Cassé

Cassé de Rémi de Vos, mise en scène Christophe Rauck 

      Cassé 943449-1120192-300x198 « Le travail, c’est la santé ! » Vraiment ? « Ne rien faire, c’est la conserver ! » En est-on si sûr ? Si le refrain a fait les beaux jours d’Henri Salvador au milieu des années 60, en 2012, ses paroles ne lassent pas d’interroger. C’est en tout cas la question que soulève la dernière création de Christophe Rauck. Une pièce écrite spécialement à l’attention du metteur en scène et de ses acteurs fétiches par Rémi de Vos, auteur dont la verve, l’humour sarcastique et la vision cinglante de l’humanité ont, à juste titre, fait la renommée.
Cassé
est en effet une immersion dans le monde du travail d’aujourd’hui, ou plutôt un focus sur ce que ressentent vraiment les travailleurs, ce qu’ils vivent au quotidien. Un thème sérieux, donc. On suivra, pour ce faire, les destins de Christine (Virginie Colemyn), ouvrière licenciée de chez Prodex après 18 ans de bons et loyaux services à l’assemblage (l’entreprise ayant été rachetée par les Hongrois), et de son mari, Frédéric (Grégory Gadebois), informaticien à Sodecom qui adopte un comportement des plus étranges depuis les vagues de suicides en rafales.
Autour d’eux gravitent les amis et la famille : Jean-Baptiste (Philippe Hottier), syndicaliste et ancien tourneur-fraiseur devenu alcoolique ; Franck (Juliette Plumecocq-Mech), le voisin sans travail qui affiche bac+5 mais qui, n’en pouvant plus d’enchaîner emploi jeune sur stage préalable à l’embauche, préfère vivre sur la pension de sa mère ; Cathy (Emeline Bayart), l’amie de Christine, séduisante sténo-dactylo prise pour une fille facile et exploitée par tous ses patrons ; Fabrice (Dominique Parent), le médecin qui frôle la dépression nerveuse ; Georges (Michel Robin), le père de Christine qui a fait 40 ans de sidérurgie (et c’était bien « chiant »), et sa femme Danielle (Yveline Hamon), la mère de Christine, bourgeoise qui a épousé la cause prolétarienne.
Bref, entre ceux qui travaillent et dont on ne peut pas dire, même objectivement, que c’est un facteur d’épanouissement, et ceux qui ne travaillent pas ou plus, et qui souffrent de ce constat d’échec, on navigue de Charybde en Scylla, c’est la peste ou le choléra.
Faut-il désespérer pour autant ? En tout cas, Rémi de Vos a choisi de traiter le sujet comme il sait si bien le faire : en mêlant l’humour et la dérision au tragique, le loufoque à la cruauté, en accumulant surprises et quiproquos. Quant à Christophe Rauck, outre une pléiade d’acteurs fantastiques et attachants dirigés d’une main de maître (il faut ici saluer la performance exceptionnelle de Virginie Colemyn, présente sans faiblir au long des 2 heures 45 sans entracte), il nous séduit comme à son habitude par une scénographie magique (un simple décor de cuisine en trompe-l’œil qui devient une façade de HLM, le sol qui s’enfonce…) et  la  musique entraînante et énergique de David Geffard).
On rira donc beaucoup à ce spectacle, même si souvent, c’est un rire jaune pour de l’humour noir.

Barbara Petit

 TGP de Saint-Denis, jusqu’au 12 février


Archive pour janvier, 2012

Rencontre autour de Simplement Compliqué

Rencontre autour de  Simplement Compliqué de Thomas Bernhard au Théâtre des Abbesses avec Clauss Peymann,  metteur en scène et  directeur du Berliner Ensemble, Gert Voss interprète, Jutta Ferbers dramaturge, codirectrice du Berliner Ensemble et Michel Bataillon, rédacteur et régisseur des surtitres.

  Une rencontre  d’1h30 avec un public nombreux: Clauss Peymann  a d’abord remercié le directeur du théâtre de la Ville d’avoir fait renaître pour plusieurs productions la collaboration  avec le Berliner Ensemble, rappelant qu’en 1954, Mère Courage de Brecht avec Hélène Weigel avait  été jouée dans le cadre du Théâtre des Nations, au Théâtre Sarah Bernhardt, ancien nom du théâtre de la Ville.
Peymann avoue avait craint que Simplement compliqué joué en allemand par un seul acteur ne rencontre pas son public et il a donc  apprécié la curiosité  des Français  pour les spectacles étrangers et la politique d’ accueil es réalisations étrangères de notre pays  Alors que les théâtres de Berlin qui ont tous une troupe permanente et  un répertoire, ne disposent, eux,  que de peu de créneaux pour accueillir les spectacles des théâtre européens…
Clauss Peymann, comme ses amis Luc Bondy et  Peter Stein,  défend un théâtre de texte , et a souligné la richesse d’écriture des auteurs de langue allemande comme Thomas Bernhard, Elfriede Jelinek ou Botho Strauss.
Mais, dit-il, d’autres metteurs en scène du mouvement post-dramatique, comme Frank Castorf,  n’ont pas le même souci du texte; et Peymann  place, à mi-chemin entre ces deux esthétiques, Thomas Ostermeier  qui va mettre en scène au Théâtre de l’Odéon Gert Voss dans  Mesure pour mesure  de Shakespeare. Ce remarquable comédien a parlé de son long partenariat avec Clauss Peymann  et avec Thomas Bernhard qui avait  écrit pour lui Déjeuner chez Wittgenstein.
Il a souligné aussi l’importance du travail corporel,qui est, dit-il , toujours en contradiction si possible avec le texte et précise qu’encore aujourd’hui ,son jeu comprend des éléments d’improvisation corporelle.
Gert Voss et Jutta Ferbers  ont aussi parlé de la scénographie qui a été adaptée  pour les  Abbesses, et qui, par son étrangeté, (en particulier un plancher incliné) induit un jeu spécifique. Ils ont aussi précisé qu’en Allemagne, le décor est traité avec le même soins que le travail d’acteur, au point que les répétitions se font avec  des  décors provisoires: les comédiens répètent donc très vite dans la scénographie définie au préalable: avantage appréciable…
Enfin, le metteur en scène et  des spectateurs ont souligné le travail minutieux d’adaptation et de surtitrage de Michel Bataillon, qui, lui, a remercié le théâtre de la Ville de se donner les moyens de ses ambitions dans ce domaine.
Gert Voss dit dans cette pièce:  » Tous les acteurs sont fous/tous les bons acteurs sont fous/tout le théâtre est fou ». Pourtant que de travail long et minutieux pour arriver à rendre visible cette folie!

