs sont impeccables, dans un jeu tout juste stylisé : Sarah Chaumette, Julien Duval, Pauline Jambet, Frank Manzoni, Olivier Pauls, Catherine Pietri, Bénédicte Simon.

Le spectacle dure quatre heure, sans “gras“, sans une minute de perdue. Il est tonique. Un conseil : ne surtout pas partir à l’entracte, le sens, la beauté s’accomplissent avec la dernière pierre de l’édifice.

Christine Friedel

 

vu au Nouveau Théâtre de Montreuil. En tournée

 

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