La campagne de Martin Crimp
La Campagne de Martin Crimp, traduction de Philippe Djian, mise en scène de Patrick Schmitt.
Martin Crimp, à 55 ans, est sans aucun doute le dramaturge anglais le plus connu en Europe et en France. La plupart de ses pièces-entre autres: La Ville, montée par Marc Paquien, Atteinte à sa vie, Claire en affaires par Sylvain Maurice, Getting for attention ( voir Le Théâtre du Blog) et La Campagne sont maintenant très souvent jouées en France. On l’a comparé à Harold Pinter et c’est vrai qu’Il sait dire comme personne, la violence et la menace au sein des couples; avec humour et cruauté. Il sait construire une intrigue, en même temps qu’il s’exerce à la déconstruire et il établii très vite un climat tout à fait particulier grâce à un langage fondé sur les non-dits, les silences, les mensonges par omission comme on disait autrefois.Le vrai, le faux, les demi-vérités, les demi-mensonges, les hypothèses comme les questions sans réponses: : Martin Crimp emmène habilement le public sur les chemins de l’inconscient, et, bien sûr, on ne saura jamais vraiment rien d’exact sur l’histoire aussi banale que fascinante qu’il nous raconte. Avec trois personnages qui semblent échapper- du vieux triangle amoureux boulevardier. La campagne n’échappe pas à la règle…
Un couple: Richard et Corinne, a voulu quitter Londres pour vivre à la campagne avec leurs deux enfants. Il est médecin et, un soir, il a trouvé une très jeune femme étendue – c’est du moins ce qu’il dit à Corinne ( pas très sexy, l’épouse en pantoufles et robe de chambre) -sur un bas-côté de la petite route. N’écoutant que sa conscience professionnelle, il l’a donc ramenée à la maison où elle dort.
C’est la nuit, il sont tous les deux dans le salon, et aux interrogations de Corinne concernant la jeune femme, il répond souvent évasivement, et le doute commence à s’installer: Corinne semble penser que la rencontre entre Richard et Rebecca est beaucoup plus ancienne qu’il ne le dit. Le public attend comme Corinne le moment où Rebecca se réveillera et livrera sa version des faits. Très mignonne mais un peu envahissante, la Rebecca qui semble connaître la maison ou du moins qui s’y trouve parfaitement à l’aise. Ment-elle? Sans doute mais dans quelles proportions, cela Martin Crimp, très habilement, laisse le spectateur s’en faire une idée mais sans lui fournir vraiment les clés indispensables.
Rebecca fait preuve d’un cynisme total, n’a pas le moindre scrupule comme si elle avait de très bonnes raisons pour tenir Richard à sa merci.. Si l’on juge par le contenu de son sac où l’on trouve des seringues neuves. Richard les lui a-t-il procurées en échange de services sexuels? C’est du moins ce que l’on peut supposer , même si l’on n’a aucune preuve. Corinne semble alors être sur le point de craquer, ira même jusqu’à prendre la défense de son mari et proposera de l’argent à Rebecca contre son silence, de façon à ce que son mari , bourgeois considéré, ne soit pas inquiété si jamais Rebecca venait à le dénoncer.
Est-il le médecin respectable que l’on croit ou un personnage assez pervers qui navigue en eaux troubles? On peut se dire qu’elle pense d’abord et à sa sécurité personnelle et à celle de ses enfants. Il y a aussi un autre homme, Morris, un ami du couple que l’on ne verra jamais mais qui téléphone souvent, et que l’ensorcelante Rebecca semble connaître, ce qui jette Corinne dans le doute le plus complet. Qui est finalement cette jeune, pulpeuse et cynique Rebecca? On ne le saura jamais… Les choses à la fin s’apaiseront et le couple Richard/ Corinne retrouve un semblant de paix. Richard est plus calme et Corinne moins anxieuse mais bon…
C’est un huis-clos que cette Campagne et Patrick Schmitt a choisi-et il a eu raison- de ne pas s’encombrer d’un décor réaliste et de vidéo comme c’est la mode ridicule et , de ne pas céder à la tentation de l’illusion. Juste un parquet noir , trois fauteuils, une petite table, un téléphone : cela suffit à évoquer la maison de campagne et à mettre en place, cette comédie de l’hypocrisie et du mensonge en cinq séquences ponctuées de musique . Comme le lieu est très silencieux, on est tout de suite plongé dans cet univers aussi calme qu’inquiétant.Et la magie du langage opère alors très vite; grâce à une mise en scène et à une direction d’acteurs tout à fait ciselées; Emmanuelle Meyssignac (Corinne) et Larissa Chomolova (Rebbeca)sont vraiment impeccables. On les a vues toutes les deux souvent mais ici, elle,dans ce petit lieu, comme en gros plan, elles sont fascinantes de vérité: pas de criailleries, pas de gestes faux mais une sensibilité et une précision dans le jeu d’une grande intelligence qui fonctionne parfaitement, surtout quand elles elles engagent toutes les deux le ping-pong verbal sans aucune concession imaginé par Crimp. Patrick Schmitt, qui joue Richard, semble être un peu en retrait, même s’il est tout à fait crédible. En tout cas, c’est vraiment la meilleure mise en scène de cette Campagne que l’on ait pu voir en France.
Le seul bémol: vous n’avez pas beaucoup de chances de la voir. Le spectacle s’est en effet joué une dizaine de fois à Nanterre mais pour le moment, il n’y a pas de reprise à l’horizon. C’est une des aberrations du théâtre contemporain que ce manque d’exploitation, même et surtout quand il s’agit d’excellents spectacles comme celui-ci…En tout cas, ne le ratez pas s’il passe près de chez vous.
Philippe du Vignal
Théâtre de la Forge à Nanterre du 25 novembre jusqu’au 11 décembre
The Country (La Campagne), l’Arche éditeur, 2002,