Sortir du corps, textes extraits de Lettre aux acteurs, Pour Louis de Funès et L’Opérette imaginaire de Valère Novarina, mise en scène de Cédric Orain.
La Compagnie de l’Oiseau-Mouche située à La Grange, situé à Roubaix qui a deux salles et un restaurant; dirigée par Stéphane Frimat, elle a maintenant trente deux ans et elle a pour but de faire travailler sur une scène des adultes jeunes et moins jeunes qui sont en situation d’handicap mental.
La compagnie a monté plus de trente spectacles dont le dernier a été confié à Cédric Orain qui s’est attelé à un travail des plus exigeants, c’est à dire monter du Novarina. .. Soit deux ans d’intense préparation et de répétitions, et l’on s’en doute , les règles du jeu sont beaucoup plus contraignantes, surtout avec des textes comme ceux de Novarina, aussi magnifiques que difficiles à appréhender et à mémoriser . » J’ai donc pris le temps, dit Cédric Orain, de les écouter , au tout début, avant de travailler comme des fous, des acharnés de je ne sais quoi, on a commencé par ne pas travailler, par bavarder, par perdre du temps, par ne rien faire, et dans ce temps où ils se dévoilaient pudiquement, je les dévorais furieusement. C’est pendant ce temps de l’humain, et ce temps est pour moi fondateur de tout théâtre,que j’ai éprouvé pour de bon la seule véritable raison d’être de ce spectacle: faire sortir la langue de Valère Novarina des cinq corps là devant moi ».
Cédric Orain a sans doute raison de parler d’abord de corps, puisqu’ici il y a une indispensable discipline corporelle, et un véritable engagement physique dans cette mise en scène: le geste, la marche, les positions, voire à la fin la quasi nudité sont des fondamentaux, même si, bien entendu, il faut aussi pour dire ces textes une mémoire de tout premier ordre: avec Novarina mais encore plus qu’avec un autre auteur, on n’a pas droit à l’erreur. C’est dire la rigueur et l’énergie qu’il a fallu à Cédric Orain et à ses cinq comédiens pour qu’enfin à l’automne dernier, ce spectacle puisse enfin exister sur le plateau de la Grange et ensuite partir en tournée. Cela tient non du miracle- cela n’existe pas au théâtre mais d’un travail exemplaire dont nombre de compagnies feraient bien de s’inspirer.
Peu d’élément scéniques sur le plateau; en fond de scène, un rideau brechtien de lamelles plastiques comme on en voit dans les entrepôts, un portant avec des costumes, quelques chaises dépareillées, et une guirlande lumineuse qui détermine une aire de jeu rectangulaire au sol. Ce qui frappe chez ces comédiens, c’est d’abord une extrême concentration, ils sont là et pas ailleurs, et une implication mentale corporelle évidente: aucune approximation, aucune hésitation : chaque geste est juste et correspond au texte: c’est dire le travail fourni par le comédien et par le directeur d’acteurs!
« Si le théâtre est bien le laboratoire des gestes et des paroles de la société , il est à la fois le conservateur des formes anciennes de l’expression et l’adversaire des traditions « , disait avec raison Antoine Vitez. C’est bien ici de cela qu’il s’agit, une osmose parfaitement maîtrisée par Cédric Orain entre gestes dit normaux, et d’autres inédits, beaucoup plus forts, par exemple, quand Clément Delliaux se jette retenu par une sangle vers le rectangle dessiné par les guirlandes lumineuses, comme vers un univers inaccessible…
Il y a aussi, dans une sorte de délire parfaitement maîtrisé, les monologues de François Daujon surtout au début et à la fin du spectacle; maigre et petit, sans doute très peu causant dans la vie, l’acteur déborde pourtant d’une énergie bouleversante à tel point que l’on entend tout d’un coup les phrases de Novarina dites d’une autre façon, avec une impeccable diction et ses camarades : Lothar Bonin, Florence Decourcelle et Valérie Szmielski ont une présence indéniable sur le plateau. Novarina qui avait déjà vu le spectacle à Roubaix ,a beaucoup admiré, nous a-t-il dit, la qualité de leur travail, à la fois très au point et profondément vrai.
Il y a parfois certains petits problèmes de diction: la langue de Novarina n’est pas toujours des plus commodes! Mais le travail de mise en scène de Cédric Orain est remarquable d’intelligence et de sensibilité. Et le salut, qui est la dernière image que l’on garde d’un spectacle, est souvent mal géré et ridicule mais se révèle ici d’une rigueur exemplaire. Et sur un plateau, il n’y a pas de détails! Cédric Orain et ses comédiens nous offrent ici une grande leçon de théâtre et de vie, à mille kilomètres des grandes pitreries, pathétiques de suffisance, que nous avons récemment pu voir dans certains grands théâtres…
Philippe du Vignal
Maison des métallos jusqu’au 12 février T: 01-48-05-88-27