Jean Couturier

Simplement compliqué

Simplement compliqué Simplement-compliqu%C3%A9-18-Ph-Monika-Rittershaus.jpg-2-thumb-400x266-39050-300x200Simplement compliqué de Thomas Bernhard, mise en scène de Claus Peymann.

   Comme le dit  Michel Bataillon, dramaturge et  auteur du remarquable sur-titrage de la pièce, Thomas Bernhard et Claus Peymann étaient de fidèles amis depuis quelque dix-neuf ans et la dernière pièce des dix-neuf pièces de lui  qu’il mit en scène fut Heindenplatz (Place des héros) en novembre 88 que nous avions pu voir au Burgtheater. La pièce écrite à l’occasion  du cinquantenaire de l’annexion de l’Autriche par Hitler, fit l’effet d’une bombe et provoqua une crise politique. Thomas Bernhard y fustigeait l’hypocrisie de son pays avec une réplique devenue  emblématique de la pièce: « Il y a aujourd’hui plus de nazis à Vienne qu’en 1938″.
Mais, en février 89, il  mourrait  des suites d’une maladie pulmonaire qu’il savait incurable depuis vint ans.  Et, ultime provocation post mortem, le célèbre dramaturge, toujours aussi agressif et provocateur envers son pays -et ses institutions-qu’il haïssait…  au point de ne pouvoir le quitter, réglait ses comptes une fois de plus,  en exigeant dans son testament que son œuvre ne soit plus jouée ni éditée en Autriche, »émigration volontaire posthume » selon ses mots!

 Heureusement pour ses compatriotes, son frère, par le biais d’une fondation privée indépendante de l’Etat autrichien, leva cette interdiction et Claus Peymann  mit en scène à l’Akademietheater de Vienne, et au Berliner,  ce monologue bouleversant  créé en 86 par Minetti et joué maintenant  par  ce grand acteur qu’est Gert Voss.
  La mise en scène de Claus Peymann, c’est d’abord le remarquable décor et les costumes  de son scénographe Karl-Ernst Herrmann. Imaginez un grand voile noir, avec, juste en haut, la signature de l’auteur et  ses dates de naissance et de mort, qui cache , avant le début, la chambre un peu sordide d’un vieil  homme, un acteur retraité comme on le comprendra vite.
  Il y a juste le nécessaire dans cette pièce dont les grandes dimensions renforcent encore l’impression  de  solitude du vieux monsieur: un lit étroit  dans un angle, un pot de chambre en fer émaillé blanc, une table en bois juste éclairée par un monte-et-baisse à l’abat-jour pauvret, une malle noire en bois, un miroir au mur,un petit réfrigérateur, trois chaises et cinq paires de chaussures noires soigneusement alignées sous la fenêtre, à côté de vieux journaux éparpillés.
La triste peinture des murs et du plafond (oui, c’est rare dans le théâtre  contemporain  et sauf dans le dernier spectacle de Pascal Rambert) date de bien longtemps, et tombe en loques. Par la  fenêtre à droite, le soleil procure une belle lumière à  cette pauvre chambre.

  Il y a aussi par terre, au milieu de la pièce,  un magnétophone qui tourne  lentement et un seau. Et  une petite porte d’entrée et une autre qui donne sur une salle d’eau. Cela sent l’abandon, la solitude d’une fin de vie;  le vieil homme, à genoux  au début, essaye maladroitement de reclouer une plinthe avant de s’affaler contre le mur.
Il  évoque ses études à Göttingen, à la Sorbonne et à Cambridge, et s’en prend  souvent  à Schopenhauer; il constate aussi, désabusé,  son manque de volonté, même quand il a froid au lit pour remonter la couverture!  Il accroche la photo  du philosophe sans savoir pourquoi. Et constate avec amertume qu’à 80 ans , il n’aura  jamais la force de repeindre ces murs crasseux; il  parle aussi de son épouse décédée qui, à soixante-sept ans, l’accusait de mensonge.Le matériel, le spirituel: tout s’en va à vau-l’au chez lui.
  Il note souvent aussi qu’il doit acheter du poison à souris, ce qui semble l’obséder, et a cette phrase aussi  magnifique que dérisoire:  » Quand nous commençons à donner  des noms aux souris il n’y a pas de doute, nous sommes cinglés ». Le vieil homme, désabusé,  parcourt les petites annonces d’un quotidien, comme pour constater qu’il ne peut plus prétendre à aucun emploi…
Dans la deuxième scène,  il se souvient avec bonheur du temps où il jouait Richard III et,  petit rituel personnel, chaque deuxième mardi du mois, il se coiffe  de la pauvre couronne de métal doré,  comme pour exorciser le passé, dans un geste aussi sublime que dérisoire. Par le biais de cet acteur de 82 ans, Thomas Bernhard  se livre aussi , en quelques phrases, à une  courte mais brillante leçon sur l’art de l’acteur.
  Mais on frappe à la porte: c’est une  Catherine de dix ans qui vient lui porter son lait ,  lait qu’il verse  dans un pichet  sitôt mis au frigo… Avant d’avouer à la petite fille qu’il a horreur du lait, et  de le jeter dans les toilettes.Mais en lui faisant jurer de ne rien dire; n comprend que c’est la seule visite que le vieux misanthrope reçoit…
Et, comme un bon grand-père,il  pose la couronne de Richard III sur la tête de l’enfant à genoux qui ne dit pas un mot mais qui a une présence étonnante.  En quelques phrases et quelques  gestes, tout  aura été  dit de cette solitude pathétique…

