L’Épreuve
L’Épreuve, mise en scène d’Agathe Alexis, et Les Acteurs de bonne foi, de Marivaux, mise en scène de Robert Bouvier
Dans ces deux courtes pièces très souvent jouées, le “marivaudage“ se révèle particulièrement cruel, sous la légèreté de la comédie. Et d’autant plus qu’on est dans cette légèreté. On connaît les deux arguments : Lucidor, disons un très riche fils à papa, tombe amoureux d’une “petite-bourgeoise de village“. Et réciproquement.
Aucun obstacle, sinon la peur de n’être aimé que pour son argent, ce qui lui fait mettre sa bien-aimée à l’ épreuve en lui offrant successivement pour époux son valet déguisé en riche “homme du monde“, puis maître Blaise, paysan pour le moins girouette du côté où soufflent les écus.
Douleur et pleurs d’Angélique, délices de Lucidor : ça a marché, elle m’aime pour moi-même. Mais comment se remettre d’une épreuve si rude ? La fin heureuse laisse trop de blessures…
Blessures sans gravité dans Les Acteurs de bonne foi, puisqu’elles ne touchent que de « petites gens », la servante Lisette, le paysan Blaise, une Madame Argante de province. Mais Angélique et Eraste ? Madame Amelin feint de briser leur mariage, parce que Madame Argante aurait refusé de lui donner la comédie : et leur souffrance à eux ? On peut imaginer que cette “femme du monde“ y a pensé, comme à une épreuve, au-delà de son divertissement. C’est possible…
Ici Marivaux s’amuse de l’impossibilité parfois à démêler le vrai et le fictif, quelque part du côté du Paradoxe sur le comédien. Surtout, il nous donne à voir, sous l’illusion de l’amour et du jeu, l’inconciliable partage entre la Cour et la campagne, entre le jeu des apparences et la sincérité naïve. Mais peut-être avons-nous une lecture trop grave de Marivaux, et ne s’agit-il seulement que du côté cour et du côté jardin : ce n’est que du théâtre. Tout est bien qui finit bien, donc, à condition de pouvoir oublier les cicatrices. Ce n’est pas à l’auteur de comédies de raconter la suite de l’histoire, mais était-il nécessaire de recourir à une chorégraphie un peu laborieuse pour cela ?
Pour cette co-production franco-suisse, Gilles Lambert a dessiné une scénographie impeccable, avec une verrière séparant le salon de la campagne, des costumes joyeusement anachroniques faisant de l’œil aux jupes ballonnées des années soixante mais offrant aux garçons de belles vestes damassées XVIII ème siècle. Les deux mises en scènes s’enchaînent en une belle complicité. Les comédiens sont justes et efficaces. Robert Bouvier fait un Lucidor opaque (jeu d’antiphrase sur le nom du personnage), plus timide que pervers, puis un Blaise droit dans ses bottes. Guillaume Marquet saute allégrement et en finesse du premier maître Blaise à l’amoureux Eraste, Franck Michaux, de Frontin à Merlin, garde avec brio le même emploi de valet futé, actif et sans trop de scrupules, les filles (Natahlie Jeannet, Sandrine Girard et Nathalie Sandoz) ont ce qu’il faut d’énergie et de charme.
Mention particulière à Marie Delmarès, Angélique exigeante, entière et touchante. Honneur aux deux mères, Maria Verdi, mère grondeuse et mesquine dans L’Épreuve, fondue d’amour pour sa fille dans Les Acteurs de bonne foi, et Agathe Alexis, délicieusement méchante, toute à son plaisir de voir son petit peuple de village lui donner, sans le savoir, la comédie, et de tenir entre ses doigts délicats et pointus l’amour des jeunes gens.
On a lu dans Les Acteurs de bonne foi, un manifeste de la vérité du théâtre et de sa nécessité. Sans lui prêter autant, prenons la pièce comme un très intelligent divertissement. C’est déjà beaucoup…
Christine Friedel
Théâtre de l’Atalante, jusqu’au 29 décembre. T: 01 46 06 11 90