Cancrelat
Cancrelat de Sam Holcroft, mise en scène de Jean-Pierre Vincent.
La classe d’une école : comme le plateau de théâtre, elle représente un parfait microcosme.
Unité de lieu, lieu de conflits, elle met en scène les transformations d’une génération, momentanément préservée du “monde“ et aussitôt rattrapée par ce monde. Dans les années 80, Class ennemy de Nigel Williams, réunissait dans un collège abandonné de tous, à l’image d’une Angleterre sous-prolétarisée, un groupe d’élèves qui bricolait une survie possible dans la bagarre et le crachat.
Ici, à Théâtre Ouvert, François Bégaudeau avait pu tester dans une mise en espace de François Wastiaux la vitalité dramatique d’Entre les murs, vérifiée ensuite sur grand écran. Comme lui, Sam Holcroft, a été professeur, de biologie, ce qui n’est pas indifférent. Elle enferme cinq “caractères“, (Leah, Mmoma, Danielle, Lee et Davey) avec les théories de Darwin et le fonctionnement hormonal de l’être humain.
Leçon est donnée par une jeune et jolie enseignante à ces adolescents travaillés par le désir et la peur du désir, les jalousies, la peur de la solitude… Fragile autorité : la guerre, une guerre, progressivement envahit tout, sépare, transforme, détruit. Faut-il alors être le pus fort ou « le plus adapté » ? On commence par rire, un rire qui répond au « bien vu », à des moments de vérité. On passe peu à peu à un ton proche de celui d’Edward Bond .
La pièce avait été lue il y a deux ans sous la direction de Sophie Loucachevsky. Jean-Pierre Vincent l’a “mise en espace“ cet été, à Avignon, pour le quarantième anniversaire de Théâtre Ouvert, et la met en scène aujourd’hui, avec la même distribution, parfaite, de jeunes acteurs. La direction est d’une précision extrême, avec juste ce qu’il faut de « dessin » dans le jeu, mais sans aucun détail de trop.
Une comédienne est chargée de dire les didascalies à certains moments-clés : cela ouvre la scène vers le récit, vers un théâtre en train de se faire, ce qui donne à la pièce de beaux moments de suspens.
Tout parle : scénographie minimale mais chargée, uniformes scolaires volontairement négligés, selon le style et la révolte de chacun des adolescents, et uniformes de soldats morts qu’on leur demande – effort de guerre de l’“arrière“ – de remettre en état, au risque d’y lire le nom d’un frère. Du tissu au corps, du corps au tissu… La violence monte, jamais gommée ni complaisante.
Mais la pièce souffre de quelques longueurs. Tout est parfaitement en place, le déroulement, les caractères, de façon presque trop explicite : ça manque du “manque“ qui nous emporterait totalement du côté de la tragédie. Comme dans la tradition dramatique anglo-saxonne, avec efficacité. Ou du fait que pour les Britanniques la guerre n’est pas – pas seulement – une métaphore de la catastrophe, comme c’est le cas de ce côté de la Manche. La métaphore n’a pas besoin d’être redite. Sauf s’il s’agit, réellement, d’une pièce de guerre. À voir.
Christine Friedel
Théâtre ouvert, jusqu’au 4 février – 01 42 55 55 50