 La  troisième scène a lieu au soleil couchant; il est assis près de la fenêtre puis s’en va manger un morceau de saucisse et un bout de fromage,; comme dit le proverbe italien: »Qui mange seul, meurt seul », puis il appuie sur une touche du magnétophone pour s’écouter une  dernière fois peut-être…
  C’est Gert Voss qui assume pendant une heure quarante cinq; à quelque soixante dix ans, il fait ici un travail exemplaire; bougon, presque impudique, gentil,accablé,  nostalgique, presque joyeux et optimiste, ou du moins plein d’humour par instants, cynique, clownesque, un peu aigri,  désabusé: Gert Voss, utilise toutes les nuances de sentiments, avec une gestuelle, un sens fabuleux de l’attitude corporelle, et un  phrasé impeccable,
Et grâce à la direction d’acteurs de premier ordre de Claus Peymann qui est un peu l’alter ego théâtral de Thomas Bernhard et qui sait comment s’y prendre  pour faire dire à ses comédiens cette langue si particulière.

 Il est vraiment rare de voir une mise en scène aussi discrète qu’efficace, jusque dans les moindres détails. Nous n’avions pas pu  voir,  en 2009 celle de Georges Wilson avec lui-même comme interprète. Sans doute, le Berliner a-t-il des moyens humains et techniques importants mais il sait s’en servir avec efficacité: quelle intelligence incomparable du texte et du plateau, quel respect du  théâtre et du public! 
   C’est vraiment  une exceptionnelle leçon d’interprétation et de mise en scène. Et on ne peut que remercier Emmanuel Demarcy-Motta d’avoir accueilli Peymann et son formidable acteur qui ont fait l’objet d’une dizaine de rappels par un public subjugué par autant de savoir-faire  et  de  sensibilité. On peut toujours dire que c’est du théâtre « traditionnel »; mais du traditionnel comme cela, on en redemande; surtout après  la soi-disant modernité d’un Castorf  ou d’un  Lupa; ici, pas de retransmission vidéo! Et cela fait du bien!
 D’autant que-et ce n’est pas si fréquent- le sur-titrage de Bataillon  permet de ne pas être gêné  et de savourer la langue fabuleuse  de Bernhard, ce qui est appréciable. Et ces 105 minutes passent  vite. Mais, attention: cela sera peut-être pour vous simplement compliqué vous n’avez en effet  que quatre jours pour voir ce Simplement compliqué! Et c’est à Paris ou pas…

Philippe du Vignal

Théâtre des Abbesses jusqu’au 21 janvier.

Le texte est édité chez l’Arche.

Ennemi public

Ennemi public, d’après Un Ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, texte français de Frédéric Révérend, mise en scène de Thierry Roisin.Ennemi public ennemi_public_184

Ce jour-là – car il faut bien qu’une pièce de théâtre commence « ce jour-là » – c’est , pour Tomas Stockmann, heureux au sein d’une famille heureuse et soutenu par ses amis, un jour décisif : il va tout simplement sauver la petite bourgade où, après de dures années comme médecin de campagne, il est revenu fonder avec son frère aîné, le maire du village, une station thermale.
Belles perspectives, mais le docteur Stockmann est un chercheur obstiné, et parfois les chercheurs obstinés trouvent. Et ce qu’il a trouvé est terrible : l’eau, la merveilleuse eau guérisseuse, est polluée. Accessoirement : par la tannerie de son riche beau-père… Et la solution qu’il trouve est grandiose : pour sauver les malades, sauver l’avenir, refaire intégralement les canalisation: la vérité avant tout…
Les révolutionnaires locaux sautent sur l’occasion pour chercher des crosses au maire, les « modérés » locaux sont momentanément soulagés que le danger soit connu, donc écarté, et la « majorité compacte » suit le scientifique triomphant.
Jusqu’à ce que le maire ramène tout ce petit monde à la « raison », ratio, le calcul : la ville n’a pas les moyens de refaire des dites canalisations, d’autres villes s’empareront de la manne thermale, et à qui les petits propriétaires loueront-ils leurs chambres meublées, si la panique s’empare des curistes ? Et puis, on exagère, ce n’est sûrement pas si grave.

Si, justement, c’est grave. Et les pressions de toutes sortes, revirements et trahisons n’y feront rien : Tomas Stockmann a dit la vérité et il ne cèdera pas. Le sauveur est devenu l’ « ennemi public », l’homme à intimider – par le biais de sa famille -, à abattre…Ibsen donne ici un modèle d’une précision diabolique aux futurs scénaristes hollywoodiens (voir le récent Les marches du pouvoir). Son analyse des liaisons dangereuses entre les pouvoirs locaux et les intérêts économiques est édifiante. Mais il va plus loin : l’homme pur, le héros de la vérité « dévisse » lui aussi, ivre de gloire et d’humiliation, il se prend à haïr le vulgum pecus et se voit en Saint-Just, en surhomme providentiel.
Mais les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre : le donneur d’alerte a raison, et il a tort d’avoir raison trop tôt. Double faute : l’hybris, l’excès d’orgueil que les dieux exècrent, et le fait d’avoir oublié le fameux ratio, de n’avoir pas penser à calculer. Ne nous moquons pas de lui, pourtant, écoutons-le : rappelons-nous l’amiante, le sang contaminé, le réchauffement de la planète et les prothèses mammaires…

La traduction est aussi directe que possible : pas de gras, pas de « dix-neuvièmismes », on est bien aujourd’hui. La représentation a la même force rapide, haletante, directe dans l’adresse au public, pris à témoin, « pris en otage », avec son consentement enthousiaste. Tiens, pourquoi les acteurs ont-ils servi de petits verres d’eau à quelques spectateurs ? On en frémit rétrospectivement. La représentation est encore musclée par d’excellentes interventions de percussions, confiées aux comédiens sous la direction de François Marillier.
Dans notre rubrique « ce serait encore mieux si… »: ce serait encore mieux avec quelques moments graves, davantage intériorisés. Nous serions alors plus que « pris en otage » : pieds et poings liés devant cette comédie tragique. Mais, telle quelle, elle nous embarque  déjà bien…

Christine Friedel

Nouveau Théâtre de Montreuil  jusqu’au 29 janvier T: 01 48 70 48 90

NOËL AU THÉÂTRE

30 ème édition du  Festival Jeune Public Noël au Théâtre à Bruxelles

NOËL AU THÉÂTRE MG_4350-300x199Dirigé tambour battant par le Chambre des Théâtres pour l’Enfance et la Jeunesse (CTEJ), ce festival est devenu au fil de ces trente ans, un rendez vous  où  on peut découvrir en une semaine plus de dix spectacles qui s ‘adressent à tous les publics.

