Cassé
Cassé de Rémi de Vos, mise en scène Christophe Rauck
« Le travail, c’est la santé ! » Vraiment ? « Ne rien faire, c’est la conserver ! » En est-on si sûr ? Si le refrain a fait les beaux jours d’Henri Salvador au milieu des années 60, en 2012, ses paroles ne lassent pas d’interroger. C’est en tout cas la question que soulève la dernière création de Christophe Rauck. Une pièce écrite spécialement à l’attention du metteur en scène et de ses acteurs fétiches par Rémi de Vos, auteur dont la verve, l’humour sarcastique et la vision cinglante de l’humanité ont, à juste titre, fait la renommée.
Cassé est en effet une immersion dans le monde du travail d’aujourd’hui, ou plutôt un focus sur ce que ressentent vraiment les travailleurs, ce qu’ils vivent au quotidien. Un thème sérieux, donc. On suivra, pour ce faire, les destins de Christine (Virginie Colemyn), ouvrière licenciée de chez Prodex après 18 ans de bons et loyaux services à l’assemblage (l’entreprise ayant été rachetée par les Hongrois), et de son mari, Frédéric (Grégory Gadebois), informaticien à Sodecom qui adopte un comportement des plus étranges depuis les vagues de suicides en rafales.
Autour d’eux gravitent les amis et la famille : Jean-Baptiste (Philippe Hottier), syndicaliste et ancien tourneur-fraiseur devenu alcoolique ; Franck (Juliette Plumecocq-Mech), le voisin sans travail qui affiche bac+5 mais qui, n’en pouvant plus d’enchaîner emploi jeune sur stage préalable à l’embauche, préfère vivre sur la pension de sa mère ; Cathy (Emeline Bayart), l’amie de Christine, séduisante sténo-dactylo prise pour une fille facile et exploitée par tous ses patrons ; Fabrice (Dominique Parent), le médecin qui frôle la dépression nerveuse ; Georges (Michel Robin), le père de Christine qui a fait 40 ans de sidérurgie (et c’était bien « chiant »), et sa femme Danielle (Yveline Hamon), la mère de Christine, bourgeoise qui a épousé la cause prolétarienne.
Bref, entre ceux qui travaillent et dont on ne peut pas dire, même objectivement, que c’est un facteur d’épanouissement, et ceux qui ne travaillent pas ou plus, et qui souffrent de ce constat d’échec, on navigue de Charybde en Scylla, c’est la peste ou le choléra.
Faut-il désespérer pour autant ? En tout cas, Rémi de Vos a choisi de traiter le sujet comme il sait si bien le faire : en mêlant l’humour et la dérision au tragique, le loufoque à la cruauté, en accumulant surprises et quiproquos. Quant à Christophe Rauck, outre une pléiade d’acteurs fantastiques et attachants dirigés d’une main de maître (il faut ici saluer la performance exceptionnelle de Virginie Colemyn, présente sans faiblir au long des 2 heures 45 sans entracte), il nous séduit comme à son habitude par une scénographie magique (un simple décor de cuisine en trompe-l’œil qui devient une façade de HLM, le sol qui s’enfonce…) et la musique entraînante et énergique de David Geffard).
On rira donc beaucoup à ce spectacle, même si souvent, c’est un rire jaune pour de l’humour noir.
Barbara Petit
TGP de Saint-Denis, jusqu’au 12 février