Déjà là
Déjà là, texte d’Arnaud Michniak, à partir d’entretiens et d’improvisations, mise en scène d’Aurélia Guillet.
C’est, si on a bien compris la fin d’une soirée avec deux jeunes couples qui, entre deux bières qu’on boit directement à la bouteille, s’avouent leur amour mais aussi et surtout leur difficulté à agir sur le monde, conscients de leur solitude malgré leur amitié . »Partir de notre situation de crise et comment s’y révèle l’essentiel dans ce qu’il a d’insaisissable. N’avoir recours qu’en nous. S’accepter à nu, tels que l’on est , déjà, démunis, traversés par ce qui nous échappe, et, en même temps, montre comment cette perte ou ce dessaisissement en soi peuvent être paradoxalement porteurs de vitalité. découvrir de nouvelles possibilités en train de se constituer, peut-être à la limite du pensable. telle est l’utopie qui habite ce travail », dit Aurélia Guillet, la metteuse en scène. Vous comprenez? Nous, pas très bien...
Sur une scène nue, coupée de châssis noirs ou gris, les quatre comédiens parlent à n’en plus finir dans un langage quotidien qui se veut trivial; les merde, bordel, putain, fusent très souvent. Il y a sur scène deux tables carrées et quatre chaises en pin, tout droits sortis d’Ikéa. De temps en temps, une des deux jeunes femmes fait quelques exercices de petite acrobatie sur une chaise et l’un des garçons fait les pieds au mur…
Il y a aussi, comme pour dire tout le bruit et la fureur du monde, des images vidéo en noir et blanc ,souvent brouillées qui passent très vite: foules, visages d’enfants en groupe, immeubles sinistres de banlieue,voyageurs trainant leur valise à roulettes, etc…
Ces images sont sans doute la seule chose intéressante de ce travail; comme la scénographie que signe aussi Aurélia Guillet: entre autres, ce châssis du fond qui glisse parfois pour laisser apparaître le bel espace d’un couloir blanc avant de se refermer très vite en silence. Un peu comme chez Bob Wilson.
Le texte d’Arnaud Michniak, par ailleurs chanteur/compositeur, sort d’entretiens recueillis qui sont ensuite passés par le sas d’improvisations; il y a souvent des phrases répétitives comme pour mieux dire une certaine plongée dans l’onirisme. Quant à cette » spirale évolutive » du langage , l’auteur qui nous livre cet accablant brouet, ne manque pas d’air quand il écrit cela. On se demande en tout cas si quelqu’un au Théâtre de la Colline a lu ce texte aussi indigent que prétentieux avant d’accueillir ce spectacle ennuyeux qui-si, si, c’est vrai-est aussi aidé par la Drac… On est quand même dans un Théâtre national !
C’est d’autant plus dommage qu’Aurélia Guillet, qui n’est pas une débutante, fait preuve d’un solide métier: elle sait diriger des comédiens et elle sait aussi inventer de belles images. On peut lui pardonner mais mieux vaudrait qu’elle efface cette chose de son c. v. et qu’elle comprenne que bien choisir un texte fait aussi partie du travail d’une metteuse en scène!
C’est bien joli d’appeler à la rescousse Jean Genet, Georges Didi-Huberman, ou Edouard Glissant, récemment disparu qui parle avec gourmandise d’une écriture qui va perdre prochainement une partie de sa puissance au profit d’une autre forme d’art plus orale, et Georges Bataille dans L’Expérience intérieure qui évoque un non-savoir communiquant l’extase.
Ils sont convoqués dans le programme pour essayer de justifier une partie perdue d’avance : la metteuse en scène essaye en vain de jouer avec les mots, les corps, et les images. Cela ne fonctionne pas du tout :impossible d’entrer dans cette forme hybride texte/image/son, où il n’y a aucun langage dramatique. D’autant plus que cette forme textuelle-dans le genre avant-garde de pacotille- n’a pas véritable structure qui réussirait à nous emmener au-delà des mots. Cela en devient pathétique!
Les quatre comédiens s’en sortent comme ils peuvent… Avec un beau moment quand, en silence, un jeune homme et une jeune femme s’embrassent par dessus la table mais « l’énergie qui se dégage de nos rencontres », comme dit Michniak??? Et cette grande heure n’en finit pas de finir.
Alors, à voir? A votre avis?
Philippe du Vignal
Théâtre de la Colline jusqu’au 18 février.