Conversation avec un jeune homme

  Proposé  par la formidable Agnès Limbos (Compagnie Gare Centrale) , ce duo ludique et rêveur avec objets et marionnettes fantasques. entre une dame mi-châtelaine, mi-excentrique entre deux âges et un très jeune homme mi -elfe, mi- danseur… Cette Conversation avec un jeune homme  est  un instant de grâce,de connivence sensible entre ces deux personnages que nous quittons à regret, charmés et ,en même temps, émus d’avoir entrevu, comme par inadvertance,  un joli secret.


Piccoli Sentimenti  du Teatro delle Bricole  en collaboration avec le Teatro delle Bricole.

Trois univers s’imbriquent l’un dans l’autre tout naturellement:d’abord, celui d’une petite arène de sable, bois, cailloux et  coquillages,  conçue par Antonio Catalano ; ensuite l’univers sonore imaginé par Max Vandervost qui, dès le début, s’approprie le décor avec un étonnant xylophone fabriqué  avec  de vieux fers à repasser. Et enfin celui de la mise en scène d’Alain Moreau, avec  une marionnette toute simple, très mobile et manipulée à vue, qui s’attribue avec évidence les espaces, les sons, les matières…au fur et à mesure de ses découvertes. Une réalisation sensible et exigeante .

Carmen  d’après Prosper Mérimée et l’opéra de Georges Bizet.

Après un spectacle réussi d’après Madame Bovary, la compagnie Karyatides  a créé cette année  cette Carmen. Avec, comme pour leur précédent spectacle, de  très petites poupées articulées et habillées avec raffinement, manipulées à vue qui  jouent Carmen et son amant infortuné. L’amour, la passion, l’infortune et la mort: soit un petit opéra d’une heure, avec Karine Birgé, comédienne-manipulatrice et Guillaume Istace, incroyable bruiteur-comédien.  Cela fait du bien de voir un spectacle  aussi émouvant, bien joué et  beau à regarder…

Mireille Sibernagl



 Conversation avec un jeune homme: Théâtre du Fil de L’Eau à Pantin (A partir de 10 ans )  du 17 au 22 janvier T: 01 43 56 34 82
Piccoli Sentimenti:  A partir de 2 ans et demi / 50 minutes . My-Linh Bui:   33 6 88 18 72 32
Carmen
:A partir de 10 ans / durée 1h. contact : Marie Kateline Rutten: 32 67 55 65 98

 Consulter le site www.ctej.be



Salle d’attente

 Salle d’attente inspiré de Catégorie 3.1 de Lars Norén mise en scène de Krystian Lupa.

    Salle d’attente attente_01-300x192Catégorie 3.1 est la traduction française de Personkrets 3.1, nom de code utilisé par la police de Stockholm pour désigner tous les marginaux de la société. Krystian Lupa, metteur en scène polonais, présente une libre adaptation de ce texte avec de jeunes comédiens suisses et français, qui incarnent dans un squatt, des personnages d’alcooliques, prostitués, toxicomanes et psychotiques.
Le lieu de l’action fait référence aux Bas-fonds de Gorki, et Krystian Lupa dit: “ce qui nous fascinait, c’était le phénomène de l’asile, c’est-à-dire l’endroit où sont rejetés des gens qui ont certaines faiblesses qui les handicapent, qui les empêchent de se battre dans la vie, à cause de cela, ils ne sont pas acceptés”. Ce spectacle a nécessité pour les acteurs un long travail de recherche personnelle,  surtout fondé sur des improvisations. On voit se dérouler des tranches de vie qui se croisent. Avec des longueurs, en particulier des scènes répétitives de toxicomanie… Et, comme dans Factory II, une vidéo est projetée sur deux grands écrans qui reprend une scène en train de se jouer ou enregistrée.
On a pu souligner l’expérience unique que ces jeunes comédiens ont vécu avec Krystian Lupa, un peu comme si le maître avait endoctriné ses élèves. Mais c’est le contraire qui s’ est sans doute produit, et le metteur en scène polonais semble avoir été fasciné par leur énergie et leur inventivité. Ce soir là, – regard du maître sur ses acteurs- Lupa les observe, assis dans une galerie de la salle avec son assistante.
Mais la mise en scène n’est pas figée, et il la corrige.de jour en jour. En communion avec eux: il est dans la salle,  sursaute, s’étonne, rit parfois, et accompagne l’action. Nous sentons qu’il a envie d’être sur le plateau. Il est en cela le successeur de son maître Tadeusz Kantor qui ne jouait pas mais qui était, lui, toujours sur scène près de ses acteurs. Le regard de Lupa a la tendresse de l’enfant qu’il revendique d’être encore:” J’ai toujours été plus jeune que je ne l’étais en réalité, dit-il. J’ai mûri très lentement, et l’enfant que je fus, je le porte en moi jusqu’aujourd’hui, avec ses bons et ses mauvais côtés”.
Quand, à la fin,  chacun des dix comédiens rejoint le bord du plateau, s’assied et croise le regard du public, Kristian Lupa,  est alors en fusion avec sa troupe. Ce travail a l’aspect d’une expérience pédagogique avec de jeunes comédiens sans doute trop « bien élevés. » Lorsqu’il reprend le métro, le spectateur, ne fait peut être assez attention à ce qui se déroule autour de lui. Et pourtant, ce sont presque ces mêmes personnages qu’il a vu  sur une scène pendant trois heures et qu’il retrouve sur le qui du métro avec moins d’humanité visible sans doute mais avec une réelle violence, celle de la vie urbaine d’aujourd’hui.

