ATE
Até, texte et mise en scène d’Alain Béhar.
Alain Béhar interroge notre présent. Mais lequel? En ces temps chaotiques de numérisations technologiques et de dégradation symbolique du triple A de » notre » pays, une « humiliation subie par un système de notations abusif .
Même si ces phénomènes n’ont d’ailleurs rien à voir les uns avec les autres ? Quels sont ce « maintenant »et cet « ici », depuis lesquels nous parlons ?
Sur le plateau, Alain Béhar a écrit et mis en scène Até, installation, performance avec musique jazzy, danse avec de nombreux écrans, un cube lumineux , des rochers ou des tumeurs gonflables. Rendez-vous est donné au public avec quatre comédiens décidés, en lien avec une jeune femme sexy de bande dessinée qui, elle, est en 3 D, et qui annonce, depuis le Monténégro où elle se trouve, que sa particularité est le mensonge… Leurre, bonjour : la dame n’a d’autre occupation que de troubler l’esprit des hommes. Voici donc Até, divinité néfaste chez les Grecs, déesse de la fatalité, de la folie, de l’illégalité et du mouvement irréfléchi.
À côté de cette image virtuelle un rien World of Warcraft, et, plus haut dans l’espace scénique, est installé un acteur que l’on peut voir sur grand écran , puisqu’il ne sort pas de chez lui, le casque rivé sur ses oreilles et l’œil sur la caméra, en communication constante ,avec nos quatre lurons sur le plateau, petite communauté en interaction chorale : un père, joueur en réseaux, plus ou moins hacker et, par ailleurs pianiste talentueux, s’adresse à sa fille, accro à la Bourse et aux marchés, spécialiste d’économie alternative potentielle. Ce père heureux parle aussi à son fils, à un ami bavard plein d’idées et à un abbé en proie à des conflits qu’il ne désire pas résoudre.
Chacun mène l’intrigue de son point de vue, le zoom passant d’un personnage à l’autre, sans que l’un ou l’autre ait jamais la prérogative. Ce sont tous des avatars ou des pseudonymes que l’on peut rencontrer sur Second Life, Facebook, Myspace, Twitter … Du style: je te parle depuis ce bout du monde jusqu’à un autre, aux antipodes, sous un pseudo: c’est moi et c’est pas moi. Que de temps passé à jouer en réseau à tel jeu, bloqué au niveau 4!
Un temps autre donc, et un espace qui, en fait, n’existe pas : les personnages passent d’un niveau de réalité à l’autre, comme si toute réalité semblait perdue. Les individus semblent immergés dans des mondes virtuels aux temporalités parallèles, des solitaires en communauté dont le corps pose forcément problème, diffuseur et boîte à rêves et à fantasmes, prison dorée dont les portes ne s’ouvrent pas.
Un spectacle inventif , vivant, et savamment ordonnancé, où les acteurs- Denis Badault, Renaud Bertin, Mathilde Gautry, Julien Mouroux et François Tizon-se donnent à fond, passionnés qu’ils sont par cette vie ludique. Le spectacle peut être compris comme une critique de notre temps, à moins qu’il n’y adhère un peu trop : il y manquerait cela même qu’il dénonce: une âme à partager avec le spectateur, naufragée sous la seule dimension du jeu tyrannique.
Véronique Hotte
Studio-Théâtre de Vitry, jusqu’au 16 janvier à 20h30 et dimanche 16h Réservations : 01 46 81 75 50 ; le 26 janvier au Théâtre des Bernardines à Marseille : 04 91 24 30 40. Les 7, 8, 9 et 10 février 2012 au Théâtre Garonne à Toulouse : 05 62 48 56 56