Simplement compliqué

Simplement compliqué Simplement-compliqu%C3%A9-18-Ph-Monika-Rittershaus.jpg-2-thumb-400x266-39050-300x200Simplement compliqué de Thomas Bernhard, mise en scène de Claus Peymann.

   Comme le dit  Michel Bataillon, dramaturge et  auteur du remarquable sur-titrage de la pièce, Thomas Bernhard et Claus Peymann étaient de fidèles amis depuis quelque dix-neuf ans et la dernière pièce des dix-neuf pièces de lui  qu’il mit en scène fut Heindenplatz (Place des héros) en novembre 88 que nous avions pu voir au Burgtheater. La pièce écrite à l’occasion  du cinquantenaire de l’annexion de l’Autriche par Hitler, fit l’effet d’une bombe et provoqua une crise politique. Thomas Bernhard y fustigeait l’hypocrisie de son pays avec une réplique devenue  emblématique de la pièce: « Il y a aujourd’hui plus de nazis à Vienne qu’en 1938″.
Mais, en février 89, il  mourrait  des suites d’une maladie pulmonaire qu’il savait incurable depuis vint ans.  Et, ultime provocation post mortem, le célèbre dramaturge, toujours aussi agressif et provocateur envers son pays -et ses institutions-qu’il haïssait…  au point de ne pouvoir le quitter, réglait ses comptes une fois de plus,  en exigeant dans son testament que son œuvre ne soit plus jouée ni éditée en Autriche, »émigration volontaire posthume » selon ses mots!

 Heureusement pour ses compatriotes, son frère, par le biais d’une fondation privée indépendante de l’Etat autrichien, leva cette interdiction et Claus Peymann  mit en scène à l’Akademietheater de Vienne, et au Berliner,  ce monologue bouleversant  créé en 86 par Minetti et joué maintenant  par  ce grand acteur qu’est Gert Voss.
  La mise en scène de Claus Peymann, c’est d’abord le remarquable décor et les costumes  de son scénographe Karl-Ernst Herrmann. Imaginez un grand voile noir, avec, juste en haut, la signature de l’auteur et  ses dates de naissance et de mort, qui cache , avant le début, la chambre un peu sordide d’un vieil  homme, un acteur retraité comme on le comprendra vite.
  Il y a juste le nécessaire dans cette pièce dont les grandes dimensions renforcent encore l’impression  de  solitude du vieux monsieur: un lit étroit  dans un angle, un pot de chambre en fer émaillé blanc, une table en bois juste éclairée par un monte-et-baisse à l’abat-jour pauvret, une malle noire en bois, un miroir au mur,un petit réfrigérateur, trois chaises et cinq paires de chaussures noires soigneusement alignées sous la fenêtre, à côté de vieux journaux éparpillés.
La triste peinture des murs et du plafond (oui, c’est rare dans le théâtre  contemporain  et sauf dans le dernier spectacle de Pascal Rambert) date de bien longtemps, et tombe en loques. Par la  fenêtre à droite, le soleil procure une belle lumière à  cette pauvre chambre.

  Il y a aussi par terre, au milieu de la pièce,  un magnétophone qui tourne  lentement et un seau. Et  une petite porte d’entrée et une autre qui donne sur une salle d’eau. Cela sent l’abandon, la solitude d’une fin de vie;  le vieil homme, à genoux  au début, essaye maladroitement de reclouer une plinthe avant de s’affaler contre le mur.
Il  évoque ses études à Göttingen, à la Sorbonne et à Cambridge, et s’en prend  souvent  à Schopenhauer; il constate aussi, désabusé,  son manque de volonté, même quand il a froid au lit pour remonter la couverture!  Il accroche la photo  du philosophe sans savoir pourquoi. Et constate avec amertume qu’à 80 ans , il n’aura  jamais la force de repeindre ces murs crasseux; il  parle aussi de son épouse décédée qui, à soixante-sept ans, l’accusait de mensonge.Le matériel, le spirituel: tout s’en va à vau-l’au chez lui.
  Il note souvent aussi qu’il doit acheter du poison à souris, ce qui semble l’obséder, et a cette phrase aussi  magnifique que dérisoire:  » Quand nous commençons à donner  des noms aux souris il n’y a pas de doute, nous sommes cinglés ». Le vieil homme, désabusé,  parcourt les petites annonces d’un quotidien, comme pour constater qu’il ne peut plus prétendre à aucun emploi…
Dans la deuxième scène,  il se souvient avec bonheur du temps où il jouait Richard III et,  petit rituel personnel, chaque deuxième mardi du mois, il se coiffe  de la pauvre couronne de métal doré,  comme pour exorciser le passé, dans un geste aussi sublime que dérisoire. Par le biais de cet acteur de 82 ans, Thomas Bernhard  se livre aussi , en quelques phrases, à une  courte mais brillante leçon sur l’art de l’acteur.
  Mais on frappe à la porte: c’est une  Catherine de dix ans qui vient lui porter son lait ,  lait qu’il verse  dans un pichet  sitôt mis au frigo… Avant d’avouer à la petite fille qu’il a horreur du lait, et  de le jeter dans les toilettes.Mais en lui faisant jurer de ne rien dire; n comprend que c’est la seule visite que le vieux misanthrope reçoit…
Et, comme un bon grand-père,il  pose la couronne de Richard III sur la tête de l’enfant à genoux qui ne dit pas un mot mais qui a une présence étonnante.  En quelques phrases et quelques  gestes, tout  aura été  dit de cette solitude pathétique…