Jean Couturier

Théâtre National la Colline jusqu’au 4 février, et en tournée à : Grenoble, Chateauroux et Perpignan en février.

  Jean Couturier parle d”expérience pédagogique”: les mot sont lâchés mais il raison! La critique est partagée quant à l’intérêt de la chose, et l’une de nos consœurs résume un peu cyniquement les choses: Le Lupa = La cata. En effet, si l’on regarde lucidement les choses- et, armé de patience, nous avons bu la coupe jusqu’à la fin! La deuxième partie n’est guère meilleure que la première, et il s’est écoulé trois heures!
Pas grand chose d’intéressant en effet ; sans doute, la scénographie, bien réalisée, reproduit à l’identique une ancienne usine avec ses poutrelles métalliques, et son sol  de ciment et, à un moment, des toilettes immondes où un garçon et une fille vont se piquouser mais où la crasse, quitte à faire dans le hyperréalisme, aurait pu être moins grossièrement reproduite- . A part cela, le texte de Noren n’est sûrement pas l’un de ses meilleurs et qu’essaye-t-il de nous dire?  Rien que l’on ne sache déjà sur les marginaux d’une ville occidentale, et comme le spectacle dure quatre heures, c’est d’un ennui accablant, parfois souligné par le ronflement aussi fort que comique d’un spectateur qui s’est endormi à un spectacle qui ronronne sans beaucoup de rythme.
On va encore nous dire: vous n’avez rien compris, comme ceux qui ont déserté, aux géniales intuitions de M. Lupa; que l’on a connu quand même plus inspiré… En fait, tout se passe comme si le travail avait été surtout réalisé par un ou plusieurs assistants sur les  impros des jeunes comédiens, et sur les indications du maître qui serait venu ensuite pratiquer les finitions… Cela manque singulièrement d’âme et de chair!
Comparaison n’est pas raison mais, on aimerait, en tout cas, voir une vidéo de ce qu’il avait fait, avec le même texte en Pologne, et avec des acteurs polonais chevronnés.
Question de culture? De sensibilité? De formation d’acteurs? Son cher Kantor n’avait pas, lui non plus, bien réussi son coup quand il avait autrefois employé des acteurs français pour Les Cordonniers de Witkiewicz!
Du côté de l’interprétation, rien à dire: c’est un peu inodore et  ces jeunes gens  font  un travail d’ouvriers spécialisés débutants et obéissants; à part David Houri dans une scène enregistrée , Mélodie Richard qui par moments a une belle présence, et Matthieu Semper dans la seconde partie , aucun n’est vraiment crédible dans ces semblants de personnages mais  c’est vrai qu’il leur est difficile de s’imposer avec un texte aussi  pauvre,  et une mise en scène aussi appliquée, dont  les  moments se succèdent sans véritable fil conducteur  ni autre dénominateur commun que ce lieu sordide.
Bref, l’ensemble nous a paru vraiment  long et supérieurement ennuyeux, passée, disons, la première demi-heure et on a la nette impression- toujours désagréable- que Lupa nous débite son travail au mètre. Comment, dans ces conditions, être un instant ému et compatissant, il y faudrait  beaucoup de  naïveté!
L’ennui s’installe très vite et fait fuir le public au cours du spectacle et surtout à l’entracte.   Au fait, pourquoi et surtout à partir de quel moment, s’ennuie-t-on au théâtre? Sans doute quand on sent qu’il n’y a plus d’espoir, que les choses sont définitivement plombées et qu’il vaut mieux alors aller prendre l’air… Surtout quand c’est le troisième spectacle trois heures en quelques jours, ce qui n’est heureusement pas le cas en général du public dont une partie paraissait très contente…
Cette Salle d’attente procure de plus, un peu comme chez Castorf, un certain sentiment de gêne: on montre sur une scène, et comme dans une réserve, une bande de drogués alcoolos, dont un beau jeune homme nu , et quelques belles filles tout aussi nues sur des matelas? Au moins faut-il reconnaître à Chrystian Lupa de pas tendre vers la culpabilisation du public, ce qui aurait été facile…
“Je me suis dit que je me concentrerais plutôt sur la condition des jeunes, sur leur attrait ou leur tendance à la destruction, tout ce qui en fait la conséquence du désir, du besoin de la vie mythique, déclare Kupa. On veut bien! Mais son spectacle aurait quand même été plus crédible s’il avait joué la carte, non de l’esthétisme BCBG mais d’une vérité dure  et  dérangeante. Sinon, à quoi peut bien servir le théâtre, s’il ne dit pas violemment les choses? Artaud aurait-il parlé dans le vide?
Ce que dit Jean Couturier à propos des SDF du métro est juste! En une heure dix,et pas en trois heures  sur le grand  plateau  de la salle/cocon de la Colline , le spectacle, dans un vrai squatt parisien avec des odeurs de crasse et de merde,encombré d’ordures, doté de vieilles chaises déglinguées-mais, dans ce cas, pourrait-on encore parler de spectacle?-aurait  une autre force que cette série d’ images ethnologiques qui, n’ose pas dire son nom et à laquelle on ne peut croire une seconde…
On cherche en vain des raisons (mais on n’en trouve vraiment pas) de vous envoyer voir cette chose pas très digne de Lupa qui ose encore, avec Castorf (décidément c’est très mode!), nous refiler des gadgets aussi usés que ces images de scènes filmées en direct et en gros plan pour faire plus vrai.
Tous aux abris! L’année 2012 dans les institutions est bien mal partie! Enfin, sauf au Théâtre des Abbesses, où Le Berliner Ensemble nous offre un formidable Simplement compliqué de Thomas Bernhard, mise en scène de Claus Peymann avec le grand Gert Voss et dont, bien sûr,  nous vous reparlerons…

Philippe du Vignal

La grande et fabuleuse histoire du commerce

La grande et fabuleuse Histoire du commerce, texte et mise en scène de Joël Pommerat.


