La Trilogie de la villégiature
La Trilogie de la villégiature de Carlo Goldoni, texte français de Myriam Tanant, mise en scène d’Alain Françon.
Bien sûr, La Trilogie de la Villégiature ne serait sans doute pas si connue en France s’il n’y avait pas eu la mise en scène culte de Strehler et cette Trilogie de la Villégiature est constamment jouée dans son intégralité ou adaptée, comme l’avait fait récemment avec un certain bonheur (voir Le Théâtre du Blog: http://theatredublog.unblog.fr/2010/12/05/villegiature/) un jeune metteur en scène comme Thomas Quillardet.
Goldoni épingle les travers de la bourgeoisie vénitienne qui essaye maladroitement de copier la façon de vivre des aristocrates, sans en avoir les moyens financiers. Comme le dit Alain Françon, il sont dans le « paraître » et ne maîtrisent pas la situation. L’intrigue, pour être admirablement construite, est un peu compliquée, donc pas la peine de vous la raconter en détail.
Dans La Manie de la villégiature, deux familles voudraient bien partir quelques semaines pour leur maison de campagne mais rien n’est vraiment dans l’axe et tout se complique: il n’y a pas assez de place dans les voitures, le tailleur ne veut pas livrer les robes et les vêtements à cause de factures impayées, et c’est la même chose pour l’alimentation. L’argent devient alors comme chez Marivaux ou Tchekhov un élément déterminant dans les relations et les sentiments humains. Et quand les jeunes femmes font des crises de jalousie, et que le domestiques veulent avoir aussi leur mot à dire, rien ne va plus…
Dans la seconde partie, Les Aventures de la villégiature, comme souvent dans les maisons de campagne quand il y a une quinzaine de personnes, les aventures amoureuses vont bon train mais il y a toujours des accros dans le déroulement des journées, même si on ne fait trop rien… C’est écrit dans une langue formidable où Goldoni nous raconte le quotidien de cette société bourgeoise un peu décadente avec une précision et une gourmandise étonnantes: les personnages, comme les rapports toujours difficiles entre maîtres et serviteurs, sont saisis avec une justesse, une intelligence et une précision exceptionnelles. On chercherait en vain une réplique inutile: tout est pesé avec raffinement.
Goldoni a vraiment le sens du dialogue et de l’intrigue; il sait observer la vie au quotidien comme peu d’auteurs, par exemple dans cette scène où les domestiques, à l’abri des querelles familiales et des histoires d’argent, prennent, eux, du bon temps en bavardant et en buvant un verre de vin; « Jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte car la richesse est vaine chez les morts « , disait déjà le grand Eschyle!
Le Retour de la villégiature a quelque chose d’assez grinçant , puisque Goldoni nous fait sentir au quotidien tout le pouvoir de l’argent que cette bourgeoisie vénitienne n’a plus; en bref, les vacances sont bien finies et c’est le retour à Venise avec, les factures impayées, les fournisseurs pas contents, et les ennuis d’argent et de famille.. Bref, pas du tout, du tout de notre époque! Quelle intelligence, quelle violence dans les mots: tout est dit avec précision non dénuée d’une certaine mélancolie comme si Goldoni savait qu’une époque se finissait.
Sans doute Alain Françon n’a-t-il jamais signé une mise en scène aussi claire et aussi intelligente et il a su mettre toutes les chances de son côté: d’abord on sent qu’il a beaucoup travaillé à une dramaturgie la plus authentique possible , à partir du texte traduit par Myriam Tanant. Il rappelle que que Goldoni demandait que l’on joue la première pièce allegro, la seconde andante et la dernière adagio, et c’est ce qu’il a fait, en donnant un rythme exact à chaque scène avec beaucoup de virtuosité.
Le début a sans aucun doute bien du mal à démarrer et Eric Ruff ne parait pas du tout à l’aise… Mais ensuite, quel feu d’artifice! Les comédiens sont dirigés par Alain Françon avec une maîtrise exemplaire. Et il a choisi des comédiens incomparables, qui éprouvent un vrai plaisir à jouer ensemble: entre autres et surtout, Anne Kessler (Vittoria) avec ette voix acidulée qu’on lui connait, espiègle et rouée, sautillante: un vrai régal, et Michel Vuillermoz (Ferdinando), Bruno Rafaelli (Fulgenzio),Hervé Pierre (Filippo) et Guillaume Gallienne (Guglielmo) sont tous vraiment savoureux à entendre et à voir. Et Elsa Lepoivre, et la toute jeune pensionnaire Giorgia Scalliet remarquable en Giacinta et d’une présence tout à fait étonnante. Aucun cabotinage, aucune facilité comme se le permettent certains comédiens quand ils jouent du Goldoni mais une cohérence et une unité dans le jeu assez exceptionnelle; c’est un peu comme si on plongeait directement dans une autre époque mais, en même temps on a le plaisir de goûter à un dialogue, grâce à la bonne traduction de Myriam Tanant, d’une virulence et d’une modernité exemplaire.
Même si la dernière partie a parfois quelques petites longueurs (cela dure presque quatre heures et demi avec deux entractes), on ne voit pas le temps passer. Un bémol? Oui, un seul: les décors un peu tristounets de Jacques Gabel ne nous ont pas paru très justes et ne sont pas à la hauteur de cette mise en scène de référence… Mais bon, il faudra faire avec. En revanche, vous pourrez déguster ce Goldoni dans une salle provisoire de 700 places aussi belle que chaleureuse, où l’acoustique est excellente et où l’on voit bien, qui a été récemment installée dans les jardins du Palais-Royal pour cause de travaux à la salle Richelieu.
Philippe du Vignal
Salle provisoire de la Comédie-Française