Mannekijn
Mannekijn de Frédéric Vossier, mise en scène Sébastien Derrey.
Hommes, femmes, et stéréotypes.Domination masculine transmise par les femmes; femmes complices. Servitude volontaire.
Homme dominateur, femme dominée : où en sommes-nous du stéréotype et de la façon dont il se dit ? Frédéric Vossier et Sébastien Derrey cherchent de ce côté-là, du « comment ça se dit ». Ils ne sont pas sociologues, ils font du théâtre.
Donc, devant nous, la mère, la fille, et, longtemps caché, l’Homme. Caché, en effet : la soumission féminine, revers de la domination masculine, n’a pas besoin de la présence de l’Homme : elle passe par le souci de la mère de transmettre à sa fille les codes d’une « perfection » qui répondraient aux exigences supposées du mâle. Ironie : la mère, si sûre d’elle, a besoin régulièrement du prendre d’un coup d’œil le public à témoin : c’est bien comme cela ? J’ai raison ? Comme plus tard la fille prend à témoin la mère et le public de ses jeux amoureux et infantiles avec l’Homme. Ici, seul l’homme a droit à une majuscule, car il est, si l’on ose dire, le pivot de l’affaire : celui pour qui on doit se faire belle, celui dont il faut se faire aimer, le fantasme, celui qu’il faut servir, qui paie, qui fait peur.
Bizarrement, les femmes, dans cette histoire, n’ont pas besoin de fiction pour exister, alors que l’Homme est l’objet de leurs récits, l’ “Espagnol“, ancien footballeur réduit à son ventre, ancien objet du désir, « people » riche et pas encore divorcé mais qui a besoin, dans son lit et sous ses coups, de la petite…
Le tout, en un langage à la fois économe, feutré, chargé de silence, de violence concentrée, avec des échappées soudaines d’un inconscient sidérant. C’est glaçant et drôle. Le décor est réduit à un espace désastreux de vieux panneaux, qui dessinent une circulation parfaite de la soumission et de la peur, ponctuée d’un inquiétant bruit de gouttes d’eau. Les costumes sont pauvrets et pourtant chargés de la trace des puissantes images sociales dont ils sont le dernier avatar, inusable.
Tout cela donne l’impression d’un monde au bout du rouleau (si seulement !), rendu avec une précision délectable par les trois comédiens, Catherine Jabot, Nathalie Pivain et Frédéric Gustaedt. Et, au fait, pourquoi ce titre exotique ? Mannekijn, c’est, étymologiquement, le « petit homme ». Vu l’échantillon représenté d’homme dévirilisé et d’autant plus violent, le sens s’impose : petit homme, en effet…On pourrait ajouter l’autre étymologie supposée de mannekijn : panier. C’est aussi parlant!
La mise en scène est exemplaire; son seul défaut serait d’être trop constamment rigoureuse : mais est-ce un défaut ? La pièce ne tient pas tout à fait la longueur, mais mérite absolument le voyage.
Christine Friedel
Théâtre de l’Echangeur de Bagnolet) 01 43 62 71 20