Les Outardes
Les Outardes de Gaby Déziel-Huppé, mise en scène de Gilles Provost.
L’équipe de La Femme du boulanger de Marcel Pagnol, récidive avec un classique du théâtre populaire de l’Ouest-Québécois : Les Outardes. Créé en 1969, ce drame familial se déroule dans une ferme de la région Outaouaise/Gatineau, près de la frontière Ontario/Québec.
C’est ici que les outardes-ces oiseaux migrateurs- passent dans le ciel d’automne au moment de leur départ annuel vers des endroits plus chauds. Elles partent mais reviendront, c’est certain. Gilles Provost, l’ancien directeur artistique du Théâtre de l’Ile à Gatineau/Hull et metteur en scène, a voulu plonger son public dans un grand moment de nostalgie en revisitant cette œuvre jouée lors de l’ouverture de son théâtre en 1976.
Avec une excellente distribution, un décor réaliste et une volonté de reconnaître l’amitié entre Provost et l’auteur, cette production dite communautaire, a rendu justice à une pièce qui reflète les tribulations de la famille Gratton. Gérée par le patriarche légendaire de la famille le père Théo, la famille est soumise à la volonté de cet homme fougueux, énergique, généreux et très accroché à la tradition.
Théo s’impose, séduit et surveille de près ses terres, ses enfants et la voisine Rosalba sur qui il jette son dévolu depuis la mort de sa deuxième femme. La très pieuse, très bavarde et très amoureuse Rosalba, qui se garde pour le mariage depuis 42 ans, se méfie quand même de ce beau patriarche et évite ses avances: elle sait bien que Théo voudrait goûter à la vie avant de passer par le curé.
Le désir des enfants se heurtent aux attentes de Théo mais, mus par la volonté de ne pas rompre les liens familiaux (comme les outardes qui reviennent à la maison), se tirent d’affaire plutôt bien, et le drame se transforme un conte moral rural, style québécois. Le va-et-vient dans le salon de la maison familiale évoque parfois la farce, surtout au moment où Colette, originaire de la Gaspésie, arrive chez eux, mais…personne ne souhaite la voir, et surtout pas la Rosalba qui flaire une rivale!
Un jeu décontracté formidable permet à tous les comédiens d’être eux-mêmes et le résultat était rassurant pour ceux qui cherchaient une soirée entre » nous-autres ». L’auteur et le metteur en scène a bien compris leur public. En effet, le travail sur le jeu, réalisé par Gilles Provost, et le décor qui reproduit tous les détails d’une maison de campagne, mettent en évidence les origines néo-naturalistes de cette pièce qui nous renvoie à l’esthétique du théâtre québécois des années 50- 60, surtout à la dramaturgie de Marcel Dubé, l’Eugène O’Neill du Québec.
La famille, avec ses conflits, ses secrets, ses tragédies, ses hontes et ses victoires, est le lieu de tous les drames qui allumaient la scène québécoise de l’époque.La mise en scène de ces Outardes permet au public de scruter comme une bande de voyeurs, les moindres gestes des comédiens. Il faut insister sur le jeu remarquable d’ André St-Onge , le père Théo qui réunit sa tribu dans son petit empire campagnard. L’acteur atteint un niveau de jeu tout à fait professionnel, avec des réactions nuancées, et une voix basse très puissante qu’il module comme un instrument de musique.
Le Théâtre de l’Ile réalise des productions professionnelles et communautaires , possède une équipe de travail – comédiens et techniciens- et crée des œuvres d’une très grande qualité, quel que soit le spectacle. Fait assez rare dans la province, cela a permis l’émergence de plusieurs générations d’excellents acteurs pour le plus grand plaisir du public…
Alvina Ruprecht