    La grande et fabuleuse histoire du commerce  thumb-300x153On se souvient avec émotion des Marchands, superbe spectacle sans paroles présenté à l’opéra d’Avignon en 2006, où seule une voix off commentait le calvaire d’une ouvrière privée de son travail, qui avait précipité son fils par la fenêtre pour attirer l’attention de la presse…Le petit Chaperon rouge mettait en scène une petite fille et sa mère face aux peurs contemporaines.
Joël Pommerat a
un vrai talent pour aborder les impasses des petites gens luttant pour leur survie et cette  fabuleuse Histoire du commerce met en scène cinq vendeurs au porte -à- porte dans des cités ouvrières de petites villes; l’un d’eux est en formation, et ils se retrouvent chaque soir dans leur chambre d’hôtel pour faire le point sur les ventes.
Le jeune
Franck ne vend rien pendant une semaine, alors qu’il a emprunté de l’argent pour s’installer avec sa compagne, et ses camarades lui expliquent qu’il doit faire rêver les clients en réussissant à pénétrer dans l’appartement et à lier  conversation sur tout autre chose que la vente.
Chaque soir, Franck doit avouer qu’il n’a rien vendu de la journée, alors que ses collègues, eux, rompus aux  techniques de vente, on
t su arracher à de pauvres gens des contrats pour acheter à crédit leur “bon produit”, un pistolet d’alarme ! Puis la situation s’inverse, c’est Franck qui triomphe avec deux, trois, quatre, cinq contrats, et les autres reviennent bredouilles.
Il est alors promu chef  et donc chargé de former de nouveaux collègues, il les encourage puis les sermonne quand ils reviennent les mains vides. Ensuite, il part rejoindre sa femme. Mais , à son tour, il va s’écrouler lorsqu’elle le plaque. Il ne peut plus faire rêver des prolétaires au chômage en leur vantant les mérites d’un guide pour leurs droits sociaux.

Interprété par cinq acteurs massifs qui ont la tête de leur emploi, dans un décor suggestif de  chambre d’hôtel sinistre, ce spectacle décapant a bizarrement quelque chose de revigorant.

Edith Rappoport

Du 18 au 21 janvier Théâtre national de Bordeaux Aquitaine; les 27 et 28 janvier au Rayon Vert de Saint Valéry en Caux, et les  1, 2 et 3 février Théâtre de l’Union à Limoges.

La Dame aux camélias

La Dame aux camélias à partir du roman d’Alexandre Dumas fils, de La Mission d’Heiner Muller de L’Histoire de l’œil de Georges Bataille, mise en  scène de Frank Castorf.

 La Dame aux camélias la-dame-aux-camelias-photo1-e1326534863555-300x225 On connaît, bien sûr, le fameux roman de Dumas fils publié en 1848,  où il nous conte les amours d’une jeune prostituée  tuberculeuse  Marguerite et du  bourgeois Armand Duval. Le dit roman a inspiré Verdi pour sa Traviata et sans doute aussi une bonne vingtaine de réalisateurs de films et de ballets. Morte à 23 ans seulement, la Marguerite aura quand même ainsi  beaucoup donné post mortem! Et  c’est Frank Castorf,  metteur en scène allemand et excellent directeur d’acteurs (Les Mains sales de Sartre en 2002 à Chaillot qui  s’y colle cette fois-ci…Mais avec des acteurs français.Et, en complément, des extraits de La Mission qui, semble-t-il, n’étaient pas prévus au départ et des écrits de Georges Bataille. Pas déjà convaincant avant même que cela commence mais bon… A lire les notes d’intention publiées dans le programme, c’est, comme souvent, plutôt   mais évidemment la suite est ici beaucoup moins réjouissante!
Sur scène, que voit-on? Un plateau tournant avec une sorte de baraque sordide faite de planches et de morceaux de tôle ondulée, surmontée d’une petite chambre avec, à côté , un poulailler avec de vraies poules et , pour ne pas affoler le public, celle  que l’on tuera est une fausse. il y a un coin cuisine immonde  et des toilettes tout aussi immondes, de vieux bidons en plastique, un coin chambre avec un lit pliant défoncé.
Il y a aussi un grand pylône,  avec en lettres lumineuses, les mots Anus mundi, Global network. Une affiche tournante montre une photo de la rencontre Khadafi/ Berlusconi avec comme sous-titre:  Niagra forza for ever ( Riez, bon peuple de France!) ou celle de Mussolini avec Hitler. Bref, le taudis africain ou brésilien très réaliste, comme si on y était : la petite promenade ethnologique est gratuite…
On voit ainsi Marguerite Gautier, en robe du soir, couchée dans la paille du poulailler avec deux de ses copines; quant à Duval, il  fait  des allers et retours au toilettes pour vomir la bouillie qu’il vient d’avaler, et l’on vous sert pendant presque quatre heures entracte compris, un magma Dumas/ Muller/ Bataille,  des scènes de partouze etc… sur de la musique de Verdi.  C’est,  comme on dit, une revisitation du roman de Dumas et l’ensemble voudrait être si l’on a bien compris les intentions  de  Castorf , une sorte de déconstruction assortie d’une sorte de dialogue entre des  morceaux du célèbre roman et des extraits de la pièce de Muller . Après tout, pourquoi pas?
Et cela  fonctionne? A votre avis? Pas vraiment. Faute d’une dramaturgie solide,  Castorf  qui ne s’est pas, semble-t-il beaucoup fatigué, fait joujou avec Dumas, ajoute un peu d’exotisme jamaïcain façon  Muller et un peu de piment érotique de  la bonne  épicerie Georges Bataille, tout en utilisant sans cesse,-pour faire moderne et branché auprès des jeunes?-la vidéo-retransmission de certaines scènes qui se passent au lit.
Est-ce pour appâter le client? Le programme souligne un peu naïvement que certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes… qui en ont vu bien d’autres sur Internet. La deuxième partie du spectacle consiste d’ailleurs en une  interminable retransmission vidéo, assorti d’un monologue où Castorf oblige l’excellent Jean-Damien Barbin à hurler dans un micro. Comme il y avait déjà pas mal de criailleries, on commence à saturer!
Il faut reconnaître qu’il y a, juste avant l’entracte, quelques frémissements de quelque chose qui ressemble à du théâtre avec de fort belles images, surtout quand Jeanne Balibar entre, majestueuse sur le plateau mais cela ne dure pas…  Même si elle change, comme dans le théâtre privé, plusieurs fois de robe; heureusement, elle est là avec Jean-Damien Barbin et les autres comédiens: Claire Sermonne, Anabel Lopez,  Ruth Rosenfeld, Vladislav Galard et Sir Henry,  à conduire tant bien que mal, avec un grand professionnalisme, ce machin prétentieux, (du genre: vous allez voir ce que vous allez voir quand je me sers, moi, d’un plateau tournant et d’une solide équipe technique), comment moi je fais dans l’avant-garde…Mais, grands dieux , quelle déception, quel ennui!
Résultat: une hémorragie de spectateurs pendant la première partie  et la désertion d’une moitié du public à l’entracte. Sans aucun doute,  un  tas de crétins qui n’avaient rien compris aux intelligentes propositions avant-gardistes de M. Castorf!!!  Enfin, belle naïveté ou plutôt ultime provocation de Castorf, ce mot  de Gautier/ Jeanne Balibar à la presque fin:  » Putain, j’en ai marre de cette mise en scène à la con!  » Bref, ce qui aurait pu encore passer à la rigueur  en une heure vingt maximum,  devient en plus de trois heures, d’un ennui à couper au couteau!
Alors y aller ou pas?   A votre avis? Olivier Py défendra sans doute son invité mais ce genre de spectacle n’est pas à l’honneur de l’Odéon! Enfin,  si vous voulez vous en faire une idée, vous pouvez peut-être entrer après à l’entracte, il vous en sera sûrement  reconnaissant; au moins, vous ferez une bonne action en remplissant un peu la salle…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon jusqu’au 4 février ensuite en tournée en Belgique.

