À l’ombre de Pauline Sales
À l’ombre de Pauline Sales, mise en scène de Philippe Delaigue.
C’est une expérience étrange pour le public qui est invité à se plonger dans le passé récent de notre histoire culturelle et politique. Au-delà de l’activité littéraire et de la pratique effective de l’écriture d’une œuvre à bâtir, celle du dramaturge Brecht, il s‘agit de l’existence d’un artiste du monde nouveau, fasciné par les rêves bruts de Révolution économique et sociale en URSS, au début du vingtième siècle.
Révélée par la mise en scène de Philippe Delaigue, la pièce est pleine d’esprit, acidulée, écrite en vers ludiques, mi-douce et mi-amère, et axée sur trois des collaborateurs de Brecht : Marianne, Hans et Walter, personnages inspirés de Ruth Berlau, Margarete Steffin, Hans Eisler et Walter Benjamin.
Au début, nous sommes en 1970 en RDA ; Marianne, Walter et Hans sont interrogés par la STASI – façon La Vie des autres de Henckel von Donnersmarck -et rendent compte de leur compagnonnage avec Brecht, tous subjugués par le maître.
Retour en 1932 à Berlin : Marianne est une des amantes de l’homme de théâtre et Hans et Walter, de grands admirateurs. D’abord, acteurs d’une entreprise morale et collective, ils vont jouer en fait le rôle de nègres , écrivailleurs et faussaires en écriture, rêvant de liberté politique mais entièrement asservis au tyran, cherchant chacun respectivement un logement pour deux, pour soi et pour Brecht.
À l’ombre se passe la nuit, dans les ateliers clandestins d’ artistes et intellectuels loin des regards policiers et des délateurs nazis. Les comédiens sont justes, sauf Sabrina Perret qui joue une Marianne âgée et qui ne devrait pas user d’une voix chevrotante pour signifier la vieillesse. Redevenue jeune, la même comédienne incarne la victime passionnée d’un amant équivoque, ce Brecht que nous ne verrons pas.
Vincent Garanger est une réplique exacte de Walter Benjamin : petites lunettes, imper et chapeau mou, mélancolique et amoureux transi, sensible à l’architecture de la ville, à ses passages et ses ruelles ; à l’écoute de l’histoire des vies privées et publiques. Quant à Sylvain Stawski, il apporte au spectacle la note pétillante du cabaret. L’ensemble est chorégraphié avec grâce, et malgré un thème douloureux: les terreurs de l’époque, on passe une bonne soirée.
La mise en scène de Philippe Delaigue apporte une leçon d’humanisme et de foi en la poésie, en même temps que la croyance en une société plus juste , qui compense l’angoisse et la malédiction. Une belle réflexion et un vrai plaisir du jeu…
Véronique Hotte
Cratère d’Alès, les 31 janvier, les 1er et 3 février 2012 à 20h30 et le 2 février à 19h30. À Lons-le Saunier, Scènes du Jura, le 7 février à 20h30. Au Préau CDR de Basse Normandie le 9 février à 20h30.