Britannicus de Jean raine, mise en scène de Françoise Delrue.
LeThéâtre de la Bardane joue à Lille et dans le Nord-Pas-de-Calais;Françoise Delrue est, elle, une familière d’auteurs contemporains germanophones comme Tankred Dorst, Daniel Call, Rainald Goetz, Ulrich Hub, Brecht…
Mais elle vient de créer aussi Britannicus.
L’empereur Néron qui, grâce à sa mère Agrippine, a succédé à Claudius, en ravissant la place de Britannicus,l’héritier légitime et il vient d’enlever Junie, l’amante de celui-ci.
Agrippine, désavouée par le désir affiché de ce fils incontrôlable, va intriguer cette fois pour le contrecarrer. Néron voudrait épouser Junie malgré elle et, en position de voyeur, le tyran orchestre une rencontre entre la jeune fille et son amant Britannicus afin de le duper Mais l’amour est le plus fort, et Néron s’emploie à éliminer son rival. Agrippine a bien tenté de détourner son fils de sa vengeance , comme l’a fait aussi Brutus, son bon conseiller. À l’opposé, Narcisse, le félon serviteur de deux maîtres, œuvre pour que le sang soit versé.
Sur un plateau incliné, des tapis persans, un escalier de bois et au, centre, un fauteuil club élimé, siège de tous les pouvoirs fantasmés que les personnages occuperont successivement, de manière brutale ou lascive.
Au loin, des images vidéo : un groupe de soldats en costumes dix-septième siècle ; plus près, une souris de laboratoire en train de dévorer un manuscrit de Britannicus.Petit animal qui rappelle l’être humain, en situation de cobaye. Comment se fabrique un monstre sous l’attraction des feux du pouvoir ? Oubli de soi, des siens, de ses origines pour arriver à prendre un pouvoir individuel et abusif sur tous les autres hommes.
Quelques bribes de musique techno suivies d’un instant de silence pour signifier le passage d’un acte à l’autre. Les acteurs surgissent sur le plateau, depuis la travée arrière, à la fois observateurs et acteurs : ils montent en chœur sur la scène glorieuse, îlot intime et public, foulant le sol d’un pas sonore et militaire. Le poids des corps et leur présence charnelle soutiennent la diction des alexandrins, en même temps qu’ils scandent les déplacements.
La parole n’est rien sans le soutien physique de l’être qui s’exprime. La direction d’acteurs met en relief cette implication corporelle à l’intérieur des stratégies politiques, comme dans la pratique de l’alexandrin. Agrippine (Muriel Colvez), a une présence scénique somptueuse, et forme un duo avec Albine, sa jeune confidente (Séverine Ragaigne ) à la gestuelle féline, dans une sorte de chorégraphie. Junie (Marie Lecomte) joue à merveille la détermination ; elle préfère le retrait du monde, le refuge chez les Vestales, plutôt que d’avoir à supporter celui qu’elle hait. Britannicus (Renaud Triffault) joue les jeunes gens d’aujourd’hui, « spontanés » et « naturels » et se laisse porter par les événements.
Quant à Néron (Baptiste Sornin), il est d’emblée le méchant, sans ambiguïté. Damien Olivier est un Burrhus nuancé. Narcisse, subtilement joué par Joseph Drouet , il diffuse la brutalité virile et l’équivoque d’un noir personnage. Virtuosité des corps et des vers pour mettre à nu la tyrannie d’hier et d’aujourd’hui…
Véronique Hotte
Spectacle vu à l’Hippodrome de Douai; le 17 février 2012 au Vivat d’Armentières. Et du 21 au 23 février 2012 au Théâtre d’Arras.