ATE

Até, texte et mise en scène d’Alain Béhar.ATE At%C3%A9-300x182

Alain Béhar interroge notre présent. Mais lequel? En ces temps chaotiques de numérisations technologiques et de dégradation symbolique du triple A   de » notre » pays, une « humiliation subie par un système de notations abusif .
Même si ces phénomènes n’ont d’ailleurs  rien à voir  les uns avec les autres ? Quels sont ce « maintenant »et cet « ici », depuis lesquels nous parlons ?
Sur le plateau, Alain Béhar a écrit et mis en scène Até,  installation, performance avec musique jazzy, danse avec de nombreux écrans, un cube lumineux , des rochers ou des tumeurs gonflables. Rendez-vous est donné au public avec quatre comédiens décidés, en lien avec une jeune femme sexy de bande dessinée qui, elle, est en 3 D, et qui annonce, depuis le Monténégro où elle se trouve, que sa particularité est le mensonge… Leurre, bonjour : la dame n’a d’autre occupation que de troubler l’esprit des hommes. Voici donc Até, divinité néfaste chez les Grecs, déesse de la fatalité, de la folie, de l’illégalité et du mouvement irréfléchi.
À côté de cette image virtuelle un rien World of Warcraft,  et,  plus haut dans l’espace scénique, est installé un acteur que l’on peut voir sur grand écran , puisqu’il ne sort pas de chez lui,  le casque rivé sur ses oreilles et l’œil sur la caméra, en communication constante ,avec nos quatre lurons sur le plateau, petite communauté en interaction chorale : un père, joueur en réseaux, plus ou moins hacker
et, par ailleurs pianiste talentueux, s’adresse à sa fille,  accro à la Bourse et aux marchés, spécialiste d’économie alternative potentielle. Ce père heureux  parle   aussi  à son fils, à un ami bavard plein d’idées et à un abbé en  proie  à des  conflits qu’il ne désire pas résoudre.
Chacun mène l’intrigue de son point de vue, le zoom passant d’un personnage à l’autre, sans que l’un ou l’autre ait jamais la prérogative. Ce sont tous des avatars ou des pseudonymes que l’on peut rencontrer sur Second Life, Facebook, Myspace, Twitter … Du style: je te parle depuis ce bout du monde jusqu’à un autre, aux antipodes, sous un pseudo: c’est moi et c’est pas moi. Que de temps passé à jouer en réseau à tel jeu, bloqué au niveau 4!
Un temps autre donc, et un espace qui, en fait,  n’existe pas : les personnages passent d’un niveau de réalité à l’autre, comme si toute réalité semblait perdue. Les individus semblent immergés dans des mondes virtuels aux temporalités parallèles, des solitaires en communauté dont le corps pose forcément problème, diffuseur et boîte à rêves et à fantasmes, prison dorée dont les portes ne s’ouvrent pas.
Un spectacle inventif , vivant, et savamment ordonnancé, où les acteurs- Denis Badault, Renaud Bertin, Mathilde Gautry, Julien Mouroux et François Tizon-se donnent à fond, passionnés qu’ils sont par cette vie ludique. Le spectacle peut être compris comme une critique de notre temps, à moins qu’il n’y adhère un peu trop : il y manquerait cela même qu’il dénonce: une âme à partager avec le spectateur, naufragée sous la seule dimension du jeu tyrannique.

Véronique Hotte

Studio-Théâtre de Vitry,  jusqu’au 16 janvier à 20h30 et dimanche 16h  Réservations : 01 46 81 75 50 ; le 26 janvier au Théâtre des Bernardines à Marseille : 04 91 24 30 40. Les 7, 8, 9 et 10 février 2012 au Théâtre Garonne à Toulouse : 05 62 48 56 56

El ano de Ricardo

 El ano de Ricardo de et par Angelica Liddell.

