Sauce brune
Sauce brune, texte et mise en scène de Simon Boudreault,
Aucun théâtre à l’extérieur de Montréal n’avait osé programmer la pièce hormis le Théâtre Lionel-Groulx à Sainte-Thérèse !! Sans doute avait-on peur de cette pluie de jurons : osties, crisses de tabarnak, ciboires, sacramants, viarges calisses, etc.. Heureusement, Le Théâtre de Catapulte à Ottawa a accueilli Sauce brune à la Nouvelle scène, haut lieu du théâtre franco-ontarien.
Tous les jurons « religieux » québécois possibles, assortis d’ images associées au bas du corps, parsèment le discours de ces ouvrières qui ne travaillent ni dans une taverne ni dans une salle de billard comme on aurait pu le croire. Ce sont des employées d’une cantine scolaire qui passent deux heures devant nous, à préparer le repas de midi en maniant une espèce de pâte molle qu’elles tranchent, roulent, râpent, découpent et mouillent avec une sauce brune qui mijote dans un grand chaudron au fond de la scène.
L’auteur et metteur en scène Simon Boudreault a orchestré le dire de cette petite communauté de femmes désabusées, snobées par les élèves, énervées par les « crisses de profs « , et malmenées pas leurs hommes. Sans vraiment insister sur le conflit de classes, l’auteur s’intéresse davantage à la langue et au mode de communication entre des gens qui n’ont jamais aimé l’ école.
Simon Boudreault a mis en scène et orchestré les paroles, sonorités, et pulsations rythmiques conçues à base de ces jurons qui, constituent une forme de poésie orale, inspirée, dirait-on, du slam ou du rap . Mais il porte sa résistance textuelle encore plus loin en vidant le contenu sémantique des mots pour en retenir surtout les éléments extralinguistiques : ce qui lui permet de jouer avec le rythme, les tonalités, le débit, les sonorités, les percussions et les répétitions qui évoquent parfois un théâtre liturgique. Parler devient ainsi une forme de création, quels que soient les mots et Boudreault explore toutes les possibilités de cette esthétique du juron. Il peint, avec des solos, duos, trios et quatuors, un paysage sonore propulsé par la respiration et le pouvoir vocal de ces femmes. On retient surtout le monologue pathétique de la petite Martine (Catherine Ruel). Nerveuse, tremblante, elle nous chuchote à l’oreille ses terreurs, dans une confession intime qui nous fait ressentir plutôt qu’entendre, les brutalités d’un mari qui l’a marquée d’un horrible blessure au visage.
Il y a aussi le jeu spectaculaire et volcanique de Johanne Fontaine, la chef-cuisinière qui dirige son équipe d’une main de fer, en hurlant ses instructions : elle se dresse contre les mauvaises langues et surtout contre la belle Cindy qui cherche à lui prendre son poste dans cette cuisine infernale.
À la longue, cependant, on ressent la pauvreté d’un vocabulaire assez répétitif. Ce martellement de paroles a sans doute pour fonction de symboliser les difficultés de la communication, réduite à des moyens très pauvres. Mais, même si la répétition d’un même vocabulaire met en relief les pulsations du langage et la rythmique puissante de la phrase, elle réduit l’intérêt dramatique et on a tendance à se lasser.
Comme si l’auteur prévoyait une telle réaction, tout à coup une situation drôle ou dramatique émerge et on oublie alors la poésie des jurons pour se laisser prendre par les manigances crapuleuses du boss, le « gros porc Baunier » qui aurait essayé de coucher avec toute l’équipe; la vengeance collective ne se fera pas attendre et le récit de cet événement, où la sauce brune joue le rôle principal, fournit un des moments les plus drôles de la soirée…
On a déjà comparé le théâtre de Boudreault à celui de Michel Tremblay (Les Belles-Sœurs) mais la comparaison n’est pas tout à fait juste. Les personnages de Tremblay sont des êtres profondément tragiques. Boudreault, lui, s’intéresse moins à la psychologie qu’ au pouvoir d’énonciation des phrases qui deviennent alors des instruments transformant le texte en un paysage sonore fascinant, une symphonie poétique de jurons, une véritable musique de mots qui perdent alors leur valeur linguistique, et le sens profond vient alors de la qualité du son.
Le résultat est assez surprenant, voire fascinant, si on accepte de se laisser emporter. Le directeur artistique de La Catapulte avertit avant le spectacle que ceux des spectateurs qui trouveraient la langue insupportable, auraient le droit de partir discrètement pendant le spectacle. Mais personne n’est sorti!
Alvina Ruprecht
Nouvelle scène, du 30 novembre au 3 décembre 2011.
Bonjour,
Merci pour vos articles toujours passionnants !
Je suis tombé il y a peu sur un projet qui, je l’espère, pourra vous intéresser.
C’est un projet étudiant qui n’est pas encore abouti mais qui est très prometteur. Voici le blog :http://becomedien.fr/blog/