 La  troisième scène a lieu au soleil couchant; il est assis près de la fenêtre puis s’en va manger un morceau de saucisse et un bout de fromage,; comme dit le proverbe italien: »Qui mange seul, meurt seul », puis il appuie sur une touche du magnétophone pour s’écouter une  dernière fois peut-être…
  C’est Gert Voss qui assume pendant une heure quarante cinq; à quelque soixante dix ans, il fait ici un travail exemplaire; bougon, presque impudique, gentil,accablé,  nostalgique, presque joyeux et optimiste, ou du moins plein d’humour par instants, cynique, clownesque, un peu aigri,  désabusé: Gert Voss, utilise toutes les nuances de sentiments, avec une gestuelle, un sens fabuleux de l’attitude corporelle, et un  phrasé impeccable,
Et grâce à la direction d’acteurs de premier ordre de Claus Peymann qui est un peu l’alter ego théâtral de Thomas Bernhard et qui sait comment s’y prendre  pour faire dire à ses comédiens cette langue si particulière.

 Il est vraiment rare de voir une mise en scène aussi discrète qu’efficace, jusque dans les moindres détails. Nous n’avions pas pu  voir,  en 2009 celle de Georges Wilson avec lui-même comme interprète. Sans doute, le Berliner a-t-il des moyens humains et techniques importants mais il sait s’en servir avec efficacité: quelle intelligence incomparable du texte et du plateau, quel respect du  théâtre et du public! 
   C’est vraiment  une exceptionnelle leçon d’interprétation et de mise en scène. Et on ne peut que remercier Emmanuel Demarcy-Motta d’avoir accueilli Peymann et son formidable acteur qui ont fait l’objet d’une dizaine de rappels par un public subjugué par autant de savoir-faire  et  de  sensibilité. On peut toujours dire que c’est du théâtre « traditionnel »; mais du traditionnel comme cela, on en redemande; surtout après  la soi-disant modernité d’un Castorf  ou d’un  Lupa; ici, pas de retransmission vidéo! Et cela fait du bien!
 D’autant que-et ce n’est pas si fréquent- le sur-titrage de Bataillon  permet de ne pas être gêné  et de savourer la langue fabuleuse  de Bernhard, ce qui est appréciable. Et ces 105 minutes passent  vite. Mais, attention: cela sera peut-être pour vous simplement compliqué vous n’avez en effet  que quatre jours pour voir ce Simplement compliqué! Et c’est à Paris ou pas…

Philippe du Vignal

Théâtre des Abbesses jusqu’au 21 janvier.

Le texte est édité chez l’Arche.

 


Un commentaire

  1. nathan lehembre dit :

    désolé de répondre si tard , je suis pas retenu sur le site depuis , oui c’était un grand du théâtre comme pouvez dire quelques acteur qui ont travaillé avec lui , et sa ma beaucoup touché que tout ce monde était prés de nous et de soutenir a la cérémonie j’espère que vous avez pu y allé , c’était triste évidement mais une très belle cérémonie , et un très belle adieu pour mon grand père , j’aurais aimé suivre son chemin dans le théâtre mais je suis trop je pense maintenant :( en tout cas je vous remercie encore une fois et remercié les autres ceux qu’ils le connaissait de ma part si vous plait merci

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