L’Ours normand
L’Ours normand, texte du Cirque et de l’Entretien de Fernand Léger avec Dora Vallier, conception et interprétation d’Arnaud Churin.
Nous connaissons les peintures du grand Fernand Léger (1881-1955), jeune normand venu à Paris étudier l’architecture qui échoue au concours d’entrée aux Beaux-Arts puis fréquente plusieurs académies. Mais l’on sait moins qu’il fut aussi un excellent connaisseur de l’art de son époque sur lequel il a beaucoup écrit et réfléchi. Il a aussi évidemment connu des marchands comme Kanveiler qui l’a protégé, des peintres: entre autres :Modigliani, Delaunay, des écrivains comme Cendrars, Max Jacob ou Apollinaire avec qui il ne s’entendait pas très bien. Léger fut très influencé par Cézanne qui lui offrait une ouverture considérable et avait aussi une passion pour le cirque Médrano qui lui a inspiré nombre d’œuvres comme cette formidable Grande parade (1954) de quelque douze m2.
Ce que l’on sait moins : Fernand Léger a aussi collaboré avec les Ballets suédois , a travaillé avec Jean Epstein et Abel Gance, tourné un film Le Ballet mécanique, et créé les vitraux d’une église d’Audincourt, (la patrie du Théâtre de l’Unité!) avec les peintres Bazaine et Le Moal; il a aussi peint des fresques à l’université centrale du Venezuela… Enfin Léger a été aussi enseignant et directeur d ‘une école d’art où il accueillit… Serge Gaisnbourg.
On comprend qu’Arnaud Churin ait été fasciné par le parcours de cet homme exceptionnel qui n’avait jamais renié ses origines rurales, même quand il vivait à Paris ou à New York où il retrouva Duchamp, lui aussi, d’origine normande.
Ce qui est sans doute le plus surprenant chez ce peintre, c’est cette insatiable curiosité devant la vie qui existait autour de lui. Par exemple, quand il découvre un simple vélo qui tourne suspendu dans la vitrine d’une boutique de vêtements de façon, lui dit le commerçant qui avait tout compris en matière de communication, à provoquer l’intérêt des passants!
Le spectacle d’Arnaud Churin qu’il avait créé il y a une dizaine d’années à la Comédie de Caen, commence par des extraits du Cirque qu’il dit au micro; derrière lui des projecteurs au sol s’allument en cadence, avec une musique électronique. Disons tout de suite que ce premier moment n’ a rien de fameux,et l’on sature assez vite: le texte , pas très passionnant, n’avait sûrement pas besoin de ces béquilles technologiques qui n’apportent absolument rien.
Puis, miracle, tout s’éclaire quand Arnaud Churin, très juste, abandonne son micro infernal et prend à bras-le-corps l’entretien exemplaire de Fernand Léger avec Dora Vallier, où il parle de ses relations avec les peintres et les écrivains cités plus haut. Et c’est absolument passionnant, comme si Léger venait nous voir et nous parlait avec une intelligence mais aussi avec une franchise et une simplicité remarquables. De lui, de la peinture , de l’art et de la vie de ce début de siècle .Et, à la fin, il y a une magnifique image: celle de dix barres fluo rouge vif devant lesquelles tourne une hélice en bois.
Alors à voir? Oui, malgré de fortes réserves sur cette première partie de spectacle et sur une mise en scène mal gérée de l’ensemble qui aurait mérité plus de simplicité mais c’est quand même un beau rendez-vous avec l’homme et le peintre Fernand Léger, cinquante ans après sa disparition…
Philippe du Vignal
Le spectacle a été joué du 1er au 17 décembre au Théâtre de la Bastille et sera repris en tournée.