           El ano de Ricardo 100719_rdl_3024Angelica Liddell, avant de présenter à l’Odéon La Casa de la fuerza, revient avec ce  spectacle déjà ancien (2005)  et qui a donc précédé cette somptueux  spectacle qui avait été le grand succès du Festival d’Avignon de 2010 puis  (voir Le Théâtre du Blog)
Il s’agit, là, avec El ano de Ricardo  non d’un spectacle avec plusieurs comédiens,mais d’une sorte de performance/exorcisme où elle est seule en scène avec un acteur muet qui sert à la fois de complice et de faire-valoir, qu’elle désigne comme étant nommé Catesby.
Sur la petite scène, il y a tout un assemblage d’objets qui n’est pas curieusement sans faire penser à ceux de Tadeusz Kantor, ne particulier celui de son ultime spectacle Aujourd’hui c’est mon anniversaire dont il n’aura pu voir la première !En fond de scène, un mur de bottes de paille compressées; côté cour,  un lit en bois d’une personne,et un petit monticule de terre parsemé de pots de primevères avec une photo de bébé encadrée- celui qu’elle refuse ou dont elle rêve? On ne saura jamais- qui fait face côté cour,  à un autre petit monticule derrière lequel se trouve un sanglier empaillé couvert au début par un grand tissu noir. Et des dizaines d’oranges,  clémentines… et bouteilles de bières dont elle enlèvera la capsule d’un geste déterminé avant de les boire au goulot, tout en continuant à  proférer ses textes au micro.
Angelica Liddell est  habillée d’une sorte de pyjama chinois bleu et brodé, avec en dessous,  un tee-shirt blanc;  cette boule d’énergie et de violence maîtrisée parcourt la scène sans arrêt, scène qu’elle ne quittera pas pendant deux heures épuisantes pour elle sur le plan mental et physique.

  Pas vraiment de personnage, même si elle convoque,  au début, celui de Richard III, qui semble la fasciner complètement comme représentant symbolique de l’exercice de la malfaisance  et dont elle dit plusieurs courts extraits de la pièce de Shakespeare. Ce qui répond, dit-elle, à « un besoin de définir le mal comme disait Brecht. Le mal est concret, et non abstrait. le mal est exercé, il est conscient ».
Puis Angelica Liddell lira ensuite quelques extraits de Primo Levi. Mais elle passe aussi à la moulinette, avec des textes d’elle, les personnages politiques, surtout Bush, Blair et Aznar qu’elle abhorre…

   Mais il faut suivre: elle parle très vite, comme s’il y avait une urgence absolue à dire les mots, voire à les redire, pour les imprimer encore plus fort dans la mémoire du spectateur.. Dans un assaut de violence poétique permanente en accord avec la violence de l’expression gestuelle et corporelle. L’impudeur, dit-elle aussi lui offre une liberté totale: elle se lave ainsi  le sexe et les fesses à quelques mètres du public, ou baisse son slip blanc pour courir en rond tout en continuant à éructer ses injures et ses blasphèmes, et à tirer sur tout ce qui ressemble de près ou de loin aux conformisme de la pensée. Aucun compromis, aucune tolérance qui serait de l’ordre de l’éthique, voire de l’esthétique: Angelica Liddell continue à régler ses comptes avec la société, et avec l’espèce humaine dans son ensemble qui semble la dégoûter.
Elle rappelle cet étrange mélange de grandeur et d’abjection qui est le fait de la condition humaine mais son spectacle  n’est plus le fait seulement d’une actrice; même s’il  est, à n’en pas douter, très construit, elle y met en effet beaucoup de sa sensibilité personnelle. C’est un curieux mélange explosif… obscène au sens étymologique du terme, où elle parle de la Shoah et de toutes les atrocités  de la guerre du Viet nam, en montant des photos d’enfants grandeur nature, défigurés par le napalm. En fait Angelica Liddell ne cesse  de se poser la question ontologique du mal qui  tombe sur  les innocents. Pourquoi la souffrance personnelle correspond-t-elle à une souffrance collective? Pourquoi les humains ne peuvent-ils  se passer de dictateurs? Pourquoi les masses sont-elles aveugles  au point  d’accepter le cynisme de ses dirigeants et de croire que la crainte et la peur  sont les  garantes de leur sécurité? Pourquoi en arrivent-elles à considérer la douleur des guerres et des tortures comme un mal nécessaire? Pourquoi les individus sont-ils aussi égoïstes?
A ces questions aussi vieilles que les civilisations les plus anciennes,  Shakespeare n’apportait pas de réponse quand il mettait en scène ce monstre qu’était Richard III… Angelica Liddell en propose, elle, une sorte d’exorcisme personnel.

  Et cela fonctionne? Oui, plutôt bien:  on est à la fois séduit-pas choqué- par cette relation si particulière qu’elle réussit à établir  entre l’expression gestuelle  et la profération  qu’elle assume,  seule , souvent soutenue par des airs de musique populaire, ou, sur la fin, par une puissante et solennelle musique  d’orgue. Mais elle aurait pu sans aucune difficulté, réduire la durée de cette épreuve; le rythme patine un peu  dans la dernière demi-heure: il faut dire  qu’elle a quelques raisons d’être épuisée… Deux  nôtres  consœurs trouvaient  qu’elle en faisait un peu trop et que le texte  était fondé sur un ensemble de banalités…
Pas du tout d’accord: on pourrait dire cela de n’importe quel texte théâtral! Mais Angelica Liddell a un style bien à elle de dire les choses sur un plateau et de leur donner une  substance en se servant de son propre corps. Un peu  comme le faisait  Gina Pane dans  ses performances des années 70.

  Alors à voir? Oui, absolument. Mieux vaudrait comprendre l’espagnol mais il  y a un surtitrage de grande qualité. Et  c’est un plaisir d’entendre Angelica Liddell qui est aussi écrivain et non des moindres, même si elle ne veut pas l’admettre, et qui  sait très bien se servir d’une scène  avec une rare  violence  quant à l’ expression verbale et physique; ce qui n’est déjà pas si mal, non? Jean-Michel Ribes a bien eu raison de programmer cet Ano del Ricardo... Mais ne ratez pas non plus La Casa de la fuerza en mars prochain.

Philippe du Vignal

Théâtre du Rond Point  jusqu’au 29 janvier puis en tournée les 3 et 4 février 2012 Le Quartz, Scène Nationale de Brest  et 23, 24 et 25 mai 2012 Théâtre Sorano – Jules Julien, à Toulouse

Le texte des spectacles d’Angelica Liddell sont publiés  aux  Editions Les Solitaires Intempestifs.

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