La Dame aux camélias à partir du roman d’Alexandre Dumas fils, de La Mission d’Heiner Muller de L’Histoire de l’œil de Georges Bataille, mise en scène de Frank Castorf.
On connaît, bien sûr, le fameux roman de Dumas fils publié en 1848, où il nous conte les amours d’une jeune prostituée tuberculeuse Marguerite et du bourgeois Armand Duval. Le dit roman a inspiré Verdi pour sa Traviata et sans doute aussi une bonne vingtaine de réalisateurs de films et de ballets. Morte à 23 ans seulement, la Marguerite aura quand même ainsi beaucoup donné post mortem! Et c’est Frank Castorf, metteur en scène allemand et excellent directeur d’acteurs (Les Mains sales de Sartre en 2002 à Chaillot qui s’y colle cette fois-ci…Mais avec des acteurs français.Et, en complément, des extraits de La Mission qui, semble-t-il, n’étaient pas prévus au départ et des écrits de Georges Bataille. Pas déjà convaincant avant même que cela commence mais bon… A lire les notes d’intention publiées dans le programme, c’est, comme souvent, plutôt mais évidemment la suite est ici beaucoup moins réjouissante!
Sur scène, que voit-on? Un plateau tournant avec une sorte de baraque sordide faite de planches et de morceaux de tôle ondulée, surmontée d’une petite chambre avec, à côté , un poulailler avec de vraies poules et , pour ne pas affoler le public, celle que l’on tuera est une fausse. il y a un coin cuisine immonde et des toilettes tout aussi immondes, de vieux bidons en plastique, un coin chambre avec un lit pliant défoncé.
Il y a aussi un grand pylône, avec en lettres lumineuses, les mots Anus mundi, Global network. Une affiche tournante montre une photo de la rencontre Khadafi/ Berlusconi avec comme sous-titre: Niagra forza for ever ( Riez, bon peuple de France!) ou celle de Mussolini avec Hitler. Bref, le taudis africain ou brésilien très réaliste, comme si on y était : la petite promenade ethnologique est gratuite…
On voit ainsi Marguerite Gautier, en robe du soir, couchée dans la paille du poulailler avec deux de ses copines; quant à Duval, il fait des allers et retours au toilettes pour vomir la bouillie qu’il vient d’avaler, et l’on vous sert pendant presque quatre heures entracte compris, un magma Dumas/ Muller/ Bataille, des scènes de partouze etc… sur de la musique de Verdi. C’est, comme on dit, une revisitation du roman de Dumas et l’ensemble voudrait être si l’on a bien compris les intentions de Castorf , une sorte de déconstruction assortie d’une sorte de dialogue entre des morceaux du célèbre roman et des extraits de la pièce de Muller . Après tout, pourquoi pas?
Et cela fonctionne? A votre avis? Pas vraiment. Faute d’une dramaturgie solide, Castorf qui ne s’est pas, semble-t-il beaucoup fatigué, fait joujou avec Dumas, ajoute un peu d’exotisme jamaïcain façon Muller et un peu de piment érotique de la bonne épicerie Georges Bataille, tout en utilisant sans cesse,-pour faire moderne et branché auprès des jeunes?-la vidéo-retransmission de certaines scènes qui se passent au lit.
Est-ce pour appâter le client? Le programme souligne un peu naïvement que certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes… qui en ont vu bien d’autres sur Internet. La deuxième partie du spectacle consiste d’ailleurs en une interminable retransmission vidéo, assorti d’un monologue où Castorf oblige l’excellent Jean-Damien Barbin à hurler dans un micro. Comme il y avait déjà pas mal de criailleries, on commence à saturer!
Il faut reconnaître qu’il y a, juste avant l’entracte, quelques frémissements de quelque chose qui ressemble à du théâtre avec de fort belles images, surtout quand Jeanne Balibar entre, majestueuse sur le plateau mais cela ne dure pas… Même si elle change, comme dans le théâtre privé, plusieurs fois de robe; heureusement, elle est là avec Jean-Damien Barbin et les autres comédiens: Claire Sermonne, Anabel Lopez, Ruth Rosenfeld, Vladislav Galard et Sir Henry, à conduire tant bien que mal, avec un grand professionnalisme, ce machin prétentieux, (du genre: vous allez voir ce que vous allez voir quand je me sers, moi, d’un plateau tournant et d’une solide équipe technique), comment moi je fais dans l’avant-garde…Mais, grands dieux , quelle déception, quel ennui!
Résultat: une hémorragie de spectateurs pendant la première partie et la désertion d’une moitié du public à l’entracte. Sans aucun doute, un tas de crétins qui n’avaient rien compris aux intelligentes propositions avant-gardistes de M. Castorf!!! Enfin, belle naïveté ou plutôt ultime provocation de Castorf, ce mot de Gautier/ Jeanne Balibar à la presque fin: » Putain, j’en ai marre de cette mise en scène à la con! » Bref, ce qui aurait pu encore passer à la rigueur en une heure vingt maximum, devient en plus de trois heures, d’un ennui à couper au couteau!
Alors y aller ou pas? A votre avis? Olivier Py défendra sans doute son invité mais ce genre de spectacle n’est pas à l’honneur de l’Odéon! Enfin, si vous voulez vous en faire une idée, vous pouvez peut-être entrer après à l’entracte, il vous en sera sûrement reconnaissant; au moins, vous ferez une bonne action en remplissant un peu la salle…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon jusqu’au 4 février ensuite en tournée en Belgique.