Finnegans wake- Chap.1 d’après James Joyce, traduction de Philippe Lavergne, mise en scène d’Antoine Caubet.
Comme le dit Antoine Caubet, le texte de Joyce publié en 39, soit deux ans avant sa mort, est un des plus difficiles qui soient non à percevoir mais à comprendre dans son intégralité. « Proposer cette œuvre sur un plateau ressort d’une certitude: ce texte existe par et dans la parole, il ne prend vie que lorsqu’il est métamorphosé par la voix, le corps et le souffle de l’acteur face aux spectateurs ».
L’œuvre est maintenant dans le domaine public, et il peut être tentant pour un metteur en scène de le faire sinon jour tout au moins interpréter par un seul acteur...
Les dix-neuf chapitres des 900 pages de Finnegans wake auront coûté dix-sept ans d’écriture à Joyce, et malgré le soutien de quelques amis dont Larbaud et Beckett, furent la cible d’attaques et de sarcasmes répétés dès le début de sa parution en feuilleton dans une revue; c’est le récit de l’histoire de la famille de Finnegan Earwicker, pas vraiment un roman mais plutôt un très long poème où l’anglais voisine avec des phrases d’une trentaine de langues, des assemblages et déformations de mots et de syntaxe, que l’on peut percevoir malgré la traduction. Et, aux meilleurs moments, c’est assez savoureux. Mais des quelques pages de feuilleton aux 900 du pavé intégral, il y a une marge, et peu d’entre nous nous peuvent se vanter de l’avoir lu en entier.
Reste à savoir comment on peut l’adapter pour en faire un spectacle; même si Joyce recommandait d’aborder le texte par le biais non plus de la lecture solitaire mais de la parole, pour être à même de saisir toutes les fulgurances poétiques d’un langage aussi particulier, mais l’entreprise n’est pas des plus faciles… Antoine Caubet s’est passionné pour ce texte et s’est attaqué avec courage au monument que représente déjà ce premier chapitre. Et cela donne quoi?
Sur le sol du grand plateau de l’Aquarium, un hexagone de copeaux de liège et une marionnette d’ 1 m 50 environ qui sera mise en mouvement grâce à des fils depuis les cintres. En fond de scène, un écran de 70 m 2 destiné à la projection en noir et blanc d’une rivière dans la campagne. Avec un éclairage minimum souvent rasant qui dispense une belle lumière chaude sur les copeaux de liège. Le moins que l’on puisse dire , c’est que cette scénographie , comme dans Les Bonnes, ( voir article précédent) parasite le texte, et même si on apprécie la beauté de cette rivière qui coule qui rappelle étrangement de nombreuses œuvres d’art minimal, on ne voit pas très bien l’adéquation avec le texte. D’autant plus que cela a quand même un un effet soporifique certain. Il y a comme cela dans la mise en scène de Caubet un côté illustratif un peu gênant , et c’est la même chose avec les musiques…
Et Caubet ne nous a pas épargné de sacrés tunnels. Dommage, la mise en scène de ce même texte, en une heure, sans cette inutile projection, et sur un plateau absolument nu, serait beaucoup plus convaincante. Mais c’est actuellement une manie aussi fréquente que pas très fine, de penser- quelle erreur! – que la vidéo va augmenter la puissance d’un monologue!
Heureusement, Caubet a choisi a un excellent acteur que l’on connaît bien maintenant: Sharif Andoura porte cet texte difficile, et à lui seul, avec une marionnette, de façon exemplaire; les cheveux roux bouclés, habillé en pantalon et gilet en tissus écossais, il a une formidable présence et il en faut puisqu’il ne quitte pas la scène pendant une heure quarante cinq.
Tour à tour narquois, pathétique, ironique , espiègle, avec une voix chaleureuse, il a la diction indispensable à ce genre d’exercice, et une gestuelle impeccable. Il nous livre le texte de Joyce avec une force et une présence assez rare.
Alors à voir? C’est selon.. Cent fois oui, si vous avez envie de découvrir un jeune acteur tout à fait étonnant comme Sharif Andoura; mais pas pour la mise en scène très décevante d’Antoine Caubet…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Aquarium jusqu’au 19 février T: 01-43-74 99 61
Le texte intégral de Finnegans Wake est publié aux Editions Gallimard.